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Les mainframes d’IBM traversent une passe difficile

Tous les indicateurs semblent dire qu’IBM et ses clients abandonnent petit à petit cette gamme de machines. Les analystes estiment au contraire qu’elle n’est pas près de sortir du marché.

Alors qu’IBM entretient une relation intime avec les clients fidèles de ses mainframes, plusieurs signes suggèrent que le fournisseur prévoit désormais de remplacer ces vénérables systèmes par des matériels et logiciels plus traditionnels, qui fonctionnent également de manière distribuée. 

Depuis environ un an, IBM a surtout investi dans la montée en puissance de ses serveurs Power, parvenant même à imposer deux modèles parmi les trois premières places du TOP500, le palmarès des ordinateurs les plus puissants du monde. Le fournisseur a également réalisé l’une des acquisitions les plus coûteuses du marché avec le rachat de Red Hat, dont le catalogue a peu à voir avec les mainframes. Enfin, notons qu’IBM a aussi revendu plusieurs de ses développements logiciels pour mainframes à HCL et Rocket Software.

La stratégie officielle d’IBM est de poursuivre le cap de l’initiative Strategic Imperative, qu’il a officialisée depuis maintenant quelques années. Celle-ci exige que ses troupes se focalisent sur le cloud, l’analytique, le collaboratif, la mobilité et la sécurité avec pour ambition de maintenir une activité rentable même si les ventes de ses matériels devaient s’écrouler.

Bref, tout porte à croire qu’IBM est plus intéressé par maintenir les mainframes en l’état, plutôt que chercher à leur écrire un nouvel avenir.

« Je pense que cela fait un moment que les mainframes ne sont plus stratégiques », observe Franck Dzubeck, le directeur de Communication Networks Architect, un cabinet de conseil américain. « Parce que les systèmes stratégiques sont censés résoudre les problématiques de la prochaine décennie. Avec les mainframes, on se contente juste de dire qu’on pourra les mettre à jour encore un trimestre, ou l’année prochaine. »

Selon lui, IBM a tout à gagner à entretenir une sorte de statu quo. Les mainframes génèrent toujours une portion importante de son chiffre d’affaires, principalement par le biais des services de maintenance. Et maintenir ces revenus serait la raison du lancement d’un nouveau modèle, vers la fin de l’année prochaine.

« Ils ont toujours un bon nombre d’ingénieurs qui planchent sur la prochaine version. Et s’ils le font, c’est parce que s’ils arrêtaient le mainframe, IBM pourrait perdre une grande quantité de clients », ajoute Franck Dzubeck.

Des clients lassés, des alternatives qui émergent

Dans ce contexte d’incertitude, plusieurs clients ont récemment témoigné de leur volonté de décommissionner leurs mainframes. Sabre, l’un des principaux fournisseurs de systèmes de réservations aériennes, a ainsi initié la migration de ses applications mainframes depuis 2014. Il s’agit dans son cas d’adapter le code des applications aux serveurs Linux, un chantier qui devrait durer jusqu’en 2023. Pour l’heure, Sabre n’a pas réduit son nombre de mainframes en production. Mais il ne l’a pas augmenté non plus. En revanche, la quantité de ses serveurs Linux ne cesse de grandir. De manière assez ironique, Sabre appuie son projet sur OpenShift, la plateforme d’infrastructure cloud de... Red Hat.

Sabre a en fait suivi l’exemple de son concurrent Amadeus, lequel peut désormais se permettre de déployer ses nouvelles applications dans Google Cloud Platform (GCP).

Au printemps dernier, l’opérateur Swisscom a créé l’événement en parvenant à migrer rapidement toutes ses applications mainframes vers son propre cloud, le Swisscom Enterprise Service Cloud. La réussite de ce projet tient à l’utilisation de serveurs Linux traditionnels épaulés par une plateforme d’émulation, appelée Software Defined Mainframe (SDM) et éditée par LzLabs. Selon les porte-paroles de Swisscom, aucune recompilation de codes ni aucune recompilation de données n’a été nécessaire.

Swisscom explique cette migration par un besoin de rester compétitif sur le marché des télécoms, citant la meilleure rentabilité du cloud. Ce chantier doit à terme lui faire économiser 50 à 60 % des budgets habituellement investis dans les mainframes. Markus Tschumper, le DSI de Swisscom parle aussi d’un gain de flexibilité dans l’administration des systèmes. Et, cerise sur le gâteau, la maîtrise de cette technologie permet aussi à Swisscom de lancer un tout nouveau service de SDM-as-a-service ou, dit autrement, de commercialiser des mainframes virtuels dans son cloud, aux côtés des traditionnelles machines virtuelles.

« Déplacer tous nos traitements mainframes sur la plateforme SDM dans notre cloud, nous a apporté de l’élasticité : nous ne mobilisons désormais plus que la puissance nécessaire au moment où nous en avons besoin », témoigne Markus Tschumper.

