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5G : les manœuvres de la France pour dynamiser ses industries
Le gouvernement brade le prix des licences afin que les opérateurs installent rapidement des antennes, dont 25 % doivent couvrir des sites industriels. L’enjeu est d’avoir des moyens de production aussi modernes qu’aux USA.
En France, l’ensemble des bandes de fréquences disponibles pour la 5G coûteront aux opérateurs 2 milliards d’euros, alors que le prix global des licences s’élève en moyenne à 6 milliards d’euros dans les autres pays européens. En contrepartie de cette remise extraordinaire, les opérateurs devront s’engager à couvrir dans les plus brefs délais et à un prix « raisonnable » tout bassin industriel où un acteur économique émettrait une demande « raisonnable » [SIC] de connexion. Le document publié par l’Arcep ne précise pas en revanche ce que tous ces « raisonnables » signifient concrètement.
« L’idée du gouvernement est de se servir de la 5G pour redynamiser l’industrie française, la rendre plus compétitive en Europe et dans le monde », analyse Achour Messas, membre du comité exécutif de Mazars France, un cabinet qui vient de publier une étude « L’Europe et la 5G : passons la cinquième », pour le compte de l’Institut Montaigne.
« Il faut comprendre qu’outre l’amélioration de la vitesse des flux mobiles, la 5G apporte de véritables ruptures technologiques et que celles-ci bénéficient en particulier aux sites industriels. Avec une latence moindre, avec la possibilité de passer d’une bande de fréquence à l’autre pour désengorger les bandes passantes, une entreprise peut désormais piloter à distance une chaîne de montage située loin des centres urbains et des accès fibres. Cela lui permet aussi surveiller en temps réel un véhicule, qu’il s’agisse d’un train, d’une voiture autonome ou d’un chariot qui passe de bâtiments en bâtiments. »
« Ce sont autant d’éléments qui doivent dynamiser la production, ne serait-ce que parce qu’ils rendent possible la maintenance en temps réel », martèle-t-il.
L’enjeu : déployer la 5G le plus vite possible
Mais selon lui, l’enjeu majeur de la compétitivité des industries françaises est que le déploiement des réseaux 5G se fasse rapidement. En proposant aux opérateurs des licences trois fois moins chères qu’ailleurs, le gouvernement chercherait surtout à leur laisser suffisamment de budget pour qu’ils investissent au plus tôt dans la construction des infrastructures nécessaires.
« L’erreur commise au départ de la 4G a été d’attendre que les opérateurs rentabilisent leurs premières antennes pour installer les suivantes. Mais à ce jeu-là, nous sommes perdants face à des puissances économiques comme les Etats-Unis ou la Chine, où les opérateurs nationaux peuvent parier dès le début sur un plus grand nombre d’abonnés. Notre souveraineté industrielle dépend de notre capacité à nous mobiliser rapidement, pour ne pas laisser nos concurrents prendre une avance considérable. »
Selon lui, chaque opérateur en France a les ressources pour investir entre 600 millions et 1,2 milliard d’euros par an dans l’ensemble de ses réseaux, fixes et mobiles. Le calcul des investissements doit prendre en compte que, outre des émetteurs plus modernes, la 5G supposerait d’installer plus d’antennes – ou plus de bornes par antenne – pour couvrir un même territoire que la 4G. En effet, pour atteindre un débit supérieur, les équipements d’émission-réception en 5G focalisent leurs ondes sur les appareils en cours de communication. De fait, ils couvrent à ce moment-là une périphérie moins importante, alors que la 4G diffuse ses ondes dans toutes les directions.
Dans son étude, Mazars France cite l’Italie comme exemple à ne pas suivre. De l’autre côté des Alpes, où les enchères des fréquences 5G ont déjà eu lieu, les opérateurs ont déboursé ensemble 6,55 milliards pour obtenir des licences. D’eux d’entre eux, Telecom Italia et Vodafone, ont réalisé les trois quarts de ces dépenses. Ils sont désormais en situation de surendettement et n’auront pas les moyens d’investir avant plusieurs années, d’autant plus que le prix des abonnements mobiles italiens est actuellement en train de s’effondrer.
La technique au service de de nouvelles activités
Achour Messas mentionne d’autres applications professionnelles qui sortent du cadre industriel, comme la télé-chirurgie ou l’immersion virtuelle en 3D à des fins de formation et de maquettes.
« Techniquement, la 5G devrait permettre, sans pénaliser l’interaction en temps réel, de déplacer encore plus de traitements de l’appareil client vers un endroit où la puissance de calcul disponible est plus importante. »
« Traditionnellement, en 4G, cet endroit serait un datacenter. Mais la 5G apporte le support d’un cœur de réseau sur chacune des antennes, rendant possible ce que l’on appelle le Edge Computing », dit-il, en expliquant qu’il devient en l’occurrence possible d’installer un mini-datacenter près de chaque émetteur pour, par exemple, traiter automatiquement les relevés des véhicules alentours.
