Kit Wai Chan - Fotolia
Micron veut croire que l’intelligence artificielle consolidera ses ventes
Le fabricant américain lance un SSD plus économique et plus rapide pour les applications d’IA, une argumentation qui collera aussi à ses prochaines mémoires GDDR6 et 3D XPoint dans le but de contrecarrer la concurrence chinoise.
Innover à tout prix avant la déferlante chinoise. Micron Technology, le No 3 des fabricants de composants mémoire, cherche désormais dans les nouvelles applications d’intelligence artificielle de quoi porter les ventes de ses SSD et barrettes de RAM au design avant-gardiste. L’acteur américain a profité de son récent événement américain Insight’18 pour annoncer qu’il investira 100 millions de dollars dans des startups spécialisées en IA et qu’un autre million de dollars sera attribué à des programmes universitaires dédiés à cette discipline.
L’idée ? Par exemple développer des algorithmes qui tireront pleinement parti des capacités du 5210 ION que Micron livre cette semaine. Avec ce disque Flash conçu pour la première fois avec des composants 3D NAND QLC, Micron parvient à proposer des SSD SATA qui coûtent enfin le même prix que les disques durs SAS 10.000 t/min, soit 0,25 $/Go. Et, ce, avec des performances jusqu’à 225 fois supérieures : comptez 90.000 accès par seconde en lecture (IOPS) et 4500 en écriture, contre seulement 400 IOPS pour le 10.000 t/min.
Problème, ce nouveau SSD est moins endurant que son prédécesseur, le 5200, basé sur la génération moins dense 3D NAND TLC. Sa nouvelle limite de 384 Go d’écriture intensive par jour sur cinq ans lui interdit les bases de données SQL qui modifient sans cesse leurs informations. Mais qu’importe, puisque Micron est certain que des applications plus adaptées naîtront du secteur de l’intelligence artificielle.
Un SSD moins cher dont les limites ne pénalisent pas l’IA
« Proposés en 1,92 To, 3,84 To et 7,68 To, les SSD 5210 ION sont idéaux pour les applications qui doivent lire très rapidement beaucoup de données dans les clusters de stockage, sans pour autant y faire de l’écriture intensive. Parmi ces applications, il y a bien entendu la diffusion de vidéos pour les éditeurs de contenus, mais également tout ce qui a trait à l’analytique temps réel et, en particulier, l’entraînement des moteurs de Machine Learning », avance ainsi Nicolas Maigne, en charge des partenariats Cloud & Entreprise chez Micron.
Il explique que les moteurs de Machine Learning, par exemple, s’entraînent en comparant successivement des millions d’images qui, elles, sont stockées une fois pour toutes. Les systèmes d’analytique doivent quant à eux produire des tableaux de bord à chaque requête en croisant des données à partir d’une base qui, là aussi, évolue peu. Dans les deux cas, beaucoup de données nécessitent beaucoup de disques et tout l’intérêt de Micron est de sponsoriser le développement de tels logiciels pour pouvoir proposer ensuite ses SSD QLC peu chers.
Parmi les entreprises qui ont déjà signé l’achat de nouvelles solutions de Micron, plusieurs seraient utilisatrices d’algorithmes d’IA. Selon Nicolas Maigne, l’une d’elles parviendrait à entraîner un moteur de Machine Learning en moins de deux heures avec des SSD 5210 ION alors qu’il lui faut 15 heures avec des disques durs classiques de prix et de capacité similaires. Une autre société, utilisatrice d’un moteur déjà entraîné, réaliserait des économies substantielles en remplaçant dans ses analyses de données chaque RAID de huit SSD TLC de 1 To par un seul SSD 5210 ION de 7,68 To.
Les SSD 5210 ION sont des unités de stockage « entreprise ». À la différence des modèles grand public, ils disposent d’un buffer qui termine l’écriture en cas de coupure de courant, ainsi que d’un circuit qui assure un débit constant des données. Une caractéristique qui serait déterminante dans l’entraînement des moteurs de Machine Learning. Par ailleurs, son firmware permet de pondérer sa faible endurance : il optimise les blocs lors des écritures séquentielles (celles d’un seul fichier à la fois, typiquement) pour grimper jusqu’à 1,5 To/jour sur le modèle 1,92 To et jusqu’à 6,14 To/jour sur le modèle 7,68 To.
Pour une utilisation à mi-chemin entre les écritures intensives d’une base de données de transactions commerciales et le stockage ponctuel d’une grosse base Hadoop, le modèle SSD 5210 ION de 7,68 To supporte 1,2 To d’enregistrements par jour, alors que le précédent SSD 5200 en TLC de même capacité, plus cher d’environ 0,10$/Go, supporte l’écriture de 4,6 To/jour.
L’IA, un relai de croissance pour compenser la perte du marché chinois
Au-delà des SSD QLC, Micron estime que tout son catalogue de composants derniers cris peut bénéficier aux applications d’intelligence artificielle. Sa prochaine mémoire graphique GDDR6, qui affiche des débits de 64 Go/s par puce, servira ainsi mieux les algorithmes d’entraînement de Machine Learning qui reposent sur des GPU. BMW prévoit aussi de l’utiliser dans l’IA de ses prochains véhicules qui devront analyser un maximum d’éléments très rapidement parmi les images filmées depuis leurs caméras.
De manière plus prospective, Micron sera seul détenteur en 2019 de l’usine IM Flash technologies qui produit des composants 3D XPoint, lesquels sont censés incarner à terme du stockage Flash directement connecté au processeur. Pour l’heure, son associé Intel commercialise ces composants sous la forme d’unités NVMe appelées Optane et ralenties par le bus PCIe ; en 2019, il les déclinera en barrettes DIMM avec un contrôleur mémoire de son cru.
Micron devrait lancer ses propres produits basés sur 3D XPoint d’ici à 2020, mais, en dehors des cartes mères Intel, l’unique design capable de les utiliser serait celui mis au point par le consortium Gen-Z. Héritage du concept The Machine de HPE, Gen-Z décrit une infrastructure composée de petites lames de mémoire, embarquant chacune un minimum de puissance de calcul et assemblées en cluster pour exécuter très rapidement les bouts de code qu’elles se répartissent. Ici encore, Micron affirme que les algorithmes de Machine Learning sont ceux qui bénéficieraient le plus d’une telle conception.
Cette urgence à chercher dans l’intelligence artificielle un nouveau relai de croissance s’explique par une pression nouvelle du marché traditionnel. La Chine, qui consomme à elle seule près de 50 % de la production de Micron, a récemment annoncé un plan « Made in China 2025 » qui prévoit son autonomie complète en matière de semi-conducteurs d’ici à sept ans. Le pays vient entre autres de débourser 5 milliards d’euros dans la création d’une usine locale de puces, Fujian Jinhua, qui proposera aux constructeurs de serveurs, mobiles et objets connectés des composants similaires à ceux de Micron.
Pour l’heure, le gouvernement américain a réagi en accusant la Chine de copier illégalement les brevets de Micron et en interdisant la vente des composants Fujian Jinhua sur son territoire. À terme néanmoins, Micron a tout intérêt à se positionner au plus vite sur un nouveau marché.
Selon le site économique DRAMeXchange, Micron détient aujourd’hui 21 % du marché des composants mémoire, derrière Samsung (44,8 %) et SK Hynix (28,7 %).