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Slack rachète HipChat et Stride… et les envoie par le fond
Face à une concurrence de plus en plus agressive de Microsoft, Slack a repris les deux outils de collaboration de groupe d’Atlassian. L'accord marque le début d'un partenariat stratégique mais aussi la fin des deux solutions, à la surprise de plusieurs clients et analystes.
Atlassian a vendu HipChat et Stride à Slack, quittant ainsi le « chat d’entreprise » alors que Microsoft augmente la pression sur le marché avec sa suite de collaboration Teams.
Dans le cadre de l'accord, qui a été annoncé la semaine dernière, Atlassian va faire « un investissement petit, mais important symboliquement dans Slack », a déclaré Slack dans un billet de blog. Les deux protagonistes n'ont pas divulgué d’autres détails ni le prix du rachat.
L’échec Stride
Ce que l’on sait, néanmoins, c’est qu’Atlassian a vendu ses produits moins d'un an après avoir lancé Stride. Stride était censé prendre le relais de HipChat pour mieux concurrencer Microsoft... et Slack. Stride proposait toutes les fonctions de HipChat, plus le partage de fichiers et les appels vidéo et audio.
Bien qu'étant un « très bon » produit, ce « HipChat 2.0 » n'a pas convaincu beaucoup de clients, avance Alan Lepofsky, analyste chez Constellation Research. « Je pense que ce n'était pas un business dans lequel Atlassian voulait vraiment être. »
De fait, la transaction eavec Slack montre qu'Atlassian se concentre davantage sur le marché de la gestion de projet, « avec des produits comme Trello, Jira Cloud et Bitbucket Cloud », liste Alan Lepofsky.
Techniquement, Atlassian a interfacé ces trois produits avec Slack bien avant d'annoncer l’accord du jour. En fait, les deux sociétés sont des « concurrentes amies » depuis un certain temps, comme le montre le fait qu’elles s'envoyaient des fleurs dès que l’une des deux atteint une échéance clef dans le développement de leurs produits réciproques.
Microsoft fait la promotion agressive de Team
Il est difficile de dire à quel point cet approfondissement du partenariat – qui devient stratégique - aidera Slack face à Microsoft. De son côté, le numéro un mondial du logiciel pousse en effet de manière de plus en plus agressive sa solution Teams à ses 135 millions de clients Office 365, et offre aux autres l'accès à une version gratuite du logiciel en mode cloud.
Des centaines de milliers d'équipes opérationnelles utiliseraient les produits d’Atlassian depuis Slack, affirment les deux acteurs qui prévoient, pour l'avenir, d'approfondir ces intégrations et de travailler ensemble pour y ajouter d'autres produits d’Atlassian.
Aujourd'hui, les outils de messagerie de groupe et de collaboration d'équipe de Slack et d’Atlassian se retrouvent souvent dans les services IT et au sein des unités de développement d'applications. Avec ce nouvel accord, Slack est bien placé pour consolider sa position et fidéliser ses clients. « Remplacer une application de collaboration étroitement intégrée avec les outils de développement et avec les workflows de l’entreprise est une chose difficile », analyse Irwin Lazar, analyste chez Nemertes Research.
Marche forcée vers Slack
Mais Slack pourrait tout de même rencontrer des problèmes s'il poursuit dans son projet de migrer à marche forcée les clients de la version sur site de HipChat vers le cloud. « Si Slack met fin au support pour HipChat sur site - et que ses clients ne sont toujours pas prêts à se tourner vers le cloud comme c’est le cas aujourd’hui - alors beaucoup d’entreprises seront susceptibles de se tourner vers un autre fournisseur qui supporte les déploiements sur site et dans le cloud privé », prévient Irwin Lazar.
Irwin Lazaranalyste chez Nemertes Research
En outre, sur une base plus large d’utilisateurs en entreprise, Slack devra toujours mener « une rude bataille contre Cisco [NDR : avec Webex Teams] et Microsoft au-delà du seul segment de l’IT », continue l’analyste. Car le marché est en pleine formation. « Nos études montrent que la plupart des organisations ne refusent pas d’avoir plusieurs applications de collaboration d'équipe en interne ; à condition que ces applications offrent une vraie valeur ajoutée ».
C’est un fait qu’aujourd’hui le marché de la messagerie d'équipe et de la collaboration reste largement ouvert à de nombreux acteurs. Le « Goliath » Microsoft, avec 200 000 organisations revendiquées qui utiliseraient Teams fait même la course derrière le petit « David » Slack - qui revendique lui 500 000 entreprises utilisatrices, 3 millions d’utilisateurs payants et 5 millions d'utilisateurs pour la version gratuite (Atlassian, lui, ne communique par sur le nombre de clients et d’utilisateurs de HipChat et de Stride). Les jeux ne sont donc pas encore fait, ni dans un sens ni dans l’autre.
