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OBS explore les terres des données industrielles
Orange Business Services étend petit à petit ses activités. Du réseau et du cloud, il passe à la cybersécurité, à l'analytique et à l'Internet des Objets industriels. Une extension pleine de défis pour son nouveau DG autrichien.
OBS - la branche d'Orange dédiée aux professionnels - était traditionnellement centrée sur le réseau et sur ses interactions avec les autres briques IT (en premier lieu la communication unifiée et les outils collaboratifs). Mais la filiale est à un tournant majeur de son histoire.
Du réseau au cloud
Le virage s'est amorcé sous la traction du cloud. OBS en propose aujourd'hui deux, ce qui le place en concurrence directe d'un AWS ou de Azure.
Le paradoxe de la situation tient au fait qu'OBS est également un partenaire privilégié de ces gros faiseurs de marché. Le cloud - encore plus en mode hybride - ne peut fonctionner en milieu B2B sans une architecture réseau digne de ce nom que leur apporte un acteur comme OBS.
Le virage s'est naturellement complété d'une incursion dans la cybersécurité. Le chantier - pharaonique mais crucial - a été entamé par l'historique Thierry Bonhomme, qui a pris depuis un rôle de conseiller du PDG d'Orange.
C'est son successeur depuis mai, l'autrichien Helmut Reisinger, qui aura la lourde tâche d'accompagner la troisième évolution d'OBS, vers l'exploitation des données cette fois.
Du cloud à l'analytique
Là encore, l'évolution semble naturelle. Ambitieuse, mais logique.
OBS possédait l'expertise nécessaire à la collecte des données, à leur transfert, à leur stockage, et à leur sécurisation. Il ne manquait plus qu'une couche d'outils analytiques.
Ce mouvement vers les données prend place dans un contexte stratégique B2B particulier : celui de la maturation de l'internet industriel (ou de l'Industrie 4.0) où les réseaux connectent terminaux, humains, machines - et les machines entre elles.
Les parts de marché, selon Helmut Reisinger, y seraient encore à conquérir.
La volonté de prendre en charge la donnée de bout en bout explique le rachat de Business & Décision, en 2017, et de ses centaines de Data Scientists.
Mais ce faisant, OBS repositionne son offre - ou tout du moins une partie - en concurrence d'autres partenaires traditionnels.
L'IoT Industriel redistribue les cartes
Jusqu'ici les choses étaient simples : OBS ne faisait pas de machines à outils (ni de moteur d'avions, ni de turbines). Et les industriels - BOSH, Siemens, GE, Schneider, Rolls Royce, etc. - ne faisaient pas de réseau.
La chaine de valeur se partageait donc clairement entre ces deux types d'acteurs.
Mais l'Internet des Objets Industriels ajoute une couche. Les constructeurs proposent désormais leur propre offre de données et de connectivité.
Schneider Electrics a passé un accord à 3 milliards £ avec Aveva pour créer un éditeur européen dédié à l’industrie. Siemens a développé son propre cloud de collecte et d'analyse de données, la plate-forme MindSphere (sur AWS). Bosh est devenu éditeur et fournisseur de solutions IoT avec l'offre Bosch Software Innovations. Et GE a même lancé une filiale dédiée qui pèse déjà plus de 6 milliards de dollars (GE Digital) avec une plateforme d'algorithmes baptisée Predix.
Dans le secteur aéronautique, cette évolution crée de nouvelles concurrences entre partenaires d'hier. Le constructeur d'un réacteur comme Rolls Royce, par exemple, propose un service clef en main pour suivre le fonctionnement de son moteur et faire, le cas échéant, des réglages plus fins ou de la maintenance prédictive. Ce réacteur est ensuite intégré par l'avionneur (Airbus ou Boeing) qui propose lui aussi ce type de services. L'acheteur (un Air France par exemple) se retrouve potentiellement avec plusieurs offres analytiques industrielles pour ses avions.
Plusieurs acteurs de la chaine de valeur se retrouvent en compétition face au client final.
Trouver sa place pour OBS avec ses co-opétiteurs
Ce cas extrême risque de se reproduire avec l'incursion d'OBS dans le domaine de la donnée.
En Russie, OBS a déjà connecté une des plus grosses flottes de bateaux de pêche du monde pour en optimiser la consommation de carburant.
Les opportunités sont donc bien réelles. Mais la concurrence sera d'autant plus rude que les Google, AWS et autres Microsoft (les acteurs « over the top » comme les appelle le nouveau DG d'OBS) lorgnent également sur cette part du gâteau de la donnée avec des moyens commerciaux et d'investissements si considérables qu'ils feraient presque passer les 800 millions d'euros annuels de R&D du Français pour une simple note de frais.
Pas facile, donc, d'exister dans la donnée avec cette double concurrence (constructeurs de machines d'un côté, Google/AWS/Microsoft/IBM de l'autre). Mais OBS a des cartes en main. Il possède déjà des relations privilégiées avec les entreprises grâce à son histoire dans les réseaux B2B. Et surtout il se targue d'une dimension mondiale dans l'infrastructure - véritable atout que n'ont pas les constructeurs industriels et qui peut les pousser à passer un accord.
Le défi pour Helmut Reisinger - qu'il admet à demi-mot - sera bien d'articuler sa nouvelle offre « Data Analytics » avec celles des constructeurs de machines industrielles en tout genre... tout en continuant de collaborer avec les mastodontes de l'IaaS et du PaaS.
OBS l'internationale
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si OBS insiste sur sa dimension internationale. La filiale est présente dans plus de 160 pays, sur tous les continents. Elle emploie par exemple mille personnes en Russie, et plus de la moitié de ses effectifs sont basés hors de France.
Signe de cette dimension internationale de plus en plus stratégique, c'est la toute première fois que OBS n'est pas dirigé par un Français. Quant au renouvellement du COMEX de la maison mère Orange qui a suivi le départ de Thierry Bonhomme, il a vu - outre celle de cinq femmes parmi les quinze membres et de Helmut Reisinger - l'arrivée de Alioune Ndiaye (CEO Orange Middle East & Africa), preuve de l'importance de cette zone en pleine croissance pour Orange dans son ensemble.
Plus globalement, le B2B représente aujourd'hui un tiers du chiffre d'affaires d'Orange. La moitié de ce tiers est réalisé directement par OBS. Un sixième qui s'annonce de plus en plus stratégique pour le groupe.