Cette offre de service Edge Computing pourrait être encadrée par les opérateurs, qui y trouveraient une source de revenus supplémentaire. Mais, Achour Messas estime qu’un modèle économique plus élaboré pourrait être possible.
Achour MessasMembre du comité exécutif de Mazars France
« L’Arcep précise bien que les opérateurs resteront propriétaires des licences qui leur seront accordées et de l’exploitation des fréquences associées. Néanmoins, on peut tout à fait imaginer que des tiers construiront des infrastructures locales et les loueront aux opérateurs, ou l’inverse. »
« Encore une fois, la 5G fonctionnant avec des cœurs de réseau locaux, il n’est plus nécessaire que chaque antenne dépende physiquement d’une infrastructure plus vaste. Au contraire, la fourniture des services sera pilotée par des NFV pour attribuer des rôles virtuels à des sections physiques du réseau et par du SDN pour simuler sur n’importe quel équipement les dispositifs de routage », ajoute Achour Messas, en expliquant que toutes ces fonctions permettront d’adapter en temps réel les antennes 5G pour prioriser les flux selon les demandes.
Des offres d’accès réservées aux activités économiques
Plus précisément, l’Arcep engage les opérateurs à fournir aux acteurs économiques et industriels des offres spécifiques d’accès fixe sur le réseau mobile. Dit autrement, il s’agit de réserver sur une antenne en particulier un accès à des équipements qui n’ont pas vocation à être déplacés en dehors de la zone de couverture.
Cette possibilité est une autre nouveauté technique apportée par la 5G. Appelée « slicing », elle consiste, un peu comme sur une solution de SD-WAN, à réserver des bandes passantes pour des usages précis. Outre la garantie de débit, le slicing pourrait servir à sécuriser les flux de données des industriels.
Les opérateurs ont jusqu’en 2030 pour déployer tous les accès que les industriels auraient déjà commencé à réclamer. Dans la nomenclature de l’Arcep, la 5G doit assurer une bande passante d’au moins 240 Mbits/s sur ces sites.
A l’inverse, les opérateurs ont jusqu’en 2025 pour couvrir les 16 642 km d’axes autoroutiers en France et jusqu’en 2027 pour faire de même avec les 54 913 km de routes principales. L’Arcep indique que la bande passante doit être dans ce cas d’au moins 100 Mbits/s, par exemple pour qu’un véhicule puisse être surveillé en temps réel.
Un quart des antennes 5G couvriront des sites industriels
Comparativement, la 4G n’est censée savoir fournir que du 60 Mbits/s sur les sites d’intérêt économique. Ce débit est moins une caractéristique technique qu’une prérogative donnée par le gouvernement dès le début de l’année 2018 aux opérateurs en échange de quelques bandes de fréquence supplémentaires. L’État prenait alors pour la première fois conscience des enjeux que la mobilité représentait pour la compétitivité industrielle et du problème économique que posait le retard pris par les opérateurs.
Baptisé « New Deal », ce nouvel accord franco-français - on ignore pourquoi il porte un nom anglais - visait déjà à apporter de la connectivité sur tout le réseau de chemin de fer. Les chantiers ayant à peine démarré, on ignore si les trains seront en définitive couverts par la 4G ou la 5G.
Concernant la 5G, l’Arcep doit attribuer aux opérateurs 310 bandes de fréquences entre 3,4 et 3,8 GHz, soit en moyenne entre 70 et 80 bandes de fréquence par opérateur, avec un plancher fixé à 40 bandes et un plafond à 100, pour éviter la surenchère des prix. Chaque opérateur devra couvrir au moins deux villes d’ici à 2020, puis 3000 sites d’ici à 2022, 8000 d’ici à 2024 et 12 000 d’ici à 2025. Dans chacun des cas, 25 % de ces sites devront être en zones peu denses et cibler une activité économique.
Au-delà, les opérateurs feront ce qu’ils voudront, sachant que leurs licences leur auront été accordées pour 15 ans et que les spécialistes s’accordent sur l’arrivée d’une 6G vers 2030.
Dès 2022, au moins 75 % des sites devront offrir un débit de 240 Mbits/s ; l’Arcep tolère que ce débit soit atteint en cumulant 4G+5G si les nouvelles infrastructures ne sont pas encore totalement opérationnelles. En revanche, 100 % des sites devront avoir une 5G pleinement fonctionnelle à partir de 2030.