OpenStack n’est plus un produit, mais des pièces d’infrastructure
Revirement stratégique pour la fondation Open Source : il ne s’agit plus de proposer une alternative ouverte à VMware et AWS, mais plutôt de publier des composants pour casser les monopoles.
La fondation OpenStack n’a plus l’ambition d’imposer un concurrent Open Source à VMware dans le cloud privé et à AWS dans le cloud public. Désormais, elle œuvre pour fournir aux entreprises des composants d’infrastructure ouverts, afin qu’elles ne tombent pas dans le piège des fournisseurs hégémoniques. Tel est le message qu’auront martelé les dirigeants de la fondation durant leur dernier sommet semestriel, qui se tenait cette semaine à Denver, aux USA. Joignant l’action marketing à la parole, cette nouvelle édition de l’OpenStack Forum a définitivement été rebaptisée Open Infrastructure Summit.
« Historiquement, nous étions très orientés sur le produit. Mais nous nous sommes rendus compte qu’avec cette logique, nous ignorions les utilisateurs qui déploient Kubernetes avec OpenStack. Nous avons donc pris un virage. Notre mission est à présent de faciliter les déploiements d’infrastructures Open Source », explique au MagIT Thierry Carrez, le responsable de l’ingénierie au sein de la fondation.
« Il faut comprendre que notre ennemi n’est plus AWS ou VMware. C’est l’entreprise qui essaie de verrouiller l’utilisateur sur ses technologies. Et dans ce cadre, AWS devient un partenaire en mettant en Open source son hyperviseur Firecracker », ajoute-t-il.
La fondation a d’ailleurs présenté lors de son sommet une nouvelle version 1.6 de Kata Containers compatible avec Firecracker, non seulement pour mieux fonctionner sur EC2, le cloud IaaS d’AWS, mais aussi depuis des serveurs physiques. Précisons toutefois que si AWS s’ouvre bien au monde Open Source en permettant de réutiliser gratuitement ses technologies ailleurs que sur son cloud, il s’agit encore d’un Open Source limité : le code est consultable mais personne n’a le droit de le modifier.
D’une « stack » complète à de l’infrastructure ouverte en pièces détachées
Thierry Carrez illustre aussi son propos avec l’exemple d’OpenShift chez Red Hat, que plus personne ne devrait considérer comme un concurrent à OpenStack : « Red Hat a cherché dans son logiciel des moyens de déployer directement des applications, sans passer par les projets de la fondation. Néanmoins, lorsqu’OpenShift doit provisionner des ressources matérielles, il passe par Ironic, le module Bare Metal d’OpenStack. Et c’est l’idée : OpenStack est juste le moyen d’avoir de nombreuses options dans son cloud, comme par exemple mixer des VM, des containers et du Bare Metal. »
« Nous ne voulons plus proposer une ‘stack’ complète, nous voulons fournir des composants à tous les niveaux, pour tous les cas d’usage. Nous permettons aux utilisateurs de n’utiliser qu’un seul module le cas échant, s’il leur besoin est juste de lancer une seule application. », ajoute-t-il.
Mathieu Poujol, en charge du pôle Security, Cloud & Infrastructure au sein du cabinet de conseil Technology Group, a un avis mitigé sur cette nouvelle stratégie : « bien entendu, le grand avantage d’OpenStack est que l’entreprise n’a pas besoin de tout reconstruire à chaque nouveau projet ; elle peut ajouter des composants au fur et à mesure de ses besoins. »
« Après... la volonté marquée de fournir une infrastructure ouverte en pièces détachées ne va pas résoudre le principal problème : quoiqu’ils en disent, cela reste très compliqué à installer. Leur promesse est de proposer des couches standard, mais les utilisateurs ne voient que de l’entropie. »
Il note par ailleurs le difficile exercice d’équilibriste auquel se prête la fondation dans sa volonté d’être le partenaire de tout le monde : « L’une des principales actualités de ce salon est l’intégration officielle à la fondation du projet Zuul, un module de mise en production continue. Néanmoins, à aucun moment ils ne disent que c’est un outil DevOps, pour ne pas fâcher CloudFoundry. »
Le vrai atout d’OpenStack : transformer les grands industriels
Selon Mathieu Poujol, le vrai nouveau visage d’OpenStack est moins à chercher dans les déclarations officielles, que dans ses usages inattendus sur le terrain. « Grâce à OpenStack, l’équipementier Schneider Electric fournit aujourd’hui à ses clients pour 1 milliard d’euros d’IT par an ! C’est-à-dire que Schneider Electric a pu, grâce à OpenStack, mais aussi grâce à l’Open Source en général, se transformer pour devenir le No 2 des fournisseurs français d’informatique ! »
Et d’enfoncer le clou : le numéro 1 français de l’informatique serait Thalès. Et pour exactement les mêmes raisons.
« De par la complexité de déploiement, les projets OpenStack sont longs, ce qui n’est pas génial pour la rapidité de mise sur le marché. En revanche, OpenStack adresse la problématique fondamentale de la chaîne de valeur. Grâce à lui, les industriels peuvent faire des économies sur la partie informatique de leurs équipements, alors que cela est très difficile sur les systèmes mécaniques et électriques. »
Mathieu Poujol met également dans cette chaîne de valeur deux arguments récurrents en Open Source : l’avantage d’être indépendant de la technologie, des brevets et des royalties d’un autre, d’abord, et celui de pouvoir soulever le capot pour montrer qu’il n’y a pas d’espion caché dans le code, ensuite.
« Aujourd’hui, dans l’armement, on trouve des robots qui embarquent de véritables datacenters. Et ces datacenters sont bâtis sur OpenStack car c’est le seul moyen de les vendre à une puissance étrangère », témoigne Mathieu Poujol.
Un rôle qui reste à clarifier
Reste que l’on se demande quel rôle joue exactement la fondation dans ces contrats. « Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces grands acteurs industriels, mais aussi les grands intégrateurs comme Athos ne sont pas dans la fondation. Et que dire des géants de l’informatique qui étaient des forces vives au démarrage de la fondation, comme IBM et HPE, et que l’on ne voit plus à présent », questionne Mathieu Poujol ?
Selon Thierry Carrez, la fondation ne force personne à la rejoindre. « Un module comme le stockage Ceph, qui est beaucoup utilisé conjointement avec d’autres modules d’OpenStack n’y est pas non plus. Les projets Open Source qui postulent pour entrer dans la fondation, par exemple les Kata Containers d’Intel et Hyper, sont ceux qui veulent bénéficier de notre support logistique en amont, pour fédérer plus de développeurs, et en aval, pour intégrer un écosystème. De plus, être dans la fondation est la garantie pour un projet qu’il sera interopérable avec toutes les autres couches », dit-il.
« A mon avis, ce dont la fondation OpenStack a surtout besoin pour se repositionner, c’est d’embaucher un bon directeur marketing », conclut Mathieu Poujol.