Décès de Mark Hurd : Oracle pleure
Pour les analystes, le décès du co-PDG d’Oracle à seulement 62 ans rappelle l’importance des plans de succession. L’éditeur envisagerait aujourd’hui plusieurs options entre lesquelles il devra rapidement trancher, aussi bien pour rassurer Wall Street que ses clients.
Édit du 22 octobre : le titre de cet article a été changé. Le premier, maladroit, pouvait laisser entendre qu’Oracle allait mal au lieu de traduire l’idée que l’entreprise éprouvait de la douleur à la disparition de son co-PDG.
Mark Hurd, le co-PDG d’Oracle, est mort à l’âge de 62 ans. Il était un des dirigeants les plus expérimentés dans le secteur IT avec une carrière de 40 ans marquée notamment par un passage chez Hewlett-Packard dont il avait été le PDG avant de rejoindre Oracle.
Mark Hurd avait pris un congé maladie en septembre. Les rumeurs sur l’état de santé du dirigeant avaient pris de l’ampleur depuis plusieurs mois. Il était évident qu’il portait une perruque lors de ses passages à la télévision. Et, disait-on en interne, il manquait de plus en plus de réunions.
Un « cost-killer » doublé d’un commercial né
« C’est avec une profonde tristesse et un sentiment de vide que j’annonce, à vous tous chez Oracle, que Mark Hurd est décédé tôt ce matin », a écrit Larry Ellison, CTO, président exécutif et fondateur d’Oracle, sur le site Web personnel de Mark Hurd. « Il était mon ami proche, irremplaçable, et un collègue dans lequel j’avais toute confiance ».
Larry Ellison avait, involontairement, donné une indication sur le sérieux de la maladie de Mark Hurd en septembre, lors de l’OpenWorld 2019. Au cours de sa keynote, le CTO avait évoqué rapidement l’absence de son ami co-PDG ; mais il n’avait pu s’empêcher de marquer une pause pour tenter de retenir ses larmes, difficilement, avant de continuer son discours.
Mark Hurd était devenu président d’Oracle en 2010, après un parcours controversé en tant que PDG de Hewlett-Packard. Ses détracteurs l’accusaient d’être un « cost killer » excessif et d’avoir sacrifié la R&D sur l’autel de cette stratégie de réduction des coûts.
Il avait finalement dû quitter ses fonctions chez HP après un scandale ayant plus à voir avec une affaire de mœurs. Il aurait en effet engagé une conseillère en marketing, Jodie Fisher, ex-modèle de charme, avec qui il aurait eu ou tenté d’avoir une aventure extra-conjugale.
Larry Ellison avait, à l’époque, défendu son ami et qualifié la décision du board de HP de se séparer de son ami de « la pire décision depuis celle des crétins du board d’Apple qui avaient décidé de révoquer Steve Jobs ».
Joignant le geste à la parole, il avait rapidement engagé Mark Hurd comme président d’Oracle en charge des ventes et du marketing. Mark Hurd avait ensuite été nommé co-PDG d’Oracle, en duo avec Safra Catz. Il a occupé ce poste jusqu’à son départ forcé en septembre.
« Mark Hurd a joué un rôle déterminant dans la manière dont Oracle a changé sa manière de vendre ses produits à ses clients », souligne aujourd’hui Ray Wang, fondateur de Constellation Research. « Il a relancé un programme pour attirer de jeunes commerciaux, et il a joué un rôle déterminant dans l’évangélisation des applications SaaS et de l’infrastructure cloud auprès des clients ».
Cinq noms dans le plan de succession (dont Bill McDermott ?)
Oracle n’a pas encore décidé qui succéderait à Mark Hurd. Mais lors d’une réunion avec des analystes financiers, en marge de l’OpenWorld, Larry Ellison avait précisé qu’il présenterait cinq candidats au conseil d’administration d’Oracle au cas où Mark Hurd ne pourrait pas revenir (ce qu’il savait déjà).
Deux noms sur les cinq sont d’ores et déjà officiels : Steve Miranda, responsable de longue date des applications métiers, et Don Johnson, qui dirige l’Oracle Cloud Infrastructure.
Parmi les outsiders qui pourraient venir de l’extérieur, le nom de Bill McDermott commence à circuler. Le désormais ex-PDG de SAP a fait savoir la semaine dernière qu’il ne renouvellerait pas son contrat avec l’éditeur allemand dont il occupait la direction depuis 2014.
Sur le papier, Bill McDermott est un choix improbable, étant donné la rivalité féroce entre les deux éditeurs. Mais tout comme Mark Hurd, Bill McDermott est un commercial dans le sang, et il possède une compréhension fine d’Oracle puisqu’il en a été le principal concurrent depuis de longues années. Bill McDermott a également déjà travaillé dans un modèle de co-direction chez SAP, un modèle qui aurait les faveurs de Larry Ellison (même si, là aussi, rien ne semble définitivement tranché).
Holger MuellerConstellation Research
Si Larry Ellison choisissait un dirigeant plus orienté « produits » – comme Steve Miranda ou Don Johnson – il s’agirait d’un changement significatif de culture pour le Top Management d’Oracle. Mark Hurd s’occupait en effet des ventes, tandis que Safra Catz, une confidente de très longue date de Larry Ellison, supervise les opérations, le légal et les finances.
« Mark Hurd a toujours été un homme de chiffres et un leader avec une approche rationnelle qui s’intégrait très bien dans la culture d’Oracle », rappelle Holger Mueller, analyste chez Constellation Research. « [Ce qui va se passer] est une piqûre de rappel pour toutes les entreprises de l’importance des plans de succession internes. Car une catastrophe ou une maladie peuvent survenir à tout moment ».
Thomas Kurian, responsable du développement de produits chez Oracle depuis plusieurs années, est parti l’année dernière – après, dit-on, plusieurs désaccords avec Larry Ellison – pour devenir le CEO de Google Cloud. D’autres responsables l’ont suivi, dont Amit Zavery. Mais le vaste vivier interne de cadres techniques a pu atténuer en partie l’effet de ces départs pour Oracle. Pour Holger Mueller, « la succession du côté commercial pourrait être un peu plus délicate, car Oracle n’a pas d’autre véritable responsable mondial des ventes en poste ».
Retour de Larry Ellison, CEO unique, nomination : Oracle devra (vite) trancher
Une autre possibilité, temporaire, serait que Larry Ellison lui-même revienne aux commandes. Bien qu’âgé de 75 ans, l’inoxydable fondateur d’Oracle a assumé au pied levé les fonctions de Thomas Kurian depuis son départ. Et il est apparu on ne peut plus vif et en forme à l’OpenWorld.
Quoi qu’il en soit, « Wall Street et les plus importants clients d’Oracle voudront savoir clairement quel est le plan de succession », prévient Jean Bozman, analyste senior chez Hurwitz & Associates. « Peut-être que le conseil d’administration d’Oracle voudra que Larry revienne. Mais s’il le faisait, ce serait probablement pour une courte période, juste pour rassurer Wall Street ».
D’après elle, Oracle a plusieurs autres options à sa disposition, dont celle de faire de Safra Catz la seule et unique CEO de l’éditeur. « Elle est très professionnelle et très sobre », souligne Jean Bozman. « Elle a également un long parcours dans l’entreprise où elle s’est vue confier de nombreuses responsabilités. Il n’est pas exclu qu’elle puisse devenir la seule PDG [en tout cas] pour le court terme ».