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Les éditeurs de logiciels français en quête de locomotives
Avec une croissance de 10 %, les éditeurs de logiciels français font preuve d’un dynamisme modéré en 2018. Les chiffres glanés par EY pour le Syntec Numérique pointent toutefois de fortes disparités entre le Top 10 du classement des 250 premiers éditeurs français et les suivants.
Avec un chiffre d’affaires de 16 milliards d’euros en 2018, les plus gros éditeurs de logiciels français maintiennent une croissance à deux chiffres. Après +13 % entre la période 2016/2017, ce chiffre de 10 % de croissance est toutefois décevant à l’heure où « le logiciel dévore le monde », pour paraphraser Marc Andreessen, le cofondateur de feu Netscape Navigator.
Paradoxalement, c’est le Top10 du classement qui provoque ce léger ralentissement. « Sans les dix premiers du classement, la croissance affichée par le secteur atteindrait 18 % » affirme Jean-Christophe Pernet, associé EY en charge de l’étude annuelle Top250. Avec une croissance modeste qui a vu son chiffre d’affaires lié à l’édition passer de 2,89 milliards d’euros en 2017 à 3,08 milliards en 2018, la croissance de Dassault Systèmes marque le pas.
D’autre part les difficultés que traverse Criteo, le numéro 2 du classement ne sont plus un mystère. Son chiffre d’affaires recule, passant de 2,036 milliards en 2017 à 1,947 en 2018. On retrouve cette même érosion chez Sopra Steria dont l’activité édition chute de 619 millions d’euros à 615,5 millions. À l’opposé, c’est du côté des éditeurs de jeux vidéo que le dynamisme est le plus fort, avec une croissance de 41 % du chiffre d’affaires sur ces deux dernières 2 années.
Le Saas devient le modèle d’achat du logiciel numéro 1 pour les DSI
Tous les éditeurs présents lors de la présentation du Top 250 du Syntec en conviennent, le marché du logiciel est clairement en train de basculer dans le cloud. Néanmoins, 20 ans après la création de Salesforce.com, seulement 49 % des éditeurs français placent le SaaS en tête de leurs priorités, devant la mobilité, l’intelligence artificielle, la sécurité et surtout DevOps alors que l’intégration continue devrait être la règle chez tout éditeur de logiciel digne de ce nom.
« Cette année sera très structurante vis-à-vis du Saas. Le chiffre d’affaires généré par ce modèle est passé de 24 % à 37 % en trois ans et tous les éditeurs de moins de 5 ans développent désormais des offres Saas », précise Jean-Christophe Pernet.
Gilles Mezari, PDG de Saaswedo ajoute : « Il y a trois ans, nous sommes passés de DSI qui ne voulaient rien dans le cloud à la volonté de ne choisir plus que des solutions Saas. Ils veulent des solutions multitenant, mais avec des garanties de sécurité, des garanties de conformité au RGPD ». Le secteur du logiciel bascule vers un modèle hébergé sur abonnement et plusieurs des jeunes éditeurs primés par le Syntec Numérique comme Algolia ou Mirakl l’ont souligné, leurs logiciels ne sont disponibles qu’en SaaS.
Pour les éditeurs, le manque de développeurs bride l’essor du secteur
La bonne santé des éditeurs qui sont au-delà du Top 10 reste encourageante pour l’écosystème français. Certains verrous sont en train de sauter, notamment celui du financement. Seulement 31 % des éditeurs font appel au capital-investissement, mais les choses évoluent rapidement, avec d’une part les initiatives du gouvernement telles que le Next 40, la montée en puissance du capital-risque ou encore l’arrivée d’investisseurs américains sur le marché français.
« Il y a 7 ans, on ne trouvait en France que des fonds d’amorçage » souligne julien Lemoine, CEO d’Algolia, qui rajoute « aujourd’hui on peut mener des levées de fonds de série A et B en France ; je dirais que seule la dernière levée de fonds avant l’introduction en bourse implique de se tourner vers des investisseurs étrangers. »
S’il est plus facile pour les jeunes éditeurs de trouver de l’argent pour se développer, le manque de développeurs reste le point noir pour l’ensemble des éditeurs. L’étude d’EY montre que les éditeurs ont créé 14 800 emplois en 218, soit 8 % de mieux en un an, mais les ¾ d’entre eux expliquent que la pénurie de talents sur le marché constitue un frein à leur développement.
Les filières de formation classiques peinent à satisfaire l’appétit des éditeurs de logiciels et certains prennent l’initiative. Outre l’école 42 de Xavier Niel, les écoles d’IA de Microsoft ou encore les écoles du numérique qui fleurissent en province, Algolia et Mirakl ont décidé de s’allier pour créer un labo de R&D commun à Bordeaux afin de séduire les développeurs peu enclins à s’installer dans la région parisienne.
Citant une étude de la Direction de l’animation de la recherche des études et des statistiques (Dares) ; Philippe Tavernier, délégué général du Syntec souligne : « Il manquerait 80 000 talents en France, il faut donc diversifier les sources, les modèles et les expériences pour arriver à servir notre industrie. C’est un sujet qui est crucial pour les éditeurs de logiciel, mais aussi pour les ESN ; les sociétés de conseil et le Cigref partagent notre analyse. Il nous faut être créatifs pour trouver des formules qui attirent les gens. La modification de la convention collective est une solution possible, mais je rappelle que le droit du travail a changé il y a 2 ans et qu’il fait la prééminence des accords d’entreprise sur les accords de branche. Rien n’empêche les entreprises de négocier des accords d’entreprises en fonction de leurs sujets sur les conditions de travail, la gestion des astreintes, etc. »
Cloud Act : attention à ne pas créer de défiance vis-à-vis du cloud
S’il est un sujet sur lequel le Syntec est quelque peu gêné aux entournures, c’est bien sur le sujet du Cloud Act. L’association compte tant des éditeurs américains prompts à expliquer l’innocuité du Cloud Act vis-à-vis des données business de l’entreprise que des éditeurs français qui n’hésitent pas à jeter de l’huile sur le feu et faire du stockage des données en France un argument commercial choc.
Un porte-parole du Syntec souligne : « Nos adhérents nous remontent l’inquiétude des DSI vis-à-vis du Cloud Act et nous constatons un ralentissement dans l’adoption du cloud du fait de cette crainte ». L’association craint de voir les entreprises françaises prendre du retard dans l’adoption du cloud et pousse l’Europe et l’État français à clarifier une situation quelque peu nuageuse.
« Nous avons 2 recommandations vis-à-vis du Cloud Act. Nous souhaitons d’une part que l’Union européenne engage très rapidement des discussions afin d’obtenir un accord bilatéral réciproque pour faciliter les échanges entre Union européenne et États-Unis. D’autre part, afin d’aller au-delà des positions et postures de chacun, il faut mener une analyse documentée de toutes les réglementations relatives aux données, une analyse qui soit objective et qui évalue leur impact réel pour les entreprises, pour les citoyens, un travail qui n’a toujours pas été fait ! Nous travaillons sur le sujet avec Bercy, et nous demandons une analyse documentée sur ces impacts liés à la réglementation, mais c’est très compliqué à obtenir. »