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ERP dans le cloud : les entreprises résistent encore (et toujours)
Les objectifs des grands fournisseurs, qui espèrent que les entreprises utiliseront toutes ou presque des plates-formes cloud pour leurs ERP, ne sont peut-être pas réalistes. Le modèle hybride semble bien plus probable.
Les entreprises « ne sont pas vraiment enthousiastes à l'idée de migrer leurs applications critiques vers le cloud », lance sans détour Melanie Posey, analyste chez 451 Research. D'après elle, c'est le temps et l'argent qu'il faut investir dans ces migrations qui seraient dissuasifs.
7 % des applications critiques dans le cloud public
Cette analyse semble être partagée par un grand nombre d'analystes et de sociétés.
IDC estime par exemple que 70 % des applications centrales (ERP, HCM/SIRH, finance, etc.) fonctionnent aujourd'hui sur des plates-formes IT traditionnelles ; à savoir des systèmes sur site ou des installations partagées en colocation. Toujours selon IDC, environ 23 % de ces applications seraient dans un cloud privé et seulement 7 % dans le cloud public.
Cette première estimation a été faite en 2017, mais l'analyste d'IDC qui a travaillé sur le dossier, Ashish Nadkarni, ne croit pas qu'ils ont beaucoup évolué.
De leur côté, Oracle et SAP travaillent d'arrache-pied pour convaincre les utilisateurs qu'ils ont tout à gagner avec un ERP en mode SaaS. Mais ces éditeurs ne convainquent pas toujours... ou avec des méthodes « dures ».
Marche forcée et résistance
SAP a récemment dû faire machine arrière sur sa stratégie HCM. L'éditeur allemand n'avait pas prévu d'option sur site pour la brique RH de son ERP de nouvelle génération (S/4HANA). Face à la grogne de certains de ses (gros) clients, qui refusent de tout mettre dans le cloud, SAP a promis qu'il travaillerait sur un HCM sur site d'ici 2023.
Oracle a, lui, multiplié les déclarations sur sa forte progression dans le cloud. « On ne vend quasiment plus que du SaaS dans l'applicatif », vantait même un ancien responsable d'Oracle France. C'est peut-être le cas dans notre pays, mais aux Etats-Unis l'éditeur va essuyer une « class action » initiée par un fonds de pension qui l'accuse d'avoir menti sur ses résultats cloud.
La poursuite, intentée par le City of Sunrise Firefighters' Pension Fund, cite également un rapport Gartner de mai qui affirme qu'Oracle utiliserait des « tactiques de vente très agressives » et les audits logiciels pour faire pression sur ses clients.
« Ce procès n'a aucun fondement », a répondu Deborah Hellinger, une porte-parole d'Oracle, « Oracle se défendra vigoureusement contre ces allégations ». En France, le Cigref a réagi lui aussi, mais en sens inverse, en déclarant que « [notre] appel à vigilance à l’encontre des pratiques irritantes de certains fournisseurs du numérique est conforté par ces nouvelles révélations ».
Cloud, Innovation, Sécurité vs Confidentialité
Chez Forrester Research, l'analyste James Staten estime lui aussi que les éditeurs ne sont pas réalistes quand ils laissent entendre que 100 % des ERP des entreprises iront dans le cloud.
Pour lui, ces éditeurs essayent systématiquement d'associer « cloud » et « innovation » et répètent au marché que ces systèmes sont moins couteux et plus sûrs que les implémentations sur site. « Mais les clients ont des applications et des données qu'ils ne veulent tout simplement pas mettre dans un cloud », rappelle James Staten.
Les éditeurs ne vont pas s'arrêter pour autant, prédit-il. Ils vont continuer à publier des feuilles de route avec de nouveaux services et de nouvelles capacités pour leurs PaaS et leurs SaaS, « même s'il y a une certaine insatisfaction de la part des clients ».
Et il y a fort à parier qu'ils continueront à répondre « sécurité » aux questions de « confidentialité ».
Ceci étant, l'analyste pense que les fournisseurs savent en fait très bien que le modèle qui s'impose est le modèle hybride. « Ils savent parfaitement qu'il y a des données que les clients ne mettront pas dans Oracle Cloud ou dans SAP Cloud », résume-t-il.
Même son de cloche chez 451 Research qui note, dans plusieurs études récentes, que lorsqu'il s'agit des applications sensibles existantes, près de la moitié des organisations adoptent une approche de « modernisation du "sur site" » plutôt que de migration. En clair que l'application peut être mise à jour - ou upgradée -, que l'infrastructure est repensée et optimisée, mais que l'application et ses données restent dans les murs de l'entreprise, et qu'elles n'en bougeront pas de sitôt.
Avec Patrick Thibodeau, de SearchERP (groupe TechTarget également propriétaire du MagIT)