Oracle : « notre cloud n’est pas en retard, il a des idées neuves »
Selon Clay Magouyrk, le patron de l’offre IaaS publique, les entreprises s’intéresseront plus aux ambitions inédites du cloud OCI qu’à son arrivée tardive sur le marché.
L’arrivée tardive d’Oracle sur le marché du cloud public a suscité le scepticisme des observateurs. Le fournisseur tâche néanmoins d’avoir quelques approches originales, comme un cloud autonome, un partenariat absolument inattendu avec Microsoft ou encore l’allègement de la responsabilité de ses clients en cas de cyberattaque.
L’offre Oracle Cloud Infrastructure (OCI), sa seconde tentative d’incarner un IaaS public, a été mise au point avec l’aide d’anciens techniciens d’AWS, dont Clay Magouyrk, qui a rejoint Oracle en 2014. Désormais patron de l’ingénierie pour OCI, celui-ci s’est entretenu avec LeMagIT durant le dernier salon OpenWorld 2019 qui s’est tenu plus tôt ce mois-ci à San Francisco. Il s’exprime sur la position qu’Oracle prend vis-à-vis du marché, sur ses efforts pour attirer de nouveaux clients et partage ses ambitions pour l’avenir.
LeMagIT : L’impression générale est qu’Oracle a mis trop de temps à trouver une stratégie IaaS viable. Êtes-vous en retard par rapport à vos concurrents ?
Clay Magouyrk : Vous savez, les infrastructures cloud existent depuis 15 ans, mais 90 % de l’IT continue de fonctionner depuis les datacenters des entreprises. Cela n’a rien à voir avec d’autres révolutions technologiques, comme le smartphone qui a été massivement adopté en l’espace de deux ans. Si je travaille dur tous les jours, c’est parce que nous n’en sommes, nous les fournisseurs, qu’à 10 % de pénétration du marché cible avec cette technologie. Dans ces conditions, toutes les discussions autour de leaders ou de retardataires ne sont que de la comédie.
LeMagIT : L’une des annonces les plus importantes autour d’OCI que vous avez faites durant l’événement OpenWorld 2019 a été celle des Maximum Security Zones. Vous les positionnez comme des palliatifs aux failles dont souffrent les fournisseurs d’IaaS à cause de systèmes mal configurés. Mais qu’en est-il de la responsabilité, sachant qu’AWS et les autres refusent de porter seuls le chapeau en cas d’attaque ?
Clay Magouyrk : Je pense que tôt ou tard vous finissez toujours par avoir une responsabilité partagée entre le fournisseur et son client. Ce que nous essayons de faire chez Oracle, c’est de retarder au maximum cette échéance.
D’ordinaire, la responsabilité des fournisseurs de cloud est de patcher les hyperviseurs et celle des clients et de patcher les OS de leurs machines virtuelles. Nous, en proposant Autonomous Linux, nous prenons en charge le patch de l’OS. C’est une première chose.
Ensuite, la majorité des incidents de sécurité actuels ne relèvent pas de piratages sophistiqués, mais d’erreurs de configuration. Pourtant, lorsque vous migrez en cloud, on vous donne quantité d’outils pour ne pas que cela arrive. Vous vous retrouvez d’ailleurs avec un million d’outils et même avec une infrastructure programmable. Notre approche est de créer un environnement dans lequel vous ne pouvez pas faire d’erreurs de configuration. Plutôt que de dire qu’il est de votre responsabilité de ne pas vous tromper avec tout ce que l’on vous donne, nous vous accompagnons pour que vous ne vous trompiez pas.
Nous voulons vous apporter la même qualité de service qu’en SaaS, où nous prenons toutes nos responsabilités et où il est impossible pour le client de tout faire planter à cause d’une erreur de configuration.
Le seul problème, après, c’est qu’il y aura toujours des utilisateurs pour exiger d’avoir la possibilité de tout mal configurer.
LeMagIT : Votre projet est d’étendre OCI de manière conséquente, sur 36 régions d’ici à la fin 2020. Comment allez-vous vous y prendre ?
Clay Magouyrk : Nous avons profondément optimisé notre manière de construire des régions, que ce soit sur le plan de l’infrastructure comme sur celui de la pile logicielle. Quand j’ai rejoint Oracle en 2014, nous avions zéro région OCI. Je savais que si nous voulions être compétitifs, nous devions construire des régions qui soient bien plus efficaces que celles de nos concurrents. Je sais comment AWS s’y prend, puisque j’en viens. Nous avons donc eu une approche plus musclée qu’eux.
