Cet article fait partie de notre guide: Les enjeux de l’informatique quantique

Atos lancera son accélérateur quantique dès 2023

L’ordinateur quantique n’est toujours pas pour demain. En revanche, il serait déjà possible d’accélérer des recherches de meilleure combinaison à l’aide de quelques qubits.

En 2023, Atos lancera un accélérateur quantique destiné à réduire drastiquement les temps de calcul dans les simulations. Il s’agira d’un module raccordable à un supercalculateur, vraisemblablement une appliance, et qui sera de type NISQ (Noisy Intermediate-Scale Quantum). Le type NISQ est une ébauche d’ordinateur quantique, qui a le même problème que lui – ses qubits, sous l’effet de l’environnement, se transforment rapidement en bits tout court. Mais il le contourne, en limitant la fourchette de traitements à seulement quelques opérations simples.

« Il faudra encore de nombreuses années avant que l’on parvienne à construire un ordinateur quantique capable de résoudre des problèmes complexes, car on ne sait pas encore faire fonctionner ensemble un très grand nombre de qubits sans qu’ils perdent en fiabilité », explique au MagIT Philippe Duluc, le directeur technique Big data et Cybersécurité d’Atos.

« En revanche, il existe des applications qui peuvent se contenter de 50 qubits – comme déterminer les meilleures combinaisons de molécules pour stocker du carbone, ou encore trouver la meilleure synchronisation entre des centrales afin produire de l’énergie de la manière la plus optimale. Ce sont ces applications qu’adressera notre accélérateur. »

Atos, qui propose depuis 2016 son environnement de simulation QLM dans le but de développer des algorithmes quantiques, dit avoir l’expertise pour découper un problème en une première partie exécutable sur un supercalculateur classique et une seconde, minime, dévolue à un système quantique doté de peu de qubits. Les marchés concernés seraient ceux de l’énergie, de la recherche pharmaceutique, des banques et de l’industrie.

Faire des opérations simples avec peu de qubits

L’intérêt de l’ordinateur quantique est qu’il est possible de trouver en une seule opération la bonne combinaison de facteurs répondant à un problème. Tandis qu’un ordinateur classique doit évaluer toutes les combinaisons possibles les unes après les autres, quitte à y passer des centaines d’années.

Les qubits, en général des atomes, sont des particules qui obéissent aux lois de la physique quantique. Il est possible de les mettre dans un état de superposition, pour qu’ils aient à la fois la valeur 0 et 1, de sorte que 50 atomes, par exemple, représentent tous les nombres de 0 à 2^50 (2 exposant 50). Il est aussi possible de les intriquer, pour qu’une action sur certains se répercute sur certains autres, à la manière des portes logiques sur un circuit électronique.

Une fois les qubits superposés et intriqués de la façon voulue, il suffit de leur envoyer un signal de lecture qui va geler dans chacun d’eux un 0 ou un 1. Cet ensemble de 0 et de 1 représente la valeur qui se combine le mieux avec le signal de lecture. Et cette valeur est la solution du problème que l’on veut résoudre.

C’est du moins la théorie. En pratique, à cause de la sensibilité des qubits au moindre grain de rayonnement électromagnétique alentour, ils sont susceptibles de perdre leur superposition et leur intrication avant même d’avoir été soumis au signal de lecture, faussant tout le calcul. À l’heure actuelle, il faut placer environ mille qubits pour être sûr qu’au moins un fonctionnera comme prévu. Mais lequel ? D’autant que le résultat que l’on cherche s’écrit généralement en binaire avec plusieurs 0 et 1 successifs. Vérifier l’exactitude de chaque fragment du résultat ramène à la contrainte de départ : un délai trop long pour trouver la solution d’un problème. À cela s’ajoute la difficulté de réunir autant de qubits dans le système ; diverses techniques de pointe sont sollicitées, de la supraconductivité aux ions piégés dans le vide.

Inutile de dire que le cassage des clés de chiffrement RSA 1024 par l’algorithme de Shor, qui demande d’utiliser ensemble plusieurs milliers de qubits « fonctionnels », donc de fabriquer, manipuler puis tester plusieurs millions de qubits, n’est pas pour demain.

Dans un système NISQ, on ne traite que des opérations qui ont besoin d’un minimum de qubits parmi seulement 50, voire 100, de sorte qu’il y ait très peu de résultats à vérifier au final. On répète quelques fois l’opération pour voir quel résultat sort le plus souvent et, donc, a le plus de chances d’être le bon.

Le simulateur QLM servira de passerelle vers l’accélérateur quantique

Le prestataire de services numériques Atos s’intéresse à l’informatique quantique depuis ses balbutiements, car il considère que cette discipline bouscule deux marchés dans lesquels il se voit en leader : le supercalcul et la cybersécurité. « Nous devons montrer à nos clients que nous mettons tout en œuvre pour maintenir leur sécurité et leur capacité à rester compétitifs. C’est pourquoi nous nous sommes lancés dès 2016 sur l’aspect logiciel de l’informatique quantique, notamment au travers d’une plateforme de développement pour écrire des algorithmes quantiques », explique Philippe Duluc.

Cette plateforme, QLM (Quantum Learning Machine), comprend des langages, l’assembleur AQASM et la version de Python pyAQASM, ainsi qu’un simulateur d’ordinateur quantique qui, lui, fonctionne sur 41 qubits virtuels.

« Notre idée est que cette plateforme [QLM] serve de passerelle dès 2023 vers un nouveau module matériel qui sera notre accélérateur quantique. »
Philippe DulucDirecteur technique Big data et Cybersécurité, Atos

« Nous commercialisons déjà la plateforme QLM sous forme matérielle ; il s’agit simplement d’un serveur Intel bardé de cartes GPU. Notre idée est que cette plateforme serve de passerelle dès 2023 vers un nouveau module matériel qui sera notre accélérateur quantique. »

Atos n’a pas l’intention de construire lui-même le matériel de cet accélérateur. Il s’appuiera sur des partenaires pour le faire. A priori, le premier devrait être une startup autrichienne issue du département de physique expérimentale de l’université d’Innsbruck. Les chercheurs de cette université planchent depuis plusieurs années sur la technique des ions piégés, dans le cadre du projet européen d’ordinateur quantique Aqtion.
Atos pourrait dans un second temps proposer – avec un autre acteur européen – un accélérateur quantique basé, cette fois, sur la supraconductivité. LeMagIT croit comprendre qu’il s’agirait sans doute du Finlandais IQM.

« Chaque technique de fabrication d’un calculateur quantique a des propriétés propres qui supposent d’écrire les algorithmes d’une façon ou d’une autre. Dans la technique des ions piégés, un qubit peut être intriqué avec n’importe quel autre, tandis qu’en supraconductivité il ne peut communiquer qu’avec ses voisins les plus proches. La supraconductivité est plus rapide à exécuter, car il s’agit juste d’envoyer de l’énergie, alors qu’il faut pointer précisément un laser avec des ions piégés. En tout état de cause, QLM sait simuler tous les systèmes et saura s’interfacer avec chacun d’eux », indique le directeur technique.

Concernant le prix de cet accélérateur, Philippe Duluc assure qu’il ne sera pas plus cher qu’un supercalculateur. « Bien entendu, des licences pour QLM s’appliqueront. Mais, du point de vue matériel, l’accélérateur utilisera moins d’énergie et moins de composants qu’un nœud de supercalculateur. »

 

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