SiPearl reçoit les premiers 6,2 M€ pour lancer le processeur européen
Entité commerciale du consortium EPI, l’entreprise fondée en juin doit intégrer un ARM surpuissant, commander sa fabrication à TSMC, puis le vendre dans les supercalculateurs et les voitures de l’UE.
SiPearl, l’industriel qui implémente le projet de processeur européen EPI vient de recevoir de la part de l’EU le financement de 6,2 millions d'euros qui doit lui permettre de lancer dès 2022 sa première puce de série pour supercalculateurs. Si tout se passe bien, cet investissement public sera suivi de plusieurs levées de capitaux, avec l’objectif d’apporter aux pays de l’Union une indépendance technologique. Une ambition que la Chine est elle aussi en train de concrétiser.
« Nous parlons là de permettre aux puissances européennes de mener leurs projets de recherche et leurs simulations industrielles sans dépendre de quelque manière que ce soit d’une influence américaine ou asiatique », lance Jean-Marc Denis, président du consortium EPI, lors d’une rencontre avec LeMagIT.
« En France, le CEA – le Commissariat à l’Energie Atomique - a déjà subi trois embargos américains dans les années 80. Cela signifie que durant ces moments-là, plus aucun équipement de fabrication américaine ne pouvait être maintenu. En clair, l’informatique dont dépend les simulations nucléaires n’était plus mise à jour. Il est tout simplement inacceptable que cela puisse se reproduire. Tout comme il n’est pas souhaitable de courir le risque d’utiliser dans des applications critiques des technologies qui pourraient avoir une backdoor au service d’une puissance étrangère », ajoute-t-il.
Le consortium EPI (European Processor Initiative) se compose, outre SiPearl, de vingt-six autres grands groupes européens. Parmi eux, citons des centres de supercalcul, comme le CEA, le Genci, le BSC, des acteurs de la R&D comme Fraunhofer, des spécialistes des semiconducteurs comme STMicroelectronics et Infineon, des fabricants de supercalculateurs comme Atos (via la marque Bull) et E4, ou encore des industriels comme BMW.
« Produire un processeur pour les supercalculateurs n’est que la première étape. Pour que ce projet soit rentable, nous devons avoir derrière un marché de volume. Et ce sera celui des voitures intelligentes, car il est également critique pour les constructeurs automobiles européens de s’appuyer sur une technologie qui ne dépende pas d’une puissance étrangère », précise Jean-Marc Denis.
Un ARM capable de délivrer 35 GFLOPS/watt
En tout, 200 ingénieurs planchent sur les différents designs qui doivent constituer le processeur européen. Dans un premier temps, il s’agira principalement d’un puissant processeur ARM capable de délivrer 35 GFLOPS/watt, là où les processeurs traditionnels atteignent au mieux 15 GFLOPS/watt.
Dans un second temps, le cœur du processeur s’entourera d’accélérateurs spécialisés. Le consortium étudie à ce propos les possibilités autour des designs Risc-V. Risc-V est un projet de processeur Open source lancé par l’université de Berkeley, dans la Silicon Valley en 2015. Il est financé par Alibaba, Google, Thalès, Samsung, Micron, Qualcomm, NVidia et une douzaine d’autres acteurs du numérique. Il est désormais supporté par la communauté Linux, le but étant de sortir de l’hégémonie d’Intel pour que chacun puisse fabriquer ses propres puces serveur sans reverser de licence.
« On nous demande souvent pourquoi nous sommes partis sur un processeur ARM, qui suppose de reverser des licences à ARM, plutôt que sur du Risc-V. Vous savez, le design d’un processeur a beau être Open source, sa fabrication n’est jamais gratuite. Nous avons donc préféré investir sur un design éprouvé, pour lequel il existe déjà un écosystème d’applications sur le marché », indique Jean-Marc Denis.
Il précise qu’utiliser des circuits issus des développements autour de Risc-V n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Le consortium EPI entend aussi tirer profit des développements du Français Kalray. Non seulement son processeur MPPA3 Coolidge est susceptible d’incarner les contrôleurs réseau et stockage des futurs serveurs équipés d’EPI, mais ses circuits pourraient aussi être plus directement intégrés aux processeurs EPI pour accélérer les applications liées à l’intelligence artificielle, comme la reconnaissance d’images.
Le processeur auquel celui d’EPI ressemble le plus sur le papier est actuellement l’A64FX, une puce ARM 48 cœurs mise au point par Fujitsu pour succéder à ses processeurs Sparc64 dans les supercalculateurs « Post-K » qu’il entend commercialiser en 2021.
SiPearl, l’entreprise privée qui endosse le risque commercial
Si le rôle d’EPI est de concevoir les différentes briques du futur processeur européen, notamment via un financement de 150 millions accordé par l’UE et versé jusqu’en 2024, celui de l’entreprise privée SiPearl est plutôt de commander la fabrication de la puce aux usines TSMC, sur sa nouvelle chaîne de gravure en 6 nm. C’est également SiPearl qui se chargera ensuite de commercialiser le processeur EPI, qui empochera les recettes de ses ventes et qui deviendra de facto le propriétaire de la technologie.
« Nous sommes l’intégrateur du consortium. Notre rôle est de porter le risque industriel. Il nous revient de mettre un prototype sur le marché en 2021, puis de vendre une première version finalisée aux fabricants de supercalculateurs à partir de 2022, puis de lancer une seconde version pour le Edge computing et les voitures entre 2026 et 2027 », explique au MagIT Philippe Notton, le PDG de SiPearl.
« Si l’un de ces objectifs n’est pas rempli, si la promesse d’un processeur qui délivre 35 GFLOPS/watt n’est pas tenue, alors les marchés du supercalcul, du Edge et de l’industrie automobile se passeront du processeur EPI. Et c’est SiPearl qui serait comptable de cette situation, en aucun cas le consortium », ajoute-t-il.
Pour l’heure, SiPearl, lancé en juin 2019, ne compte que quelques employés ; ils seront une dizaine en mars prochain, pour l’essentiel des anciens de STmicroelectronics et de MStar Semiconductor, où Philippe Notton a officié durant les années 2010.
« Outre la commercialisation du processeur, il nous revient aussi une tâche de design final dans laquelle entrent des considérations de sécurité. Nous voulons pouvoir dire aux fabricants de serveurs et aux industriels que notre processeur apportera une protection matérielle aux applications, pour qu’elles ne puissent pas être corrompues ou espionnées en cours d’exploitation », conclut-il.