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Qualtrics : conséquences et avantages de l’entrée en bourse
En 2020, SAP avait annoncé son intention d’introduire en bourse son outil de gestion de l’expérience Qualtrics. Lundi, les documents officiels ont été déposés. Plusieurs analystes reviennent sur les raisons cette stratégie et les conséquences sur le produit.
Deux ans après avoir racheté Qualtrics pour 8 milliards de dollars, SAP va faire un spin-off du spécialiste de la gestion de l’expérience (XM) qui aboutira à une introduction en bourse (IPO).
Cette IPO proposera des actions ordinaires de classe A pour un prix prévu entre 20 et 24 dollars par action, selon le dossier déposé lundi auprès de la Securities & Exchange Commission. Ce prix valorise Qualtrics entre 12 et 14,4 milliards de dollars. SAP conservera une participation de contrôle dans Qualtrics en détenant 100 % des actions de classe B.
Les analystes estiment que cette opération financière est intéressante pour les deux entreprises. Elle est aussi un signal fort que le nouveau PDG de SAP, Christian Klein, veut se concentrer sur les fondamentaux de l’éditeur allemand.
Pour mémoire, Qualtrics développe un logiciel de mesure et d’analyse de sentiments des clients et des employés sur les produits et les services. Le document officiel déposé par SAP montre que la future ex-filiale se porte bien. Ses revenus s’élèvent à 550 millions $ sur les neuf premiers mois de 2020, soit une augmentation de 31 % par rapport à la même période en 2019.
Une chance pour les deux entreprises
SAP a acquis Qualtrics en novembre 2018 sous le mandat de Bill McDermott, quatre jours seulement avant une entrée en bourse prévue et donc avortée.
Bill McDermott, aujourd’hui PDG de ServiceNow, avait présenté cette acquisition comme une manière de fusionner les données « X » (« X data » ou données « d’expérience »), et les données « O » (« O data », ou données opérationnelles) spécialité historique de SAP.
Mais les questions ont depuis fusé. D’abord sur le prix déboursé par SAP. Ensuite sur la manière dont Qualtrics allait s’intégrer aux produits de SAP.
L’introduction en bourse de Qualtrics semble répondre à la première question. Pour Predrag Jakovljevic, analyste chez Technology Evaluation Centers basé à Montréal, « SAP va pouvoir gagner de l’argent tandis que [Qualtrics] XM ne pâtira pas de l’évolution du contrôle de SAP ».
Le prix de l’action proposée représente en effet une progression importante pour SAP. La plus-value (entre 4 et 6,4 milliards $) semble en tout cas valider la décision de Bill Mc Dermott de racheter Qualtrics, très critiquée à l’époque, estime pour sa part Joshua Greenbaum, directeur du cabinet de conseil Enterprise Applications Consulting.
Joshua GreenbaumEnterprise Applications Consulting
« Qualtrics a réalisé de très bons chiffres, et même si je ne suis pas sûr que quelqu’un avait envisagé ce scénario lorsque le rachat a été proposé au conseil d’administration de SAP, c’est un final plutôt satisfaisant », explique-t-il. « Comme beaucoup de grosses acquisitions, la synergie n’a pas été aussi rapide et aussi efficace qu’elle aurait pu l’être. Il y avait beaucoup de confusion sur qui était quoi, et sur qui avait la responsabilité de quoi, mais [alors que beaucoup d’acquisitions rencontrent ce genre problèmes] le rachat de Qualtrics est en fait l’une des opérations de ce type qui a été le mieux menée ».
Pour autant, l’intégration des fonctionnalités « XM » de Qualtrics dans les produits de SAP a été pour le moins variable. Qualtrics s’est parfaitement bien intégré à SuccessFactors, la suite de gestion des ressources humaines (HCM) de SAP, mais le produit a eu plus du mal à trouver une place dans le reste du portefeuille de l’éditeur, note Joshua Greenbaum.
