Cosmo Tech n’imagine pas le jumeau numérique sans la simulation
Fondée en 2010, la startup Cosmo Tech veut se différencier avec sa plateforme de conception de jumeau numérique. Il ne s’agit plus de modéliser des équipements physiques, mais toute une organisation et la rendre plus efficace grâce à la simulation.
Le principe du jumeau numérique n’a rien de nouveau. Ce concept a d’abord signifié une représentation graphique d’un objet physique. Il a nourri des fonctionnalités dans certains outils de CAO et de PAO pour faciliter la production de certains équipements ou biens. Avec l’IoT, le jumeau numérique connaît un changement de paradigme : il n’est plus simplement une représentation numérique d’un équipement, mais d’un système auquel on peut associer les données de capteurs connectés pour connaître l’état des équipements. Cela ouvre la possibilité de représenter des infrastructures plus complexes : des voitures, des avions ou des bâtiments. Gartner fait ainsi la différence entre des jumeaux numériques discrets et composites.
Certains comme GE Digital ou Atos avec Siemens combinent à cette approche le jumelage d’un système, de ses composants, de ses ressources et des processus qui le régit. Cela revient à concevoir différents jumeaux numériques qu’il faut synchroniser, hiérarchiser. « C’est ce que Gartner appelle des jumeaux numériques d’une organisation », affirme Michel Morvan, cofondateur et président de Cosmo Tech.
Le jumeau numérique en pleine évolution
C’est dans cette approche que s’inscrit Cosmo Tech. Cette « startup » fondée il y a 10 ans émane de l’ENS de Lyon où Michel Morvan a activement participé à la conception d’une technologie de jumeau numérique lorsqu’il y était professeur. Cette même technologie, Cosmo Tech en hérite. Elle alimente sa « plateforme » SaaS consacrée à la modélisation et à la simulation d’organisation, dédiée aux industriels.
« Cela ne nous intéresse pas de connaître l’historique d’un système ou son état présent. Ce qui nous intéresse véritablement c’est de savoir ce qu’il va se passer, quand le système va évoluer et surtout les actions à prendre quand il va évoluer », déclare Michel Morvan.
Selon ce spécialiste, il y a deux méthodes pour y arriver. La première consiste à utiliser des données historiques et y appliquer des algorithmes de machine learning pour prédire les actions à prendre. « Cela marche très bien dans certains cas, mais cela a un certain nombre de limites, la plus importante étant que l’on ne peut prédire que des choses qui se sont déjà passées », assure-t-il.
La deuxième manière de se projeter revient à faire de la simulation, qui est déjà une technique appliquée dans la conception de jumeau numérique d’objets physiques.
Seulement Cosmo Tech y apporte une autre signification. « Il faut être capable d’avoir une connaissance relativement fine de chacun des sous-systèmes du système : chaque machine, les processus, les personnes, etc. Et de les coupler pour pouvoir faire de la simulation afin de mesurer l’impact d’un changement d’organisation, d’horaire de travail, de l’ajout de nouvelles machines dans une usine par exemple », explique Michel Morvan.
Ce jumeau numérique d’organisation permettrait également d’optimiser la production sur plusieurs mois et prendre en compte les défis posés par des événements difficilement prévisibles, comme une crise sanitaire.
« Nous concevons des jumeaux numériques à l’échelle d’une entreprise ou d’une organisation, dans lesquels nous allons combiner des modèles physiques avec des modèles de processus, financiers, de risques et autres », affirme notre interlocuteur.
Techniquement, l’outil de l’éditeur permet non seulement de développer des modèles de données qui représentent des sous-systèmes opérationnels, mais va également modéliser les dynamiques, les interactions entre chacun d’entre eux en reliant les différents modèles pour mesurer des impacts de changements.
« Si vous prenez une machine et que vous l’équipez de capteurs, vous représentez le comportement de cette machine en temps réel, auquel vous pouvez appliquer du machine learning sur les données historiques afin de prédire les pannes et donc prévoir les opérations de maintenance. Mais ce qui intéresse les industriels, c’est le fait de pouvoir planifier ces opérations pour qu’elles aient le moins d’impact sur la production », estime Michel Morvan.
Modéliser, simuler et prédire
Pour cela, Cosmo Tech a développé un langage orienté objet propriétaire : Complex System Modeling Language (CoSML). Il est composé de briques de conceptions pour représenter des entités (machines, ressources, processus), des hiérarchies, des interactions, des actions et des dynamiques. Celui-ci permet de modéliser les interactions, mais également de jouer des scénarios répondant aux questions « Qu’est-ce qui se passe si ? », c’est-à-dire effectuer une simulation et « Comment j’obtiens un résultat donné ? », une optimisation.
Ces représentations peuvent atteindre un niveau de complexité insoupçonné. Pour rationaliser cela, Cosmo Tech fournit un SDK qui permet à des développeurs et à des experts des modèles objet de représenter visuellement depuis une interface les entités, leurs comportements, et les interconnexions entre sous-systèmes. Les règles qui décrivent le comportement du système entier, du jumeau numérique, sont écrites en C++. Ce studio permet de lancer une simulation automatiquement générée et qui permet de visualiser le fonctionnement du jumeau numérique d’entreprise en temps réel. Il est possible de relancer la simulation en changeant les paramètres et les données en entrée. Le studio génère automatiquement une structure de base de données et des API pour se connecter à des applications tierces.
