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Les éditeurs français entre résilience, confiance et ambition (Syntec Numérique)
Si les chiffres de croissance des éditeurs de logiciels français étaient plutôt corrects en 2019, les éditeurs 2020 restent optimistes pour boucler l’année 2020. Qu’en sera-t-il en 2021 ? L’inconnue reste totale.
Avec un chiffre d’affaires de 17 milliards d’euros, le secteur du logiciel français a affiché une croissance de 8 % en 2019. C’est le chiffre qu’a communiqué, en ce début d’automne 2020, Syntec Numérique (le syndicat de l’industrie du numérique) lors de la présentation traditionnelle de son Top 250 annuel.
« Les éditeurs horizontaux comme Cegid ou Talend ont très bien réussi et ont dopé la croissance du panel », explique Jean-Christophe Pernet d’EY (le cabinet qui a réalisé l’étude TOP250 pour Syntec Numérique et Tech'In France). Quant aux « verticaux », ils réalisent encore la majorité du chiffre d’affaires du secteur (11,1 milliards, soit +10 % en 2019), mais la croissance reste plus forte pour les éditeurs horizontaux (+15 %).
Quant au secteur du jeu vidéo, locomotive historique du numérique en France, il est littéralement plombé par les difficultés d’Ubisoft. Le géant connaît des difficultés internes et a aussi dû reporter le lancement de plusieurs blockbusters, qui lui ont fait perdre plusieurs centaines de millions d’euros sur l’exercice 2019.
Si l’on regarde sur le plus long terme, le bilan se veut encore plus positif. « En 10 ans, quel chemin ! Nous avons doublé de chiffre d’affaires et atteint les 100 000 employés chez les pure players français. C’est exceptionnel ! » se félicite Godefroy de Bentzmann, Président de Syntec Numérique.
Godefroy de BentzmannSyntec Numérique, Devoteam
« Cette année, cet événement a été organisé avec Tech'In France », continue-t-il lors de la présentation de l’étude. « Nous avons lancé une collaboration de plus en plus étroite avec Tech In dans de nombreux sujets : nous sommes en train de montrer que nous avons un bon écosystème ».
« Plus cet écosystème travaillera ensemble, plus il sera efficace pour promouvoir nos entreprises et leurs intérêts. Nous devons travailler ensemble pour mieux défendre cette industrie, notamment en Europe, car l’Europe du numérique a besoin de se construire. Et nous pouvons jouer un rôle », invite celui qui est aussi le co-fondateur de Devoteam.
La résilience du secteur se confirme, mais l’optimisme est en baisse
En cette période de pandémie et d’économie en dents de scie, les résultats des acteurs du numérique français sur la fin d’année 2020 et les prévisions pour 2021 sont évidemment scrutés à la loupe.
« On peut parler de résilience [pour 2020], car les orientations sont très bonnes, même si elles sont en deçà de 2019 », souligne Jean-Christophe Pernet. « Le secteur reste bien orienté pour la fin de l’année 2020 et au-delà. Les éditeurs français ont toujours des objectifs d’embauches et d’investissement en R&D internes et maintiennent leurs objectifs de croissance externe. Ce sont des indicateurs très encourageants ».
Sachant que les données ont été collectées entre le mois de juin et de septembre 2020, c’est-à-dire avant la deuxième vague de la pandémie, les chiffres présentés par le Syntec doivent cependant être pris avec quelques réserves.
En effet, 34 % des éditeurs avaient un objectif de croissance supérieur à 10 % (contre 48 % en 2019). Le nombre de ceux qui visent une croissance de 5 à 10 % reste stable. Tandis que ceux qui craignent une récession augmentent franchement, passant de 17 % en 2019 à 25 % cette année.
La période pousse en tout cas à une certaine prudence, même si pour 66 % des 198 éditeurs qui ont répondu à la question, la crise sanitaire pourrait bien leur offrir de nouvelles opportunités. Ceux-ci espèrent par exemple que la situation va précipiter le mouvement du marché vers les solutions SaaS. La location d’application dans le cloud représente désormais 40 % du chiffre d’affaires du secteur. Il n’était que de 10 % en 2010.
