À Paris, Red Hat s’adresse aux développeurs mais séduit les DSI

L’événement Red Hat Forum 2019 démontrait aux développeurs les possibilités offertes par OpenShift et Ansible. Mais les DSI restent ceux qui signent les chèques.

Red Hat va-t-il réussir son pari de changer radicalement de cible ? À Paris, l’éditeur vient en tout cas de se donner les moyens de séduire d’abord les développeurs au détriment de sa clientèle habituelle de DSI.

Lors de l’édition 2019 de son Red Hat Forum, il n’était plus question de venir vendre des logiciels d’infrastructure Open source pour concurrencer VMware et consorts dans le cœur des administrateurs système. À la place de la traditionnelle solution de virtualisation OpenStack et du si puissant système de stockage virtualisé Ceph, tous les stands ne parlaient plus que des usages autour d’OpenShift. Censée promouvoir les développeurs à un rôle de DevOps, cette plateforme leur permet d’activer automatiquement des environnements d’exécution pour tester ou mettre en production les codes qu’ils écrivent. 

Point d’orgue de la manifestation, sur scène, la Banque de France déploie avec OpenShift une application d’abord sur site, puis dans un cloud, puis dans un autre. Et, miracle, les règles définies au départ – d’exécution, de montée en charge, de sécurité, etc. – continuent de fonctionner à chaque fois. Le public est conquis : il serait donc possible de mettre son informatique en multicloud sans forcément perdre la main sur les coûts d’infrastructure et les risques de piratage. Et tout cela grâce à un outil manipulable uniquement par des développeurs.

« Nous nous ouvrons sur la nouvelle façon de travailler de nos clients. La DSI est dans une dynamique où elle perd du pouvoir dans les projets », dit, le plus diplomatiquement possible Jean-Christophe Morisseau, le patron de Red Hat pour la France. « Alors, pour la première fois, nous avons aménagé sur notre événement un grand espace estampillé Développeurs qui leur est exclusivement réservé. L’écosystème change, nous nous adaptons. » 

Parler aux développeurs plutôt qu’aux DSI

Pourtant, des critiques dénoncent, jusque dans nos colonnes, un abandon un peu rapide des DSI au profit, si ce n’est développeurs, des directions métiers. Et pour cause : celles-ci ont hérité de l’essentiel des budgets techniques, car, selon les principes de la sacro-sainte transformation digitale, ce sont désormais les métiers qui donnent des ordres aux développeurs et, donc, qui achètent leurs outils.

Mais selon un rapide sondage effectué sur place par LeMagIT, l’essentiel des visiteurs du Red Hat Forum Paris 2019 était toujours des DSI.

« Je viens pour m’informer sur toutes les nouvelles opportunités autour d’OpenShift » confie par exemple au MagIT Thiery Tredan, qui est DSI de Covéa-Tech, la branche innovation de la maison mère des assurances MAAF, MMA et GMF. Contrairement à ce que laisse entendre le message très américain de Red Hat, personne chez Covéa-Tech n’imagine confier à quelqu’un d’autre qu’à son DSI la tâche de sélectionner les technologies internes.

De l’avis des spécialistes, les DSI sont toujours légitimes sur le Red Hat Forum, car il a bien fallu faire appel à des experts pour encadrer le fonctionnement des trois premières versions d’OpenShift, jugées décevantes. Elles imposaient en effet de repartir de zéro à chaque mise à jour. Depuis la version 4, qui apporte la prise en charge des infrastructures Kubernetes, ce n’est plus le cas : la batterie de containers déployée pour exécuter les travaux des développeurs restera toujours la même. Il ne faudra plus réécrire toutes les règles ni réapprendre à se servir des outils. Il n’empêche, les DSI sont toujours à la manœuvre pour acheter les accessoires.

« Avec mon équipe nous avons commencé à mettre en œuvre OpenShift l’année dernière, pour que nos développeurs soient autonomes lorsqu’ils doivent activer des infrastructures sur lesquelles tester ou publier leurs codes. Désormais, je m’interroge sur les outils qui vont autour : Kubernetes pour orchestrer les morceaux de code en containers, mais aussi la sécurisation », poursuit Thiery Tredan.

