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E-boutiques : Salesforce rachète Mobify pour cibler les grands distributeurs
Les boutiques de e-commerce sont un nouvel eldorado pour les éditeurs. Salesforce le sait bien et va renforcer son Commerce Cloud avec une option d’architecture « headless », plus flexible et plus agile, en rachetant une nouvelle fois un acteur innovant.
Salesforce a conclu un accord pour racheter Mobify, un éditeur canadien spécialisé dans les boutiques en ligne. Une des particularités de Mobify est d’être un outil dit « headless » (comme les CMS headless). En d’autres termes, il dissocie totalement le front-end et le back-end de la e-boutique ; et il ne s’occupe que de la partie visible par le client (le front).
Mobify s'interface à Salesforce Commerce Cloud ainsi qu'à d'autres éditeurs qui proposent des API pour se connecter à leurs back-end (comme Commercetools et Skava).
Mobify fournit une infrastructure pour héberger, sécuriser, dimensionner et surveiller les boutiques. Cette architecture « headless » permet de connecter plus facilement les différents terminaux des clients et les applications qui leur sont destinées aux back-ends de la marque ou de l’enseigne ; back-ends qui gèrent eux les contenus, l’inventaire, le paiement ou la livraison.
Sur le papier, Mobify aidera Salesforce à mettre en place une architecture e-commerce plus souple pour ses clients qui le souhaitent. Ceux-ci devraient pouvoir mieux gérer les pics de trafic et mettre à jour leurs sites (promotions, changement de design, etc.) plus rapidement et plus souvent, dixit le PDG de Mobify, Igor Faletski.
Incontestablement, le e-commerce a connu un pic depuis la pandémie. Salesforce s’est mobilisé en conséquence pour tenter de permettre à ses clients de créer de nouveaux sites. L’éditeur a par exemple sorti des « accélérateurs » e-commerce en mai et un système de gestion des commandes amélioré en juillet.
Le découplage des systèmes back-end de la couche de présentation d’une boutique, peut aussi accélérer le déploiement d'algorithmes d’Intelligence Artificielle (moteur de recommandation, etc.) par le biais de microservices et l’ouverture de nouveaux canaux de vente. C’est du moins l’objectif du « headless ». D’autres éditeurs concurrents, comme Elastic Path qui a racheté Moltin au début de l’année, parient eux aussi sur la popularité de ce type d’architecture.
Pour les vendeurs, les gains d’un développement « headless » ne sont cependant pas immédiats. Ils se matérialisent après – et seulement après – la réalisation des boutiques (ces sites étant beaucoup plus faciles à mettre à jour sur le moyen terme). Mais dans un premier temps, ils prennent aussi plus de temps à être développés qu’une galerie « clef en main », comme en proposent Shopify ou BigCommerce – des acteurs dont les revenus ont été « dingues » pendant la pandémie, déclare Jordan Jewell de chez IDC.
Avec les différents confinements, les entreprises qui n’avaient peu (voire pas) d’activité de e-commerce ont cherché des gains rapides avec des sites standardisés, continue-t-il.
« Les fonctionnalités e-commerce se sont banalisées grâce à ces acteurs : si vous allez sur des sites faits avec Shopify, c’est beau et ça fonctionne vraiment bien », constate l’analyste d’IDC. « Mais cette standardisation change aussi les points sur lesquels [les commerçants] peuvent se différencier. Un de ces points est l’expérience client, ainsi que l’agilité technologique. Une approche headless peut mener aux deux ».
Avec l’acquisition de Mobify, continue Jordan Jewell, il est clair que Salesforce cherche à séduire les grands comptes de la distribution – ceux qui prévoient d’aller au-delà des sites traditionnels.
« Pour l’instant, le headless n’est pas la tendance la plus en vogue dans le commerce, mais cela va changer » prévoit l’analyste. « Salesforce a en quelque sorte fait son chemin sur le marché. Maintenant, ils ont acheté une entreprise qui les aidera à aller encore plus loin ».
Salesforce n’est pas un éditeur qui développe la majorité de ses technologies en interne. La plupart de ses offres sont issues de rachats (Tableau, Mulesoft, le français RelateIQ, etc.). En 2019, l’éditeur a même bouclé l’année la plus dispendieuse de son histoire. Le e-commerce ne fait pas exception. Le champion du CRM avait lancé Commerce Cloud en 2016 après avoir acquis un des « leaders » du Magic Quadrant dans le secteur, Demandware (pour 3 milliards $). Il le renforce aujourd’hui en ouvrant à nouveau son portefeuille.
Les conditions du rachat de Mobify restent en revanche confidentielles.
Mobify est actuellement vendu sur l’AppExchange de Salesforce à partir de 150 000 dollars par client et par an.
Plus largement, Salesforce affiche l’ambition d’atteindre les 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires d’ici 2022 et les 60 milliards d’ici 2034. Ce chiffre très ambitieux annonçait, dès 2018, une nouvelle myriade de rachats. Salesforce ne peut en effet pas atteindre cette somme, en ne vendant que du CRM. D’où sa diversification à marche forcée dans le marketing, l’intégration et les API, ou encore la BI. D’où aussi, aujourd’hui, sa volonté de cibler encore plus les grands comptes de la distribution.