Norbert Steinhauser/SAP SE
SAP : ce que vont changer (ou pas) les départs surprises de plusieurs dirigeants historiques
Les analystes estiment que les récents et nombreux changements au sein de la direction de SAP font que les nouveaux responsables vont devoir très rapidement prouver leurs crédibilités, surtout en matière de technologies, dans un marché en constante évolution et où les clients deviennent plus volatiles.
La récente réorganisation de SAP - avec des départs importants et des changements surprises au sein du conseil d'administration - a soulevé de nombreuses questions sur l'orientation stratégique du géant allemand de l'ERP.
Le plus grand bouleversement a probablement été le départ de Rob Enslin, un vétéran de SAP depuis 27 ans. Il y a environ une semaine, il quittait son poste de président du Cloud Business Group (CBG) - qui regroupe Ariba, Concur, Fieldglass et SuccessFactors - pour saisir une « opportunité externe », dixit SAP.
Il est remplacé par Jennifer Morgan, présidente du Global Customer Operations Group (GCO). Jennifer Morgan a elle-même été remplacée par Adaire Fox-Martin, présidente de SAP Asia Pacific Japan.
Ce remaniement suit de près d'autres départs très remarqués. Bjoern Goerke, un ancien de SAP de plus de 30 ans, a quitté son poste de CTO en avril. Il a été remplacé par Juergen Mueller, qui était auparavant le DSI.
Bernd Leukert, chez SAP depuis 25 ans, a accepté de quitter son poste de co-président des SAP Digital Business Services en février. L'autre co-responsable, Michael Kleinemeier, devrait assumer ce rôle seul.
Tous les départs semblent se faire dans le calme et à l'amiable. Selon SAP, Rob Enslin avait reçu dès la fin de l'année dernière « des propositions sur des opportunités qui l'intéressaient », mais il avait décidé de rester encore un peu « pour aider Ryan Smith à intégrer Qualtrics à SAP ».
SAP a de la profondeur de banc
Selon Joshua Greenbaum, analyste chez Enterprise Applications Consulting, le remaniement du board de SAP n'est pas particulièrement inquiétant.
Rob Enslin avait un rôle déterminant à jouer dans les premières étapes de la mise sur pied de l'offre cloud de SAP lorsque l'éditeur avait besoin de quelqu'un ayant une vue claire de l'ensemble du chantier, explique-t-il. « Cette vision pourra certes manquer à SAP », concède-t-il. « Et Jennifer Morgan va devoir prouver très vite qu'elle a aussi cette vue globale et qu'elle est faite pour ce poste. Ce sera son premier défi ».
Mais, la structure mise en place par Rob Enslin est solide, tempère immédiatement Josuha Greenbaum, ce qui devrait aider Jennifer Morgan à rentrer facilement dans le costume.
D'autant plus qu'elle arrive avec un avantage significatif. « Elle vient des ventes. Elle sait mieux que quiconque que SAP ne peut réussir sans que son portefeuille ne soit vendu... comme un portefeuille. Donc, elle comprend très bien cette perspective [cloud], c'est déjà un bon point », avance Joshua Greenbaum.
« Le fait est que dans toutes les grandes entreprises - et particulièrement chez SAP - il y a une organisation structurelle forte derrière chaque leader, ce qui permet d'aller toujours de l'avant », ajoute-t-il. « Certains disent que les départs auront un impact énorme sur le board et un impact direct sur les clients. Mais je ne le crois pas ».
Les nouveaux entrants à l'épreuve du feu technologique
Pour Jon Reed, analyste et co-fondateur de Diginomica, les changements dans la direction ne sont pas vraiment surprenants. Mais pour lui, un si grand nombre de départs en si peu de temps signifie tout de même que SAP doit prouver qu'il sait ce qu'il fait.
« Parfois, les gens vont de l'avant avec de nouvelles opportunités : il faut savoir l'accepter », rappelle Jon Reed. « Mais là, la somme combinée de tous les changements au sein de la direction met la pression sur SAP à court terme, notamment pour Sapphire où l'éditeur va devoir présenter une équipe convaincante et crédible, capable de mettre en musique la stratégie commerciale de SAP, d'avoir une profondeur de vue technique et sur les produits... et de comprendre les nouvelles préoccupations de ses clients concernant ces changements technologiques ».
Car le monde de l'IT continue d'évoluer rapidement - ce qui n'est pas sans conséquence pour la communauté SAP, confirme pour sa part Vinnie Mirchandani, analyste et fondateur de Deal Architect.
« Rob Enslin est un cadre qui a une très vaste expérience mondiale, ce qui reste assez inhabituel dans le monde de la technologie. [Jennifer Morgan] a suivi ses pas dans de nombreux pays, donc je pense que la transition sera bonne » commence l'analyste « Mais, ce qui est déconcertant, c'est que son départ aille de pair avec des changements dans la R&D ».
D'après lui, les clients SAP investissent de moins en moins dans les systèmes transactionnels back-office et de plus en plus dans les technologies de nouvelle génération, comme le Machine Learning, l'analytique, l'IoT, l'IA... des produits qui n'existaient pas chez SAP il y a cinq ans (et qui forment aujourd'hui Leonardo).
« Les communautés de développeurs évoluent rapidement. Ces tendances affectent tous les éditeurs, pas seulement SAP », continue l'analyste. « Cela a un impact sur les effectifs de leurs R&D et encore plus sur ceux des partenaires et des intégrateurs, et - bien sûr - sur l'IT de leurs clients. Les compétences en ABAP et en Basis continueront d'être demandées pendant longtemps, mais vous verrez aussi beaucoup plus d'intérêt pour Python et pour l'open source ».
Le fait que la nouvelle direction soit relativement inexpérimentée dans la technologie est en grande partie dû au fait qu'elle vient majoritairement des ventes et des services, et pas du secteur du développement. Ce qui, pour Holger Mueller de Constellation Research, pose question.
« L'expérience du développement permet de mieux construire ce que les clients veulent », explique Holger Mueller. « [Le manque de vécu des nouveaux cadres en matière de développement] ne devrait pas nuire à SAP... mais il aurait certainement été préférable qu'ils aient un peu plus d'expertise sur le sujet ».