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L’IA en tête des priorités des Chief Data Officer français en 2019
Signe des temps, le Club Data & Analytics devient le Club CDO. La fonction de Chief Data Officer est désormais commune dans les grandes entreprises. Après les chantiers RGPD de 2018, ceux-ci se tournent résolument vers l’avenir, ses Data Lake et ses IA.
Créé voici maintenant presque 3 ans, le Club Data & Analytics se veut aujourd’hui le point de rendez-vous des CDO français. Celui-ci compte une cinquantaine de membres actifs parmi lesquels les CDO de OUI.sncf, Keolis, Carat ainsi que Bouygues Telecom et Engie à son comité de pilotage.
Si les entreprises du CAC40, mais aussi des entreprises de tailles plus modestes se sont dotées de CDO, leur position dans l’organigramme varie. Ainsi, Vincent Cadoret, CDO du groupe Keolis est rattaché au Chief Digital Officer qui est à la direction de l’innovation. Fabrice Otaño, Global Chief Intelligence Officer de Carat est directement rattaché au président de l’entreprise, tandis qu’Angélique Bidault-Verliac, Directrice gouvernance et démocratisation de la data chez OUI.sncf est rattachée au marketing, l’établissement public ne disposant pas formellement de Chief Digital Officer.
L’IA, le sujet préféré des CDO
Interrogés lors de la dernière réunion de ce club, les CDO français ont classé l’IA en tête des sujets d’intérêt pour 2019, comme l’explique Fabrice Otaño de l’agence Carat : « Notre dernière enquête auprès des CDO a fait apparaître que le thème numéro 1 qui intéresse les CDO était l’innovation par la data, c’est-à-dire ce qui est relatif à l’intelligence artificielle, la blockchain, la voix et les RPA. Les CDO cherchent à se projeter vers l’avenir et veulent être un moteur de propositions dans leur entreprise sur ces problématiques data. »
Deuxième sujet d’intérêt des CDO français, le Data Lake avec ses avantages et inconvénients devant ce qui sera le thème du prochain diner du club CDO, la vision des directeurs généraux et des Chief Digital Officer sur le rôle du Chief Data Officer et quel doit être son rôle dans la transformation digitale.
Les entreprises françaises exploitent les algorithmes d’IA depuis quelques années déjà et les CDO commencent à prendre un peu de recul sur la façon dont doivent être déployés les modèles de Machine Learning auprès des métiers.
Ancien CDO du groupe Accor, Fabrice Otaño livre une anecdote : « Nous avions développé un modèle d’IA afin de prédire le taux d’occupation des hôtels, déterminer quel était le meilleur pricing par type de chambre et quel était le canal de distribution qui allait permettre d’optimiser la marge. Lorsque nous avons fait passer ce modèle de la phase MVP (Minimum Viable Product) au pilote dans un hôtel, la première réaction des utilisateurs a été la peur de perdre leur job. Une peur tout à fait compréhensible, mais nous avons travaillé avec eux non pas sur l’algorithme en lui-même, mais sur l’interface. »
Plutôt que considérer l’IA comme une boîte noire dont les verdicts sont immuables et ne souffrent aucune décision, une vérité à appliquer sans autre alternative possible, l’IA doit être considérée comme un outil de décision, il faut pouvoir laisser aux experts la possibilité de refuser les recommandations du modèle s’ils jugent légitime de le faire.
« L’interface qui a été créée permet deux 2 choses. D’une part, celle-ci présente les différents éléments permettant d’expliquer pourquoi l’algorithme propose telle solution et les facteurs qui motivaient cette décision. D’autre part, l’utilisateur a la possibilité de refuser la recommandation de l’algorithme et modifier le prix proposé en toute responsabilité. Ces refus sont tracés afin d’être analysés a posteriori et de savoir s’il s’agissait d’une bonne ou d’une mauvaise décision, l’objectif étant de faire progresser le modèle de Machine Learning. » ajoute Fabrice Otaño.