« De plus, nous travaillons désormais avec une technologie plus ouverte, avec des outils qui n’étaient pas disponibles auparavant. Nous pouvons par exemple administrer des applications mainframes historiques avec des outils Open source. Outre l’aspect technique, cela signifie de manière très pragmatique que nous pouvons de nouveau embaucher des informaticiens sans leur demander des compétences que plus personne n’a. »

C’est d’ailleurs l’argument que développe Dale Vecchio, l’un des dirigeants de LzLabs, qui voit sa société comme un concurrent direct de l’activité mainframes d’IBM.

« Je ne compte plus les discussions que j’ai pu avoir avec les clients d’IBM du temps où j’étais analyste chez Gartner et lors desquelles on m’expliquait combien les mainframes étaient compliqués à utiliser et à maintenir. On me citait toujours des problèmes de coûts, d’agilité et de pénurie de compétences. En clair, à moins d’être capable d’embaucher des jeunes compétents sur mainframe, ces machines allaient devenir un casse-tête insoluble en moins de dix ans », dit-il.

Pourtant, IBM continue à investir lourdement dans l’innovation des mainframes

Et pourtant. Il y a au moins un analyste, Peter Rutten d’IDC, pour dire que les critiques à l’encontre des mainframes passent complètement à côté d’un avantage essentiel : leur pérennité. Selon lui, on aurait tort de croire qu’IBM a abandonné toute velléité d’innovation sur ces machines. Ces investissements en la matière seraient même assez conséquents.

« On ne le voit pas, mais IBM investit énormément pour adapter ses mainframes au cloud, aux API, au Machine Learning. Ses efforts pour moderniser cette gamme de machines sont véritablement considérables », lance-t-il.

En mai dernier, IBM a ainsi pris des dispositions pour ajouter au système zOS de ses mainframes des extensions dédiées à la récente technologie des containers. Dans la foulée, le fournisseur revoyait le modèle de facturation pour le calquer sur celui du cloud. En 2018, il proposait une version de sa machine insérable dans un rack conventionnel, aux côtés des serveurs traditionnels, pour faciliter son déploiement dans les datacenters.

Peter Rutten admet qu’IBM aura du mal à étendre sa clientèle sur les mainframes. Mais il souligne que ce problème est à relativiser dans le sens où la clientèle existante se compose de très grandes banques, de compagnies aériennes et d’assurances qui n’ont pas l’intention de changer de technologie.

« Le marché du mainframe génère énormément de revenus pour IBM et, ne l’oublions pas, pour quantité d’autres acteurs qui éditent des logiciels spécifiques, comme Broadcom et Compuware », commente-t-il.

En l’occurrence, IDC estime que les mainframes ont généré entre 3 et 4 milliards de dollars de CA en 2018. Et encore : les ventes de logiciels et les services dédiés ne sont pas compris dans ce résultat.

Une concurrence interne avec les serveurs Power

Concernant l’innovation faite autour des mainframes, elle serait moins due à un désintérêt d’IBM qu’à un phénomène équivalent au plafond de la Loi de Moore qui a déjà frappé les serveurs x86 traditionnels. IBM connaît ainsi de plus en plus de difficultés à améliorer les caractéristiques techniques de ses machines, à cause des limites physiques qui se posent au niveau électronique. En revanche, le marché n’identifierait pas qu’IBM affronte juste les mêmes problèmes de miniaturisation qu’Intel ou AMD, car, étonnamment, le constructeur réussit (encore) à les contourner sur son autre gamme, celle des serveurs Power.

« IBM a réussi à pousser la fréquence du processeur de ses mainframes à un peu plus de 5 GHz ! C’est un record absolu et il devient très compliqué d’aller au-delà. »
Mike ChubaAnalyste, Gartner

« IBM a réussi à pousser la fréquence du processeur de ses mainframes à un peu plus de 5 GHz ! C’est un record absolu et il devient très compliqué d’aller au-delà. La prochaine génération de machines devrait apporter une amélioration des performances de 8 ou 10 %, peut-être 12 %. C’est pourquoi ils miseront plutôt sur des caractéristiques annexes, comme de grandes facultés de chiffrement », estime Mike Chuba, analyste chez Gartner.

La concurrence interne entre les mainframes et les serveurs Power se joue aussi sur la grille des tarifs. Le prix d’un mainframe a invariablement sept chiffres.

« Le ticket d’entrée pour un mainframe est de plus d’un million de dollars. En clair, cela signifie que les clients qui peuvent s’en offrir un, sont bien moins nombreux que ceux qui peuvent acheter un serveur Power. Après, je ne pense pas qu’adresser une niche d’entreprises dans de telles conditions incite IBM a arrêter la production », commente Mike Chuba.

Il y a quelques années, ce sont les serveurs Power que le marché condamnait volontiers à une mort rapide. A l’époque, la rumeur prétendait qu’IBM continuerait sans doute à fabriquer leur processeur, mais délèguerait très certainement l’assemblage des machines à un réseau de revendeurs. Rien de tout ceci n’est arrivé. En 2017, IBM a lancé une nouvelle génération de serveurs Power à base de processeurs P9 et cette gamme de machines a connu à nouveau le succès, jusqu’à culminer aujourd’hui au sommet du palmarès des meilleurs ordinateurs du monde. 

Reste à savoir si un tel retournement de situation est possible sur la gamme mainframe.

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