HipChat par le fond
HipChat et Stride seront retirés du marché dès le 15 février 2019. Pour accompagner cette décision, un site Web officiel explique comment passer de HipChat à Slack et comment importer les données du premier vers le deuxième. Les outils de migration pour Stride devraient arriver « prochainement ».
Dans cet accord, ce qui surprend le plus les analystes et les clients, c’est bien la volonté de Slack de mettre fin aussi rapidement à HipChat.
Les professionnels de l'informatique étaient très sceptiques à l'égard de Stride, qu'ils jugeaient pour la plupart trop faible et trop tardif pour rivaliser avec les concurrents bien établis. Mais HipChat a été lancé en 2010 et possède une vraie base clients – même si l’on ne sait pas exactement combien d'utilisateurs il a.
« Nous avions supposé que Stride allait disparaître, donc ce n'est pas une grande surprise, puisqu’il est sorti après Slack », analyse Chris Moyer, vice-président de la technologie chez ACI Information, un agrégateur de contenu basé à Ipswich dans le Massachusetts. « Mais HipChat c’est autre chose. Le produit était là avant Slack et il peut se targuer d’avoir de nombreux utilisateurs fidèles ».
Certes. Mais le sort de HipChat était bel et bien scellé depuis l'automne dernier, quand Atlassian a lancé Stride et a encouragé ses clients à passer à ce nouvel outil dans les plus brefs délais. Problème : les clients n’ont pas suivi. Certains revendeurs de HipChat vont même jusqu’à dire que que la reprise par Slack et l’annonce de fin qui a suivi est une bonne chose dans le sens où elle clarifie la situation de manière radicale.
Mais tout comme les clients n’ont pas obtempéré pour passer de HipChat à Stride, il n’est pas dit qu’ils obtempéreront plus pour passer à Slack. Plusieurs utilisateurs interrogés par nos confrères de Search IT Opérations (groupe TechTarget également propriétaire du MagIT) ont témoigné qu’ils ne comprenaient pas et n’appréciaient pas du tout cette pression. Ils ont également souligné que d’autres options existaient : Teams évidemment, mais aussi la nouvelle version de Hangouts Chat (Google) ou encore Jabber (Cisco).
Slack aura donc tout intérêt à clarifier aussi sa position sur les supports à long terme des contrats existants et sur les licences s’il ne veut pas ajouter de l’incertitude au flou.
Incertitude autour des licences existantes
Sur la question des licences, justement, la migration proposée reste vague. Un éditeur (Rosetta Stone) explique par exemple qu’il a besoin de la gestion centralisée et de fonctionnalités en rapport avec les politiques de conformités. Or ces options dont il dispose dans HipChat ne sont disponibles dans Slack que dans la version Enterprise, à un prix plus élevé que ce que paye Rosetta Stone en licence actuelle. Comment va se passer la conversion (si elle se passe) ? L’éditeur est dans l’expectative.
Quelques informations ont néanmoins été données. Pour les clients d’Atlassian qui ont opté pour la facturation mensuelle, leurs instances de HipChat et de Stride continueront à fonctionner jusqu'à la date d’échéance de leur contrat d’abonnement - ou jusqu'au 15 février 2019 si cette date est ultérieure.
Selon la FAQ publiée, les licences annuelles ne seront pas renouvelées automatiquement et les clients qui choisissent de renouveler leur licence ne pourront le faire que jusqu'au 15 février 2019.
Le Migration Hub d’Atlassian ne fait en revanche aucune mention de la façon dont les licences seront ensuite transférées ni comment les contrats de support fonctionneront. La page n'offre pas non plus de réponse claire sur les licences HipChat existantes qui n'expirent pas avant la date limite du 15 février, ni sur la façon dont les entreprises collaboreront, le cas échéant, sur le support Slack une fois que les clients Atlassian auront migré.
Les acteurs économiques ayant – c’est bien connu – une aversion au risque et à l’incertitude, Slack a tout intérêt à préciser ces points sans attendre que les Microsoft, Cisco et autres Google – qui ne manqueront pas d’appuyer là où cela fait mal – tirent les bénéfices de cette période de transition en soulignant, par exemple, que chez eux les produits sont pérennes.
Avec Beth Pariseau, Antone Gonsalves et Jonathan Dame (groupe TechTarget)