L’Europe se lance dans la normalisation d’un réseau fibre F5G
F5G doit standardiser des infrastructures en 10 Gbit/s, mais aussi le transport des flux vers les antennes 5G. En filigrane, les bornes Wifi-6 seront surveillées et le Chinois Huawei semble aux commandes.
L’organisme en charge des standards pour les télécommunications en Europe, l’ETSI, lance un nouveau groupe de travail pour bâtir une nouvelle génération de réseaux fibres sur le continent. Baptisé F5G, ce projet est censé implémenter au niveau des infrastructures fibres de nouvelles technologies de distribution optique.
Cela comprendra d’abord la définition d’une norme XG(S)-PON pour véhiculer des dizaines de Gigabits par seconde entre les nœuds de raccordement des opérateurs et les points de mutualisation des quartiers ; l’enjeu est, d’une part, de proposer des connexions Internet 10 Gbit/s là où elles se limitent aujourd’hui à 1 Gbit/s. Et d’autre part de standardiser le transport du haut débit capté et diffusé par les antennes 5G.
« Avoir un standard européen est une nécessité. Car, d’un côté, il faut offrir aux utilisateurs une couverture 5G qui fonctionne avec les mêmes terminaux partout en Europe. Mais, de l’autre, chaque équipementier fibre et chaque fournisseur d’accès propose une méthode propriétaire pour transporter ces signaux. Cette situation ne peut plus durer », a défendu Oğuzkağan Kanlıdere, l’architecte de l’opérateur Turk Telekom, membre du groupe F5G, lors d’une conférence de l’ETSI qui s’est tenue en ligne fin février.
Il y aura aussi la prise en charge de bout en bout de communications constituées de différentes couches applicatives, à la manière du « slicing » qui doit être mis en œuvre dans la 5G mobile. Sont également prévus des dispositifs de reconfiguration autonomes, ou encore des paramètres liés à la gestion de l’énergie.
Plus étonnant, la mise au point de toutes ces technologies devrait permettre de contrôler, depuis l’infrastructure fibre, la qualité de service au niveau des bornes Wifi-6 installées chez les utilisateurs, particuliers comme entreprises.
L’ombre de Huawei plane
Pour le journaliste Robert Clark, un spécialiste des télécoms basé à Hong Kong, F5G ne serait ni plus ni moins qu’une tentative de Huawei de noyauter, avec ses équipements, les réseaux de fibre en Europe. Comme il va vraisemblablement déjà le faire avec les infrastructures mobiles 5G.
Robert ClarkJournaliste indépendant
« C’est Huawei qui est à l’initiative du concept F5G. D’une part, il s’agit de promouvoir sa technologie 10GPON pour incarner le XG(S)-PON, sachant que, derrière, Huawei aura aussi des ambitions pour le 50GPON. Kevin Huang, leur vice-président en charge des produits de transmission et d’accès, a publiquement indiqué que les cinq prochaines années seraient un âge d’or pour leurs technologies 10 Gbit/s. Il a ajouté que Huawei travaillait avec des opérateurs dans tous les pays pour promouvoir le 50G-PON », écrit-il dans un billet de blog daté d'octobre 2019.
Le 10GPON doit succéder à l’actuel GPON qui permet de véhiculer 2,4 Gbit/s sur la fibre qui part d’un nœud de raccordement et arrive à un point de mutualisation pour desservir jusqu’à 64 fibres FTTH urbaines. Les différentes technologies GPON correspondent à des équipements capables d’envoyer par laser une fréquence lumineuse en particulier, avec une portée de 10 à 20 km selon le nombre de fibres FTTH connectées.
Il est probable que le 10GPON de Huawei permette de desservir 128 fibres FTTH.
« D’autre part, Huawei explique aux opérateurs que l’un de leurs principaux problèmes est d’essuyer les plaintes de leurs utilisateurs à cause des dysfonctionnements du Wifi, alors qu’ils ne peuvent pas y faire grand-chose. Et il propose d’y remédier dans F5G, avec un nouveau système capable de remonter, parmi différentes métriques, la qualité de service du Wifi-6 côté utilisateurs », ajoute-t-il.
Il pointe que Huawei s’était déjà rapproché dès 2018 de l’ITU-T, l’institut en charge des normes de télécommunication à l’échelle internationale, pour faire accepter ses technologies.
Comme par hasard, le jour même de l’annonce du groupe de travail F5G, Huawei présentait à Londres des équipements OptiXstar V864 et K654 qui supportent justement le 10GPON et implémentent le slicing des trames pour identifier les métriques du Wifi-6. Selon le communiqué, ces équipements sont dotés d’une puce d’accélération capable d’analyser l’activité de chaque borne Wifi-6 chez les utilisateurs afin d’attribuer des priorités aux flux. Au final, ces équipements permettraient de réduire la latence de 50 % dans les communications en visioconférence.
En fin de compte, le consortium F5G n’a même pas à développer quoi que ce soit, puisque Huawei a déjà implémenté ce qu’il est censé définir.
Un projet de « Fibre to Everything Everywhere »
Officiellement, F5G signifie « réseaux Fixes de 5e Génération ». Mais de l’aveu même des responsables, il s’agissait surtout de trouver un nom qui résonne avec la 5G dans les mobiles.
Luis AlveirinhoAltice Portugal
« On parle beaucoup de 5G, mais on oublie que la fibre qui est censée véhiculer les flux de ces antennes mérite tout autant d’attention. Notre travail doit aboutir à une nouvelle génération de réseaux fixes qui concrétiseront et consolideront l’ère du Gigabit des années 2020. Il ne s’agit pas que de relier les antennes aux opérateurs, il s’agit de supporter les services qui vont avec. Vraiment, la 5G ne sera rien sans un réseau fixe adapté derrière », s’est emporté Luis Alveirinho, directeur technique de l’opérateur Altice Portugal, membre de l’ETSI également impliqué dans la définition de F5G.
Le groupe de travail sera divisé en cinq sous-groupes, chacun censé définir quelque chose : les services pour les utilisateurs, les technologies, les standards tels qu’ils devront être rédigés, les équipements et les qualités de service que devront respecter les opérateurs.
« Nous voulons parler de Fibre To Everything Everywhere (FTEE), une nouvelle génération de fibres qui aura suffisamment de bande passante pour supporter des technologies mobiles qui fonctionnent en THz, leur apporter des fonctions d’intelligence artificielle et leur permettre d’utiliser la prochaine génération d’appareils dits d’Internet tactile », a ajouté, solaire, le professeur Ronald Freund, en charge du département Photonics Networks & Systems, au Fraunhofer Insitute, l’un des membres de l’ETSI impliqué dans la mise au point des technologies de la F5G.
Selon ses dires, le Fraunhofer Institute serait déjà en train de plancher sur une technologie 100GPON, mais aussi sur la future 6G, ou encore un LiFi (sorte de Wifi à base de lumière) capable d’atteindre plusieurs Gigabits par seconde. Son actualité la plus immédiate sera le codec H.266, qui doit être normalisé d’ici à la prochaine rentrée pour optimiser les flux vidéo de grande qualité. Toutes ces technologies sont censées être implémentées dans les infrastructures F5G à des fins de monitoring et d’optimisation automatique du trafic.
Parmi les opérateurs impliqués dans F5G, seul Bouygues Telecom a répondu présent pour la France.