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Dix ans après, Sigfox s’accorde encore au futur
Sigfox fête cette année ses dix années d’existence. L’opérateur de télécommunication qui conçoit son propre LPWAN dit « zéro G » a enfin trouvé son créneau de prédilection : la logistique. Il lui manque toutefois un coup de pouce pour accomplir ses ambitions, à savoir connecter plus d’un milliard d’objets.
Sigfox a multiplié les initiatives pour se faire connaître et populariser son LPWAN (Low Power Wide Area Network) qui pendant très longtemps n’avait pas de dénomination propre. D’un comme un accord, les acteurs du marché de l’IoT parlaient du « réseau Sigfox ». Dix ans après, l’opérateur a sacralisé l’expression « zéro G » pour évoquer sa technologie, en opposition aux réseaux 3G/4G/5G standardisés par la 3GPP.
Dans son livre « Zéro G » publié le 12 mars dernier, Ludovic Le Moan, cofondateur et directeur général de Sigfox, revient sur son expérience, ainsi que son « cheminement » vers une forme de frugalité technique et technologique.
« Nous avons énormément de clients qui ne savent pas ce que c’est la 5G, mais ils sont persuadés qu’il faut le faire parce que 5G, c’est plus que 4. Forcément, c’est mieux », se moque gentiment Christophe Fourtet, cofondateur et CTO de Sigfox, pour illustrer la pensée du directeur général.
Christophe FourtetCofondateur et CTO, Sigfox
« Pendant très longtemps dans les télécoms, nous avons effectué des opérations très complexes pour augmenter les débits, pour finalement m’apercevoir qu’elles ont été préjudiciables à certains usages comme la téléphonie », note-t-il. « Le but c’est d’amener une profusion et une surconsommation. En réalité, pour transmettre une information d’un point A à un point B, vous pouvez le faire avec des technologies modernes, mais en utilisant une technique simple ».
Apologie de la simplicité
C’est tout l’objet de ce réseau longue portée basse consommation – dit Zéro G – qui véhicule des paquets, dont la charge utile atteint au maximum 12 octets. L’utilisation des bandes de fréquence non licenciées 868 MHz en Europe (902 MHz aux États-Unis) oblige Sigfox à limiter le nombre de messages quotidien (140 par jour et six messages de 12 octets par heure).
Évidemment, un tel réseau n’est pas conçu pour supporter tous les usages.
« Si vous voulez jouer à un jeu vidéo en ligne ou avoir une expérience riche sur le Web, il est clair qu’il faut des moyens considérables. Mais vous avez des objets “abandonnés”, par exemple un capteur d’hygrométrie dans un champ de maïs qui ne possède pas une source d’énergie importante et dont on a besoin qu’il transmette des informations pendant 5, 10, 15 ans », considère Christophe Fourtet.
Souvent les technologies comme Sigfox, LoRaWAN, NB-IoT ou encore LTE-M sont opposées entre elles. Les opérateurs de télécommunications défendent la complémentarité des technologies LPWAN, Sigfox le premier.
Ces objets abandonnés ne le sont pas tant que ça. En tout cas, le réseau zéro G est là pour aider à les localiser et à conserver leur autonomie.
« Même les LoRa et les NB-IoT n’ont pas ce point d’optimisation extrême que nous avons effectué sur l’objet abandonné. Le “sweet spot” de Sigfox c’est jusqu’à 1 Ko par jour pour un objet, si vous avez besoin de davantage de débit, d’autres technologies seront plus adaptées, mais l’autonomie sera plus faible. Les technologies sont complémentaires, mais encore énormément de clients potentiels ont du mal à le comprendre parce qu’ils ont perdu de vue la lecture des paramètres physiques. Ils ont du mal à abandonner la course au père Noël au lieu de se concentrer sur leur retour sur investissement », estime le CTO de Sigfox.
Haro sur la logistique
Après dix ans de déploiement, de tests et des effets de croissance (Sigfox connecte tout de même plus de 16 millions d’équipements), l’opérateur n’a pas exploré tous les cas d’usage.
« Le nombre de cas d’usage est énorme. Tous les explorer prendra des années, si ce n’est pas des décennies », prédit Christophe Fourtet. Certains marchés sont donc plus matures que d’autres. « Le marché qui a vraiment compris l’intérêt de Sigfox, aujourd’hui, c’est celui de la logistique », ajoute-t-il.
Christophe FourtetCTO, Sigfox
Sigfox se concentre sur ce secteur. Il multiplie les signatures de contrat auprès d’industriels qui veulent suivre les acheminements de conteneurs, de pièces ou de colis. L’opérateur s’est associé à IBM pour le projet Track&Trace mené auprès du groupe PSA au début de l’année 2019. L’opérateur toulousain a également créé la startup Safecube en partenariat avec Michelin et Argon Consulting. Cette nouvelle structure a mis au point une solution de suivi de conteneurs maritimes en « temps réel » en s’appuyant sur la zéro G.