« C’était assez simple et rapide de l’adapter à SuccessFactors, car la partie “expérience employés” est quelque chose que Qualtrics faisait déjà, et cela s’inscrivait bien dans la stratégie globale de SuccessFactors », précise-t-il. « Mais à part cela, SAP essaie un peu de faire rentrer des ronds dans des carrés. Parfois, c’est un peu forcé ».
Pour Joshua Greenbaum, le XM a toutefois sa place dans les processus opérationnels comme la chaîne d’approvisionnement. Mais l’intégration de telles capacités dans ces processus est complexe.
« Le problème avec un outil comme Qualtrics, c’est qu’il donne de fausses impressions », ajoute-t-il. « La première, c’est qu’il peut faire croire que tout ce dont vous avez besoin pour résoudre vos problèmes d’expérience (XM), c’est un sondage. Mais ce n’est pas vrai. La seconde idée fausse, c’est qu’ajouter une couche d’analytique basique, voire avancée, de l’expérience aux processus métier serait devenu facile. En fait, ça ne l’est pas. C’est même assez difficile ».
Un Qualtrics plus attrayant
L’introduction en bourse – et l’indépendance qu’elle procure – devrait en tout cas rendre Qualtrics plus attrayant pour plus de clients, même s’il existera toujours une relation étroite entre les deux éditeurs.
Luke MarsoniXerv Americas
« Comme SAP détient une participation majoritaire, il gardera un statut privilégié par rapport à toutes les autres applications avec lesquelles Qualtrics peut s’intégrer », rappelle Predrag Jakovljevic. « Son XM est déjà utilisé dans SuccessFactors et dans SAP CX, mais il peut également être intégré à SAP PLM – et à d’autres PLM – pour recueillir l’avis des clients dès la conception des produits ».
On peut néanmoins s’attendre à ce que Qualtrics concentre ses investissements sur des domaines où il créera le plus de valeur, ce qui ne sera pas nécessairement dans les intégrations à SAP, renchérit Luke Marson, président d’iXerv Americas, un spécialiste du conseil sur SuccessFactors.
« En étant en dehors de SAP, sa stratégie ne sera plus liée à celle de SAP. On peut donc s’attendre à une certaine divergence entre les stratégies futures des deux entités », résume Luke Marson.
« SAP continuera à se concentrer sur l’intégration et à pousser ce qu’il appelle l’économie de l’expérience. Ce qui sera particulièrement pertinent dans des domaines comme les RH, où SAP a d’ailleurs rebaptisé sa catégorie HCM en HXM (pour gestion de l’expérience humaine), justement sur la base de l’intégration de la technologie Qualtrics avec SAP SuccessFactors ». Mais cette introduction en bourse devrait apporter à Qualtrics plus de flexibilité dans l’innovation, confirme Faith Adams, analyste senior chez Forrester Research.
Il convient toutefois de relativiser cette indépendance et ces feuilles de route séparées. Car, Qualtrics bénéficie aussi beaucoup du poids de SAP sur le marché.
Faith AdamsForrester Research
« SAP a su se montrer persuasif dans certains cycles de vente, ce qui a aidé Qualtrics à gagner des marchés qu’il aurait perdus s’il n’avait pas fait partie d’une négociation plus large. Et je pense que cela continuera à se passer comme ça », prédit Faith Adams.
Qualtrics devrait donc bénéficier d’une plus grande liberté, mais celle-ci sera limitée, acquiesce Joshua Greenbaum.
« Je ne pense pas que Qualtrics aura la liberté d’aller conclure un gros accord avec Workday, par exemple », illustre-t-il. « Mais c’est sûr qu’ils auront tout de même plus d’indépendance. Il n’est pas toujours facile d’évoluer dans la grosse machine interne de SAP. Donc retrouver un peu de liberté de mouvement et de décision est certainement quelque chose que les dirigeants de Qualtrics vont apprécier ».