Mener une phase de conduite du changement en préalable à l’arrivée de l’IA est désormais considéré comme indispensable. Angélique Bidault-Verliac de OUI.sncf illustre cette nécessité : « Nous allons lancer un algorithme de Machine Learning pour la prévision des ventes avec l’idée que les métiers puissent, d’ici 6 mois, piloter eux-mêmes l’algorithme et consulter les prévisions de celui-ci. Nous avions déjà mené un poc sur cette problématique avec une startup, Prevision.ai, mais celui-ci n’a pas abouti en dépit des efforts portés sur le modèle de Machine Learning. Ce que nous avions oublié à l’époque, c’était ce volet conduite du changement métier. L’algorithme a été abandonné à la demande du métier car celui-ci estimait ses prévisions supérieures à celle de la machine. »
Suite à ce premier échec, un Data Scientist a été détaché auprès du prévisionniste afin de créer le modèle avec lui et ainsi éviter un rejet une fois le modèle achevé.
Pour Vincent Cadoret, CDO du groupe Keolis, quelle que soit la qualité du modèle, la décision finale doit rester du côté de l’humain : « Ainsi pour le calcul de la fréquence des bus sur une ligne, le calcul passe systématiquement par le marketing en France. C’est lui qui définit l’offre type et qui la passe aux opérationnels qui peuvent alors influer sur la taille des bus pour essayer de coller à la demande. A l’étranger, cet arbitrage est réalisé par le calcul de prévision. La prévision délivrée par le Machine Learning permet de faire des prévisions plus fines quant au nombre de voyageurs transportés, mais in fine, c’est le marketing qui décide et c’est la bonne manière d’exploiter l’IA. »
La qualité des données reste une problématique prégnante dans les entreprises françaises
Si ces projets d’IA sont sans doute les plus motivants et valorisants pour les CDO, leur quotidien reste occupé par des problématiques plus terre à terre parmi lesquelles la question essentielle de la qualité des données.
La tendance est de plus en plus d’en confier la responsabilité aux métiers eux-mêmes, mais cette démarche est encore loin d’être totalement appliquée en France où le monitoring de cette qualité est souvent partagé entre la DSI et le CDO.
Pour Vincent Cadoret, l’acculturation des métiers à l’importance de la donnée dans la stratégie d’entreprise et à sa qualité est un prérequis indispensable à toute transformation numérique d’une entreprise : « La qualité de la donnée n’est pas qu’une problématique de CDO ou de DSI, beaucoup de problèmes de qualité des données sont issus aussi des métiers. C’est la raison pour laquelle il est indispensable de responsabiliser sur les données. »
Pour Fabrice Otaño, la qualité des données reste un chantier majeur pour le CDO : « Cette problématique de qualité des données doit être traitée le plus en amont possible. Lorsque j’étais CDO chez Accor, chaque matin, je recevais les chiffres d’affaires de la veille de nos 4 500 hôtels. S’il manquait, pour des raisons techniques quelconques, les données de 100 ou 200 hôtels d’un pays ou d’une zone géographique, cela se traduisait pour le patron d’un pays par une baisse de 10 % de chiffre d’affaires lorsqu’il consultait ses chiffres le matin ! »
Les entreprises doivent mettre en place une solide gouvernance de la donnée qui intègre tant le CDO et la DSI mais aussi ceux qui sont au plus près de la collecte de la donnée, les métiers.
Dans la mise en place d’une démarche de Data Gouvernance moderne, la SNCF est sans doute l’une des entreprises les avancées en France. « L’idée est de mettre en place des responsables source, une fonction qui correspond au Data Owner, qui surveillent des indicateurs liés à la qualité de leurs données. S’ils constatent des écarts de qualité, c’est à eux de prévenir pour résoudre le problème. En parallèle, nous avons créé en support un poste d’expert Data Quality non pas à la DSI, mais côté métier. Cet expert met en place les tableaux de bord nécessaires pour aider les métiers à résoudre les problèmes de qualité des données. »
Un poc de cette organisation a été mis en place sur les données relatives à l’activité bus de OUI.sncf et désormais celle-ci est déployée plus largement dans l’entreprise avec le soutien des RH. Actuellement, la SNCF a identifié 9 grands domaines de sources de données et 20 responsables de source, depuis les données clients, de vente, RH, agences, trains, etc. Nul doute que cette gouvernance des données devrait inspirer bon nombre d’autres CDO français.