« À partir du moment où un PSA se met à suivre les pièces automobiles, tous les autres s’y mettent parce qu’ils font appel aux mêmes sous-traitants », considère Christophe Fourtet.
Selon le CTO, la technologie de Sigfox s’adapte idéalement au suivi de paquet, de biens par conteneurs et par camion, le suivi de palettes et de chariots roll. Pendant un temps en retard sur les autres réseaux IoT, la société toulousaine a peaufiné la gestion des métadonnées issues des stations de base et du flux réseau, pour augmenter la précision de la géolocalisation extérieure et intérieure.
En juin 2019, DHL a signé un contrat pour connecter 250 000 chariots servant à acheminer du courrier et des colis. La perte de ce type d’équipement n’est pas rare. Outre le coût de remplacement (entre 200 et 250 euros l’unité) du roll, la perte de la marchandise qu’il contient peut coûter très cher en assurance à un service logistique.
An Post, l’équivalent de la Poste en Irlande fait également appel à Sigfox pour les mêmes raisons. Amadeus, fournisseur de solutions technologiques pour l’industrie du voyage et du tourisme, explore les possibilités de la zéro G pour suivre les bagages dans les aéroports. La technologie fait également des émules chez les professionnels de la télésurveillance.
« Cela prend du temps c’est presque inversement proportionnel à la simplicité du projet. Plus vous faites un produit simple, plus il est compliqué à produire et à concrétiser », constate le CTO.
Sigfox cherche des financements pour renforcer son infrastructure réseau
Ludovic Le Moan a répété à l’envi la volonté de son entreprise de connecter 1 milliard d’objets. Toutefois, un tel objectif requiert à la fois de convaincre des acteurs industriels, de disposer de l’infrastructure réseau nécessaire et d’avoir les bons partenaires. Pour la conception de composants, Sigfox s’est allié avec le Japonais Alps ALPINE dans le but de concevoir des capteurs et des composants adaptés aux usages du réseau, dont la connexion d’appareils autoalimentés (energy harvesting). C’est d’ailleurs ce fabricant qui l’a aidé à concrétiser le projet mené avec DHL.
Sigfox propose une couverture réseau totale ou partielle dans 71 pays avec le soutien de 51 opérateurs et a dernièrement annoncé qu’il s’installait en Russie. L’entreprise toulousaine s’est associée avec Energo Capital, une société de capital-risque, et l’opérateur Center2M, pour couvrir 85 % de la population russe. L’entité indépendante Sigfox Russia est responsable du déploiement et des opérations.
Pour élargir sa couverture aux zones non terrestres ou de faible densité de population, l’opérateur toulousain collabore avec Eutelsat afin de mettre en orbite une constellation de 25 nanosatellites. Les premiers lancements devraient avoir lieu en juillet 2020.
« Il y a dix ans quand nous avons décidé de faire des réseaux ne serait-ce que nationaux, tout le monde nous rigolait au nez. Les gens n’avaient pas mesuré que l’investissement nécessaire était beaucoup moins lourd », assure Christophe Fourtet. « À notre échelle, cela représente des financements conséquents, nous avons levé plus de 300 millions d’euros et reçu l’aide financière des opérateurs Sigfox, mais pour couvrir le même nombre de kilomètres carrés avec une autre technologie, cela nous aurait coûté des centaines de milliards si ce n’est plus ».
Ludovic Le Moan déclarait en juillet 2019 qu’il manquait 200 à 300 millions d’euros à Sigfox pour couvrir la surface du globe. « Nous sommes toujours en recherche active de fonds et une IPO est envisageable », confirme un porte-parole de Sigfox. Cependant, Christophe Fourtet estime qu’il n’est pas nécessaire de se presser. « L’expansion est pour nous un peu moins prégnante aujourd’hui. […] Nous avons démontré les capacités de notre réseau, la couverture est suffisante même pour des usages intensifs ».
Reste à savoir comment Sigfox va financer cette couche d’infrastructure à l’échelle mondiale.
« Il se peut qu’il y ait des fonds souverains qui investissent dans l’infrastructure réseau 0G. Il est trop tôt pour parler de la forme que cela va prendre, mais il est fort possible que les opérateurs Sigfox reçoivent un coup de pouce financier pour continuer le déploiement », annonce prudemment le CTO de Sigfox.
Une autre initiative vise le même objectif, selon les informations de DataNews. Les opérateurs du réseau LPWAN veulent se rassembler au sein de la 0 G United Nations. Cette association trouve son siège à Louvain, en Belgique. Les opérateurs, dont Engie M2M, veulent promouvoir les usages du réseau (notamment auprès des constructeurs automobiles), approcher les fabricants et faire du lobbying auprès des régulateurs internationaux.