Jean-Christophe PernetConsultant, EY
Pour le consultant d’EY, ce passage au cloud des entreprises françaises participe clairement à la résilience du secteur en ces temps troublés. « Cette résilience s’explique d’une part par la montée en puissance du SaaS dans l’écosystème. C’est un super amortisseur en période de crise avec des contrats d’abonnement qui continue à générer du chiffre d’affaires, ce qui sécurise les éditeurs. D’autre part, les deux tiers des éditeurs estiment que la crise leur apporte des opportunités nouvelles ».
Les éditeurs français face à la pandémie : croissance externe et soutiens de l’État
Sans surprise, pour traverser cette crise sanitaire, les éditeurs ont fait massivement appel au télétravail. Ils sont 97 % à avoir mis en place le travail à distance, 83 % à avoir limité le travail chez les clients, et 75 % à avoir mis en place des formations en ligne.
Néanmoins, en dépit de ces mesures, 61 % des éditeurs français ont eu recours au chômage partiel en 2020 – un comble quand on connaît les difficultés qu’éprouve le secteur à recruter des développeurs.
Parmi les dispositifs de soutien mis en place par le gouvernement, la moitié des éditeurs ont bénéficié du report du règlement des cotisations URSSAF, 46 % ont obtenu un report d’échéances de leurs emprunts bancaires et 43 % ont bénéficié d’un prêt garanti par l’État. Seulement 25 % ont adressé une demande de remboursement anticipé des crédits d’impôt et seulement 10 % ont activé le prêt Atout de la BPI.
A contrario, seulement 23 % des éditeurs ont été sollicités par leurs clients pour résilier des contrats en cours ; des demandes auxquelles ils ont donné leur accord dans 55 % des cas (mais seulement 60 sociétés ont répondu à cette question…)
De même, si 34 % des éditeurs ont été sollicités afin d’accorder des réductions tarifaires, 53 % (des 79 sociétés qui ont répondu) affirment avoir accédé favorablement à ces demandes.
La crise ne devrait pas entraîner une chute majeure du nombre de fusions/acquisitions. 22 % des éditeurs de logiciels ont réalisé au moins une opération de croissance externe en 2019 et ils sont 48 % à envisager des opérations de ce type dans le futur.
Sur ce plan, Dassault Systèmes reste la locomotive du secteur, avec les acquisitions d’Argosim, Elecworks, IQMS, Medidata Solutions, Distene, Proxem et Trace Software International – tous des éditeurs français, à l’exception de IQMS. Mais le champion français qui édite 3DExperience n’est pas le seul à picorer dans l’écosystème local. Cegedim s’est montré particulièrement actif en 2019 avec pas moins de cinq acquisitions, tout comme Docaposte qui a pris le contrôle d’AR24, CDC Arkhineo et Icanopée.
Tout aussi actif, mais peut-être plus discret, l’éditeur spécialisé dans le secteur agricole Isagri s’est offert Vega Systems, IBL, Informia, E-Collaboratrice et BS-Digital.
En termes de financement, l’étude de Syntec Numérique montre que l’autofinancement reste le principal levier de développement des éditeurs français. 90 % d’entre eux y ont recours, même si la part d’endettement progresse nettement (98 % des éditeurs, contre 62 % un an plus tôt).
En outre, 31 % des éditeurs ont recours à des fonds d’investissement. Signe de cette tendance, une trentaine de levées de fonds de plus de 20 M€ ont eu lieu entre le 1er janvier 2019 et le 30 septembre 2020.
En dépit de la crise économique, les éditeurs français embauchent toujours
Autre indicateur favorable, celui de l’emploi. Les éditeurs du Top250 représentent 203 535 emplois, dont 99 152 à mettre au crédit des pure players. Sur la période 2017/2019, les éditeurs français auraient créé 16 300 emplois. Soit une croissance de 20 % pour les pure players et de 38 % pour les jeunes éditeurs (+38 %), les deux moteurs de création d’emplois du secteur.
Cette dynamique de création d’emplois va-t-elle être brisée par la pandémie ? Peut-être pas. 72 % des éditeurs français affirment vouloir accroître leurs prévisions d’embauche et 26 % simplement les maintenir.
Les développeurs restent la cible numéro 1, avec 65 % des profils recherchés. Suivent les consultants, chefs de projet, commerciaux et agents de support.
Crise ou pas crise, les éditeurs font face à une pénurie récurrente de talents. 78 % des acteurs français du logiciel affirment connaître encore des difficultés de recrutement. Et seulement 2 % procéderont à des licenciements économiques en 2020. Une promesse qui sera, à coup sûr, surveillée de près.