Interxion officialise l’ouverture en 2019 de son troisième datacenter marseillais, MRS3
Après avoir repris le datacenter historique de LDCom à SFR, puis après avoir ouvert une seconde unité sur le port de Marseille, Interxion va bâtir un troisième datacenter en rénovant en profondeur l’ex-base de sous-marin allemande. Il confirme ainsi l’émergence de Marseille comme une ville importante sur le marché des datacenters en Europe.
Interxion a confirmé la semaine dernière le lancement en 2019 de son troisième datacenter à Marseille. Baptisé MRS3, ce troisième site est en cours d’aménagement au sein de l’ancienne base de sous-marins créée par l’armée allemande durant la seconde guerre mondiale (et jamais entrée en service). Une fois achevé, MRS3 devrait disposer de 7100 m2 de salles informatiques pour une puissance totale de 17 MW.
Situé sur la zone du Grand Port de Marseille-Fos, à proximité immédiate de MRS2, MRS3 est positionné par Interxion comme un point névralgique pour la création, le stockage et la distribution de contenus pour les plates-formes hyperscale cloud et média numérique d’envergure mondiale.
La première phase de livraison de MRS3, prévue au quatrième trimestre 2019, devrait rendre disponible environ 2 300 m² d’espace. Selon Interxion, le nouveau datacenter vient renforcer le hub de connectivité et de contenus que représente Marseille. Avec la présence de plus de 130 opérateurs de télécommunications et celle de 13 câbles sous-marins, la ville offre un accès direct à 43 pays et à plus de 4,5 milliards de personnes en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie.
Il y a quelques mois, LeMagIT s’est entretenu avec Fabrice Coquio, le président d’Interxion France. L’occasion de faire le point sur les investissements marseillais du fournisseur de datacenters.
LeMagIT : Le marché français des datacenters est en pleine expansion, comme en témoignent les investissements effectués par Interxion à Paris mais aussi à Marseille…
Fabrice Coquio : le marché français reprend des couleurs et il était temps. Les années Hollande, plus au sens calendaire que politique n’ont pas forcément été très favorables aux investissements informatiques tant pour les entreprises que pour les acteurs étrangers désireux de déployer des plates-formes en France. On a eu une multitude d’exemples où, de façon opportuniste, des entreprises du secteur ont préféré réorienter leurs investissements.
Grosso modo de 2012 à 2016, la croissance des datacenters français a été très inférieure à celle du marché européen : on était sur du 6 à 7 % en France. Jusqu’à présent, le marché français se confondait avec le marché parisien. Paris concentre 80 % des datacenters et 85 % des salles. Comme d’habitude, on est sur une situation où il y a Paris et le désert français. Ceci dit, cela change et on va en parler avec Marseille. Sur les trois dernières années, nous avons réalisé 67 %, 85 % et 95 % de croissance à Marseille. On ne part certes pas de la même base, mais on est sur une croissance jamais connue par Interxion. Sur les 13 villes dans lesquelles nous intervenons en Europe, nous n’avions jamais vu ça.
LeMagIT : Comment expliquez-vous ce succès marseillais ?
Fabrice Coquio : Il y a des raisons très particulières à cela, que je peux détailler. Depuis 2014 et notre arrivée à Marseille, nous avons contribué à créer une situation très particulière avec la création de deux grands hubs de datacenters dans un même pays européen. C’est une situation unique qui ne se reproduira sans doute pas. Si nous avions pu trouver un second Marseille en Autriche, en Allemagne ou en Espagne nous l’aurions fait, mais ce ne sera pas le cas pour des raisons géographiques. On assiste à Marseille à l’éclosion d’un hub mondial du fait à la fois de la concentration de réseaux et de contenus digitaux et cloud.
Pendant 15 ans, le marché a été un marché dit « city centric ». Comme il y a une surconcentration de l’investissement informatique dans des villes particulières, vous avez une tendance naturelle à des forces centripètes qui aboutit à une surconcentration de l’infrastructure. Il y a un effet boule de neige : les datacenters vont là où les clients sont, les clients vont là où sont les datacenters, les réseaux vont là où sont les datacenters et ainsi de suite. Cet effet n’est pas du tout propre à la France; on retrouve le phénomène partout en Europe.
Depuis 4 ans, de nouvelles dynamiques se sont mises en place dans le monde et notamment en Europe sur des enjeux qui amènent à une évolution du modèle city-centric vers un modèle de « gateway » : c’est-à-dire de porte d’entrée et de porte de sortie. L’enjeu ici est d’optimiser, pour un acteur donné, la mise en place d’une plate-forme qui lui permet de toucher le plus de consommateurs, si l’on parle d’un fournisseur de services internet ou d’un acteur des contenus, le plus d’entreprises, si l’on parle d’acteurs du cloud, ou le plus de réseaux si l’on parle d’acteurs de la connectivité, etc.