« De toute façon, il faut bien au départ des informaticiens pour installer OpenShift », observe pour sa part Philippe Entringer, directeur technique Infra&Cloud chez l’ESN Devoteam. « Qui plus est, si une entreprise souhaite que ses applications se fassent en cloud, la disponibilité d’une couche Kubernetes sur le cloud public visé ne suffit pas. Pour que les règles d’Openshift définies sur site s’appliquent automatiquement dans le cloud, il faut aussi quelqu’un qui sache aller installer Openshift sur les machines virtuelles de ce cloud. »

« Les entreprises voient dans le cloud un accélérateur de leurs projets, puisque les ressources en ligne sont immédiatement disponibles et éliminent le ticket d’entrée d’acheter du matériel. Néanmoins, le cloud n’accélère rien du tout s’il faut continuer à faire des actions manuelles derrière, pour raccrocher une application à un service tiers », ajoute son collègue Kevin Tibi, consultant chez Devoteam.

« Pour éviter cela, le maître-mot est l’automatisation. Red Hat a un très bon produit pour tout automatiser : Ansible. Sur cet événement, ils présentent Ansible comme un outil DevOps. Mais, en pratique, toutes les personnes que nous rencontrons et qui utilisent Ansible pour définir des règles d’automatisation – des Playbooks – sont des administrateurs système chapeautés par les DSI », assène-t-il. Et d’expliquer que, techniquement, Ansible est bien le seul outil qui sert à déployer des ressources, tandis qu’Openshift sert à les maintenir en production. Les développeurs ne font en réalité qu’activer à la demande des ressources qui sont toujours préparées par les DSI.

« Il y a l’idée que les outils DevOps feront perdre leur emploi aux personnels des DSI. Mais en pratique, si des postes d’informaticiens disparaissent, la raison est plutôt à chercher dans la préférence actuelle pour des applications clientes en SaaS, comme Salesforce ou autour de SAP », estime Thiery Tredan.

Il minimise l’impact des DevOps parmi le personnel informatique des entreprises : « les DevOps, ce sont surtout des développeurs qui vont travailler sur les nouveaux portails web qui donnent accès à des systèmes de données derrière, gérés par les DSI. »

Parvenir à vendre des logiciels Open source

Reste que le réel objectif de Red Hat durant son événement parisien était surtout de convaincre les entreprises de lui acheter des licences pour des logiciels qui, à la base, sont en Open source.

« La question est toujours de savoir si nous aurons besoin de support pour utiliser les logiciels de Red Hat. Et elle se pose d’autant plus pour les outils DevOps puisque, par définition, ils servent surtout actuellement à faire des tests », indique Thiery Tredan. Il précise que les applications de Covéa s’exécutent sur des machines virtuelles – virtualisées par VMware – et que, selon leur importance en production, celles-ci tournent tantôt sous un Red Hat Enterprise Linux payant, tantôt sous CentOS, sa déclinaison gratuite.

« L’avantage de l’Open source est que ce sont des produits d’appel : les entreprises peuvent tout essayer gratuitement. Puis, quand elles doivent industrialiser, elles font appel à Red Hat qui leur vend la garantie que tout fonctionnera », dit Kevin Tibi. Selon lui, le calendrier des industrialisations chez les entreprises concerne justement en ce moment les outils DevOps. Il ne faudrait donc pas chercher plus loin les efforts de Red Hat pour séduire les développeurs lors de cet événement.

« Paradoxalement, les développements les plus intéressants actuellement en Open source sont autour du réseau OpenStack et de Ceph. Parce qu’il reste tout à faire pour virtualiser des réseaux en 100 Gbit/s qui sont encore gérés par des puces matérielles, tout comme il y a de fortes possibilités d’amélioration pour les écritures en parallèle sur des nœuds de stockage. Mais ces technologies sont tellement en avance de phase qu’il n’y aurait rien à montrer sur un salon tel que celui-ci », analyse Philippe Entringer.

« Ceph présente l’intérêt exclusif de mutualiser le stockage des datalakes. C’est un produit qui marche très bien, mais qui adresse des problématiques complexes. Commercialement, Ceph représente chez Red Hat de très grosses ventes, mais uniquement sur deux à trois gros projets par an », conclut Jean-Christophe Morisseau.

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