Cosmo Tech propose plusieurs bibliothèques de modèles en partie préconçus pour représenter le fonctionnement normal de plusieurs activités : supply chain, gestion budgétaire, la maintenance, la gestion de ressources ou encore de réseaux. L’éditeur peut ainsi les adapter chez ses clients avec ses partenaires intégrateurs.
La plateforme SaaS hébergée sur Google Cloud (en Europe ou aux États-Unis) apporte des capacités de calcul pour effectuer les simulations. Une interface utilisateur communique avec des API REST qui font le lien avec les jeux de données du client. Ces données passent par un ETL pour être préparées dans une base de données où vont être configurés les scénarios à jouer. Puis, un cluster Apache Spark permet d’effectuer la simulation par-dessus un lac de données Hadoop, si nécessaire. Les résultats bruts au format Parquet peuvent être envoyés via Apache Drill à un outil BI ou au Datalab de CosmoTech, un environnement composé de notebooks Jupyter éditable en Python via les librairies PySpark. Ce dernier permet d’associer le résultat avec des modèles de machine learning développés par une équipe de data science chez le client. Cosmo Tech fournit également des modèles à appliquer pour des analyses d’incertitude, de sensibilité, d’optimisation des paramètres sous contraintes ou des analyses pré/post-traitement.
Le résultat final est renvoyé à l’interface utilisateur de l’Enterprise Digital Twin Platform qui l’affichera sur un tableau de bord.
La disponibilité de la plateforme la rend élastique et les simulations peuvent être réalisées au quotidien, en avance de phase ou à intervalle régulier, au bon vouloir des clients, selon Michel Morvan.
Pour concevoir les modèles, il faut des données actualisables en provenance des systèmes utilisés par l’entreprise (ERP, CRM, plateforme IoT, etc.) et des descriptions du fonctionnement de l’activité : les flux financiers, les postes occupés, la fonction des machines, etc.
« La quantité de données nécessaire dépend réellement du jumeau numérique que l’on souhaite obtenir. On peut fonctionner avec beaucoup moins d’informations qu’avec des systèmes de machine learning qui réclament énormément de données », assure Michel Morvan.
Miser sur le retour sur investissement
Toutefois Cosmo Tech ne veut pas induire les clients en erreur. Le jumeau numérique obtenu n’est que la représentation d’une organisation.
« Cela reste des modèles, il ne faut pas vendre aux gens quelque chose qui n’est pas réel. Je dis toujours “les modèles sont faux, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne servent à rien”. C’est comme faire la carte d’un territoire, elle sera souvent faussée, mais elle est utile pour certains usages », vulgarise Michel Morvan.
Cosmo Tech travaille en partenariat avec RTE, le gestionnaire de réseau de transport d’électricité en France, pour faciliter l’optimisation et la maintenance et du renouvellement des équipements sur les grands réseaux électriques. Son jumeau numérique d’organisation compterait 900 000 composants, 3,5 millions d’interactions entre ces composants qui mèneraient à 1,6 milliard d’évolutions dynamiques du système. Il représenterait l’intégralité du réseau de lignes à haute tension en France, géré par RTE.
« Nous avons modélisé toutes les interventions, les risques, les équipements, les politiques de maintenance et les aspects financiers pour prévoir les effets en cascade des interventions », détaille le président de Cosmo Tech. Ce coût de maintenance s’élèverait à 800 millions d’euros par an pour RTE, avec le jumeau numérique, l’entreprise économiserait entre 10 et 15 % par an.
Avec la crise sanitaire en cours, « le retour sur investissement doit être rapide » pour les industriels, d’après le dirigeant. L’éditeur commence à petite échelle pour confirmer le potentiel de la plateforme. Il a d’ailleurs annoncé récemment une offre qui doit aider les industriels à redémarrer leurs activités.
Cosmotech attentif aux décisions du Digital Twin Consortium
Cosmo Tech compte une vingtaine de clients comme RTE, mais aussi Alstom, Nexans, Renault et SNCF. Au total, l’éditeur a levé un peu plus de 28 millions d’euros. Si la startup dispose d’une force commerciale, elle s’appuie de plus en plus sur des partenaires pour proposer ses services.
« Nous ne nous voyons pas nous passer du contact avec les clients, mais si nous souhaitons passer à l’échelle, nous devons compter sur des partenaires : des conseillers et des intégrateurs », affirme Michel Morvan.
Cosmo Tech emploie une centaine de collaborateurs. Bien qu’elle considère que sa technologie peut s’appliquer à beaucoup de secteurs d’activités, la startup a décidé de se limiter son périmètre à l’industrie.
« Pour la vente en direct, nous nous concentrons sur les secteurs de la fabrication, de la supply chain et des transports », ajoute-t-il.
Un autre axe de développement imaginé par Michel Morvan pourrait être l’intégration de la plateforme SaaS avec les technologies d’autres éditeurs spécialisés dans le jumeau numérique.
À ce titre, Cosmo Tech est intéressée par le Digital Twin Consortium, un groupement des acteurs du secteur récemment constitué. « Nous sommes en train de voir si nous avons notre place au sein de ce consortium. S’il tourne principalement autour des représentations numériques d’objets physiques, cela n’est pas notre métier. En revanche si le consortium considère le jumeau numérique d’entreprise et le modèle objet de système, cela peut avoir beaucoup de sens pour nous », conclut Michel Morvan.