LeMagIT : Pourquoi une telle évolution ?
Fabrice Coquio : Parce que tout le monde cherche la même chose : à réduire ses coûts d’infrastructure. Les enjeux pour les acteurs des datacenters et de l’infrastructure sont les mêmes : l’augmentation des capacités alors que les prix baissent (que ce soit les prix du cloud, de la bande passante ou les prix de la publicité sur un contenu digital). D’un côté il y a plus de trafic à traiter, donc une inflation des coûts matériels que ce soit en matière de réseau et de l’autre côté, les prix baissent de façon considérable.
Selon les segments de marché, cela peut aller de 25 % par trimestre à 30 % par mois. Donc tous les acteurs de l’infrastructure cherchent à réduire leur structure de coûts. Premier axe : optimiser les nœuds de distribution. Pour ce faire, on peut ré-ingéneerer son réseau, ou son infrastructure de production ; et tout le monde le fait de façon permanente. Les acteurs misent aussi sur des effets d’échelle : si une entreprise peut centraliser son infrastructure à Vienne pour toucher une large partie de l’Europe centrale plutôt que de déployer au Montenegro, en Serbie ou en Hongrie, et bien finalement cela sera peut-être un peu plus rentable.
Pour ce qui concerne plus particulièrement Marseille, des choses qui n’étaient pas envisageables hier deviennent possibles aujourd’hui, parce qu’il y a cette demande de baisse des coûts de l’infrastructure et qu’en parallèle il y a eu des investissements significatifs dans les infrastructures de réseau terrestres ou sous-marines.
Cela change la donne, car on peut alors passer d’un concept centripète à centrifuge. Cela ne concerne pas toutes les villes de l’Europe. Sans le savoir, Londres a toujours été une gateway. Si elle est aujourd’hui le premier marché d’Europe pour les datacenters, c’est parce qu’elle est la porte d’entrée américaine et la porte de sortie vers le continent, avec sa prolongation continentale pour les datacenters qui est Amsterdam.
LeMagIT : Si l’on applique la même réflexion que pour Marseille, la logique aurait voulu que ce rôle de gateway soit dévolu à Liverpool ou à une ville de la côte ouest britannique, ce qui n’a pas été le cas…
Fabrice Coquio : Tout à fait. Mais cela illustre la différence entre transit et contenu. En transit, on peut passer par PenMar'ch en Bretagne ou par la Cornouaille, mais le contenu, n’est pas forcément à l’endroit ou se trouve le transit. La force de Marseille est qu’elle est à la fois une place de transit et de contenus.
Les câbles à Marseille existent, car il y a des artères qui reprennent les routes commerciales historiques vers l’Inde, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique ; c’est un atout de la géographie française. Il y a aussi un « interland » qui permet de connecter Marseille aux autres datacenters du Flap [Francfort, Londres, Amsterdam, Paris]. Venise, Barcelone, Gènes ou Istambul, auraient pu jouer le rôle de Marseille, mais derrière, il y a un certain nombre d’inconvénients. Pour Barcelone, il y a les Pyrénées à traverser, pour l’Italie, la barrière des Alpes à passer donc des problèmes de redondance, de structure de coûts des câbles terrestres. Istambul ou Athènes ont la problématique des Balkans donc la géographie a imposé une solution plus simple à travers la vallée du Rhône.
On est allé plus loin récemment. Orange a bâti une liaison entre le câble ACE qui dessert l’Afrique de l’Ouest et Marseille de façon à pouvoir créer une boucle. Orange concrétise là, sa stratégie du Marseille Hub dans ce cadre. Pour Orange, le discours est essentiellement africain. Pour nos clients internationaux, l’enjeu dépasse l’Afrique et s’étend au Moyen-Orient, à l’Asie et à l’Afrique, soit un marché de 3,5 milliard de personnes, ce qui change tout.
Nous avions initialement vu Marseille comme un hub pour le Moyen-Orient et l’Afrique, mais nous avions sous-estimé l’impact pour l’Asie et la Chine. Nos plus gros clients en termes de connectivité à Marseille sont des acteurs indiens massifs. On avait sous-estimé cet impact pour des questions de distance. Pour la Chine, Marseille est un axe de cerclage de l’Asie. Pour l’Inde, la problématique est un problème d’échange de contenus, car 80 % des contenus consommés sont occidentaux.
Les Chinois ont investi sur les deux câbles principaux qui aboutent à Marseille en complément de la liaison qui existe depuis l’an passé à travers la Mongolie et la Russie. L’investissement est massif dans des infrastructures en milliards de dollars.
Tout cela concourt à encore plus mettre en exergue Marseille. Un certain nombre d’analystes parlent désormais du FLAMP et non plus du FLAP, car en termes de connectivité, Marseille est devenu une ville essentielle en Europe.