Habituellement, les fournisseurs construisent ces régions avec 200 équipes qui font tout à la main : brancher le matériel, installer les logiciels… Nous, nous avons pris le parti d’une installation automatisée, un peu comme quand vous installez Windows : tout se fait tout seul, Microsoft ne vous envoie pas d’ingénieur. Notre approche industrialisée nous apporte plus de flexibilité.
LeMagIT : A priori, Oracle ne construit pas de bâtiments, vous installez vos machines dans des datacenters en colocation, n’est-ce pas ?
Clay Magouyrk : Oui mais la colocation, ce n’est plus aller poser un petit rack dans un datacenter. Les loueurs de datacenters ont amélioré le modèle pour rendre possible l’expansion rapide des fournisseurs de cloud. D’ailleurs, tous les grands fournisseurs de cloud passent par la colocation. Il n’y a plus d’intérêt à construire ses propres bâtiments. Nous profitons de la dynamique d’expansion des loueurs de datacenters, qui achètent de grands terrains et construisent au fur et à mesure des bâtiments qu’ils interconnectent avec des fibres.
LeMagIT : Une autre annonce faire cette semaine autour d’OCI est celle d’une partie des ressources « toujours gratuites » (« free tier », N.D.T.). Manifestement, il s’agirait d’attirer les développeurs, c’est bien cela ?
Clay Magouyrk : Nous voulons jouer la carte de la viralité. L’idée est de créer une offre qui marche toute seule de sorte que les entreprises se disent que tout le monde utilise le cloud Oracle et qu’elles n’ont donc pas de raison de ne pas le faire aussi.
Cette offre revient aux investissements que nous faisons lorsque nous offrons des services gratuits aux startups. De manière générale, nous faisons beaucoup d’efforts autour des développeurs. Nous leur donnons par exemple accès à des ressources en cloud gratuites via leurs universités, pour les attirer à la sortie de leurs études.
Donc ce « free tier » est selon moi le début de quelque chose. Ce n’est pas seulement gratuit, cela simplifie aussi la création d’un compte, l’accès au support. Les utilisateurs vont se rendre compte qu’il y a un écosystème, des forums où poser les questions.
LeMagIT : Le cas d’usage que vous mettez en avant à propos de l’interopérabilité entre Microsoft Azure et OCI est de découper une application. Il y aurait la présentation et la logique sur Azure et elles seraient reliées à une base de données qui s’exécute sur des machines Exadata dans OCI. Pourquoi les utilisateurs souhaiteraient-ils faire une chose pareille ?
Clay Magouyrk : Il y a beaucoup de traitements qui, pour une raison ou une autre, ne sont pas déplaçables depuis l’endroit où ils sont hébergés, alors que leurs bases de données géantes gagneraient à venir s’exécuter sur Exadata, nous leur offrons de résoudre ce problème. Mon travail consiste à attirer vos traitements sur OCI, éventuellement par petits bouts, dans l’espoir que vous utilisiez ensuite de plus en plus de ressources chez nous. Il s’agit juste d’une stratégie de séduction.
LeMagIT : Et pourquoi ne pas avoir directement mis vos serveurs Exadata sur Azure ? Cela vous aurait évité d’investir dans des interconnexions très haut débit entre vos clouds, non ?
Clay Magouyrk : Vous devez comprendre que nous avons réalisé un très gros travail sur OCI pour que nos Exadata fonctionnent de manière optimale. Cela passe par des serveurs bare-metal, du réseau virtualisé en dehors des hyperviseurs… Tout cela ne s’intègre pas sur le réseau interne d’Azure, qui est conçu de manière différente. Si nous leur avions livré nos serveurs physiques, la qualité de service ne serait pas aussi bonne. Or, pour nous, il est essentiel que ce service soit de qualité exceptionnelle.
LeMagIT : Quelle la suite de ce partenariat ? En verrons-nous d’autres du même type, par exemple avec Google ? Voire avec AWS, si les relations entre eux et Oracle s’améliorent ?
Clay Magouyrk : Pour l’heure, nous avons surtout des offres qui sont vues comme de bonnes idées par des clients très intéressants. Notre seul objectif pour les six prochains mois est que tout cela se transforme en retours d’expérience enthousiastes.
En ce qui concerne le partenariat avec Microsoft, notre idée est de montrer que les traitements fonctionnent mieux grâce à l’union de nos technologies respectives. Nous travaillons ainsi à améliorer l’exécution d’Oracle Linux sur Azure.
Une raison qui nous a poussés à nous associer avec Microsoft est que nous avons nombre de clients en commun. Ce n’est absolument pas le cas avec les autres, même si, techniquement, il serait intéressant de travailler avec Google.