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Le confinement va massivement pousser les entreprises dans le cloud
La généralisation du télétravail met brutalement en lumière le sous-dimensionnement des VPNs et des serveurs de VDI. Le cloud apparaît comme la solution de repli pour renouer avec les performances.
La France n’est pas la seule à éprouver la fiabilité de ses services en ligne à l’heure où une majorité de salariés se retrouvent à télétravailler depuis des connexions Internet domestiques. Au Royaume-Uni, les personnels viennent aussi d’être sommés de travailler chez eux pour réduire les risques de propagation du coronavirus.
Les experts auxquels LeMagIT s’est adressé s’accordent à dire que les entreprises qui ont déjà fait le grand saut dans le cloud public pour leur infrastructure, ou qui dépendent largement des applications SaaS (Software-as-a-Service), sont celles qui rencontreront le moins de difficultés techniques dans l’immédiat.
« La réalité, cependant, est qu’il y a relativement peu d’entreprises qui soient à 100 % en cloud public. Nombre d’entre elles sont encore très dépendantes de centres de données privés, pour héberger leurs applications critiques », indique Robert Rhame, directeur de l’intelligence économique chez Rubrik, un éditeur de solutions de protection des données en cloud.
En vérité, la plupart des entreprises se sont contentées de déplacer les fonctions d’appoint vers le SaaS ou l’IaaS public. « Elles avaient conservé les applications critiques dans leur propre datacenter afin de réduire la latence vers les postes de travail. Mais à présent que les bureaux se vident et que tous les employés travaillent à domicile, elles se rendent compte que la performance a basculé du côté du cloud », ajoute-t-il.
Le vrai problème du télétravail : des VPNs sous-dimensionnés
Pourquoi le cloud serait-il plus performant que les datacenters privés pour les salariés confinés chez eux ? D’abord à cause des VPN sous-dimensionnés répondent en chœur les experts.
David FriendPDG, Wasabi Technologies
« Les salariés ont très souvent besoin de se connecter à leur système d’information via des réseaux privés virtuels (VPN). Mais dans la plupart des cas, les DSI découvrent que leur solution VPN sous licence n’est pas calibrée pour prendre en charge la connexion de tous les utilisateurs possibles en même temps », lance David Friend, fondateur et PDG de la société de stockage d’objets dans le cloud Wasabi Technologies.
Il souligne que, jusque-là, le travail à domicile était effectué une ou deux fois par semaine. Dans ces conditions, les problèmes de performance liés au VPN étaient considérés comme un mal nécessaire par des utilisateurs qui gagnaient en échange de la flexibilité et un meilleur équilibre entre travail et vie privée. « En revanche, l’acceptation d’une expérience informatique dégradée diminue au fur et à mesure que la période de télétravail se prolonge. »
La solution est bien évidemment de muscler le VPN. Sauf que toutes les entreprises s’aperçoivent en même temps qu’il faut le faire. « Elles doivent résoudre des difficultés techniques et elles ont toutes besoin de l’aide des prestataires pour y parvenir. Mais même en temps normal, ceux-ci ne pourraient pas dépêcher des ingénieurs chez tout le monde à la fois. Alors en période de confinement… En clair, il est peu probable que tout fonctionne rapidement. »
Il n’y a plus assez de serveurs et d’informaticiens sur site
Le VPN n’est qu’une étape. Derrière, il faut aussi que les serveurs dévolus au télétravail, à commencer par les infrastructures VDI de postes distants, soient suffisamment nombreux pour tenir la charge. Selon nos informations, un certain nombre de fabricants de serveurs et de baies de stockage ont déjà commencé à contacter leurs clients, leur demandant de fournir un guide sur leurs priorités d’investissement informatique immédiates et à long terme, afin qu’ils puissent mobiliser leurs chaînes d’approvisionnement en fonction des besoins.
Reste à savoir s’il n’est pas trop tard : on voit mal comment les fournisseurs vont parvenir à faire livrer de grandes quantités de matériel rapidement.
Enfin, un troisième problème se pose : celui des personnels sur site. Les experts recommandent aux entreprises de suspendre toute tâche non essentielle de maintenance ou de mise à niveau pendant la pandémie, afin de réduire le nombre de personnes nécessaires sur place et le risque que l’infection se propage à l’ensemble des équipes. Il devient dès lors difficile de prédire quels effectifs seront d’astreinte pour résoudre un problème de connectivité, reconfigurer un VPN ou réceptionner et installer de nouveaux serveurs.
Les entreprises vont massivement passer au cloud
Bev WhiteHarvey Nash Group
« Le temps manque. Je pense plutôt que la demande de services en cloud va augmenter considérablement, afin que les DSI puissent fournir la bande passante et la capacité nécessaires à leurs employés », tranche aussi Bev White, la dirigeante du cabinet de recrutement Harvey Nash Group.
« La pression sur les serveurs sur site explose littéralement, alors que le cloud offre un environnement élastique, fiable et sécurisé, avec des garanties de haute disponibilité. Les entreprises de l’UE entière vont avoir besoin de ces technologies en ligne comme jamais auparavant. »
Mais comment assurer la bascule vers le cloud rapidement ? Nombre d’entreprises avaient mis en place un Plan de Reprise d’Activité (PRA) en cloud, à savoir un système qui sauvegarde en ligne les ressources sur site afin de pouvoir les restaurer ailleurs en cas d’incident majeur. L’idée serait de se servir de ces sauvegardes pour redéployer rapidement les datacenters des entreprises sous la forme de machines virtuelles en cloud.
Sauf que cette situation n’est pas généralisée. Et, pire : la plupart des entreprises qui ont déployé un PRA n’ont jamais vérifié qu’il était fonctionnel.
Bev WhiteHarvey Nash Group
« Les DSI n’ont plus le choix. Elles doivent apprendre en temps réel la manière de maintenir en opération les services, en mettant en place suffisamment d’alternatives et de sauvegardes afin de pouvoir s’adapter et réagir en fonction des besoins. Il ne s’agit pas de savoir quel est leur plan B, mais d’avoir déjà un plan C. Je ne doute pas que ce qui va se passer durant la crise aura un impact considérable sur les processus habituels et engendrera des changements profonds dans les pratiques à suivre », ajoute Bev White.
Il faudra aussi réorganiser le télétravail
James Tibury, directeur du cabinet de conseil ILUX, pense que les impacts possibles iront au-delà des seules questions techniques. Il évoque la réorganisation du temps de travail : « il faut expliquer aux salariés que le seul responsable de la dégradation des performances sur leurs applications est cette crise inattendue. Mais que la solution pour ne subir aucun ralentissement en télétravail est d’échelonner leurs heures. Il est important de le faire, car cela soulagera les équipes informatiques du stress insoutenable auquel elles sont actuellement confrontées. »
Un avis que partage Steve Barrett, patron pour la zone EMEA de PagerDuty, un prestataire spécialisé dans le monitoring des serveurs : « cette crise désorganise le travail de chacun. Or, le travail non planifié est le vrai danger pour tous les salariés. Il génère du stress, qui contribue à l’apparition de problèmes de santé, à l’absentéisme. Et qu’il s’agisse des personnels informatiques comme des autres, ces inconvénients sont bien la dernière chose dont les entreprises ont besoin en cette période de crise. »
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