LeMagIT : Pourquoi Interxion a-t-il choisi d’investir à Marseille en reprenant le Carrier Hotel historique de LDCom à SFR pour en faire son datacenter MRS1 ? Cet investissement a-t-il été motivé en partie par l’écosystème de clients local ?
Fabrice Coquio : Marseille avait un atout. Il y avait une concentration d'infrastructures de réseau primaire avec onze câbles connectés dans l'ex-MRS1, mais le bâtiment, construit en 2001, n'avait jamais reçu d'investissement depuis. Surtout sa capacité d’extension n’avait jamais été mise en œuvre, ce qui nous a permis de déployer des salles à notre standard très rapidement. On a acquis le bâtiment fin août 2014 et dès avril 2015, on ouvrait des salles pour des clients allant de FaceBook à Google, en passant par « Pierre, Paul, Jacques » (sic).
Interxion n’est à l’origine pas venu à Marseille pour l’écosystème local de clients. 95 % de notre clientèle sur le site n’est pas française. Mais la chance pour la ville et la métropole est que la proximité d’un hub de niveau mondial change beaucoup de choses pour l’écosystème local. Par exemple lorsque le réseau RIP d’Aix-en-Provence s’est connecté à notre datacenter, cela leur a permis de baisser de 40 % les coûts de connectivité pour leurs membres. Et donc les PME et ETI locales en bénéficient directement.
LeMagIT : Quel intérêt peut offrir Marseille aux grands acteurs du cloud comme Microsoft, Amazon ou Oracle ?
Fabrice Coquio : Les acteurs du cloud et de l’internet investissent beaucoup dans leurs capacités en Europe. Mais parler de Microsoft, Amazon ou Oracle ne veut pas dire grand-chose. Ce qui fait sens est de regarder le type de plates-formes qu’ils installent. Si je schématise un peu, il y a trois types de plates-formes : du stockage basique, du compute et du réseau et enfin, des gateway. L’attitude de ces acteurs n’est pas de choisir entre construire ou passer par des acteurs de la colocalisation. Cela dépend complètement du timing de déploiement, des usages et du type de plates-formes qu’ils utilisent.
Sur les systèmes de stockage quasi passifs (comme vos photos Facebook d’il y a douze ans), il n’y a aucun intérêt à passer par des acteurs comme nous. Ces acteurs ont les moyens, le cash et le savoir-faire nécessaire pour planifier leurs infrastructures à l’avance. C’est ce qui explique qu’il y a des datacenters Google à Mons et Groningen, Microsoft à Amsterdam ou Facebook à Lulea en Suède. Il n’y a pas d’impératifs de latence, aucun impératif de choix de connectivité, aucun besoin d’écosystème de distribution. C’est un élément intégré à leur réseau de datacenters mondial.
Quand on commence à descendre sur le compute, cela change. Tous ces acteurs avaient à l’origine prévu la même chose, c’est-à-dire deux à trois gros centres pour « arroser » l’Europe. Quand on fait de l’Office 365, vivre avec 40 ou 50 ms de latence, cela ne pose pas de problèmes. Aller chercher la ressource à Dublin, à Amsterdam, ou ailleurs n’a pas d’impact.
En revanche, le marché que cherchent désormais ces acteurs est celui du cloud hybride. Or le cloud hybride pose des problèmes de latence. De façon habile, tous ces acteurs ont expliqué que l’implantation locale se faisait pour répondre aux problèmes de localisation de données dans les territoires.
Mais cela n’est pas vraiment le cas. Cela leur permet de faire d’une pierre deux coups. Le vrai premier coup étant de se rapprocher en temps de latence des utilisateurs pour rendre possible le cloud hybride. Nombre d’applications nécessitent en effet des latences entre 5 et 7 ms. Avec ces contraintes, on ne peut même pas faire un Paris Amsterdam. C’est ce qui explique que depuis trois ou quatre ans on a des déploiements de plates-formes au plus près des usagers. Cela a commencé aux Pays-Bas puis dans les pays nordiques, puis en Allemagne et en France et cela va continuer cette année avec l’Italie.
Un certain nombre d’acteurs ne considèrent pas les pays européens comme des pays égaux. Certains sont des régions et d’autres des pays. Les gros pays, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France sont traités comme des régions et doivent donc avoir un niveau de redondance et de backup supérieur. En Allemagne, cela explique les déploiements à la fois à Francfort et Berlin, en France à Paris et Marseille, etc.
On n’est plus sur des questions techniques, mais sur des choix d’architectures répondant aux besoins de certains marchés. Je ne trahis rien, et cela n’a rien de confidentiel. L’autre enjeu spécifique à Marseille sera de savoir si ces acteurs se serviront de Marseille comme centre de distribution de contenus pour d’autres zones géographiques.