Réalité augmentée en entrepôt : un constat d’échec
Les applications de réalité augmentée évoquées avec les premières Smart Glass visaient la Supply Chain et la gestion d’entrepôts. Les expérimentations en France montrent des résultats en deçà des attentes.
L’application est bluffante. L’opérateur, qui doit préparer la commande d’un acheteur sur le site web est littéralement guidé dans les allées jusqu’au bon emplacement pour faire son « picking ». Dès qu’il trouve l’un des articles commandé, il fixe le code barre, ses lunettes enregistrent son geste et il peut passer à l’article suivant. Plus besoin de douchette, ses deux mains sont libres pour manipuler les objets, aucun effort pour trouver le bon emplacement, des flèches virtuelles le guide à travers les allées. La démonstration est impressionnante, mais est-il possible de déployer aujourd’hui une telle application ?
Cette application de réalité augmentée développée par Generix avec le site Oscaro.com a reçu le prix de la meilleure innovation « Produit logistique » lors de la dernière édition du SITL, la semaine internationale du transport et de la logistique. Pourtant, ce n’était qu’une vidéo fictive.
Une telle application n’est pas encore déployable en entrepôt comme l’avoue Isabelle Badoc, chef de produit gamme supply chain chez Generix. « Nous avons essayé plusieurs types de lunettes et leur technologies est encore trop limitée en termes de captation. Elles ne lisent pas bien les codes-barres, à moins d’être très proche de l’article. De fait, ce n’est pas exploitable en situation réelle. Ce que nous avons souhaité faire avec cette vidéo, c’est secouer le marché. Le marché de la logistique peut trouver un intérêt dans l’usage de telles lunettes, et on veut pousser les constructeurs afin qu’ils fassent évoluer leurs lunettes pour les rendre exploitables en entrepôt. »
Les lunettes Google n’étaient pas exploitables pour un usage pro
Isabelle Badoc, Generix
Le nordiste Generix travaille avec l’Ecole Centrale de Lille depuis 2012 sur ces applications de réalité augmentée et une vraie preuve de faisabilité (ou PoC pour Proof of Concept) doit être mise en place chez un acteur de la distribution dans le courant de l’année.
Après avoir testé les lunettes du français Laster Technologies, un fabricant plutôt présent dans le secteur médical ou militaire, Generix s’est tourné vers Epson.
« Nous avons regardé absolument tous les modèles du marché et rapidement conclus que les lunettes Google n’étaient pas exploitables pour un usage pro. Nos développements, nous les menons maintenant avec Epson. Nous les avons rencontrés et ils ont bien compris le potentiel du marché du Supply Chain pour les lunettes. Leur centre de R&D sur la question est en France, à Levallois, c’est important pour la coopération avec eux. »
Très attendue, la prochaine génération de lunettes Epson lèvera-t-elle les limites des lunettes actuelle ?
Autre éditeur présent sur le marché des solutions Supply Chain à s’être intéressé à la réalité augmentée, Hardis Group. En 2014, l’éditeur a mis en place un PoC chez Celio, dans un entrepôt ou les opérateurs font de la préparation multi-magasins, avec quatre cartons à remplir simultanément.
Nicolas Chapu, Digital Solution Manager chez Hardis Group, détaille l’application testée chez Celio : « sur ses lunettes, l’opérateur récupère sa mission, avec l’emplacement, la palette et le carton où trouver le produits, il flashe de code barre en le fixant du regard. Lorsque l’article est scanné, l’application indique le bon carton en vert et place une croix rouge sur les 3 autres cartons. »
Outre le gain de temps réalisé lors du picking, une telle application permet de réduire le risque d’erreur qu’un article soit placé dans le mauvais carton.
L’intégration au WMS semble simple, mais les performances ne suivent pas
Paradoxalement, ce ne serait pas le développement des applications qui pose le plus de problème dans ce type de projet. « Si la réalité augmentée demande quelques compétences, il n’y a pas de réel surcoût lié au développement de ce type d’applications. Les lunettes sont considérées comme un terminal mobile, le développement est le même que pour une application mobile. On accède au WMS et à l’ERP via Web Services. Ces interfaces existaient déjà dans Reflex, notre WMS, si bien que c’était relativement simple de mettre en œuvre ces lunettes », explique Nicolas Chapu.
Nous avons constaté les progrès réalisés entre deux générations de lunettes
Nicolas Chapu, Hardis Group
Pour ce projet, Hardis a fait le choix des lunettes Epson Moverio, des lunettes sous Android, dont le coût (de l’ordre de 500 € HT) est bien inférieur aux Google Glass.
Néanmoins, les lunettes de cette génération sont encore relativement lourdes et il ne semble pas possible d’imposer à un opérateur de les porter pendant toute sa journée de travail. Enfin, là encore, les performances restent insuffisantes pour la lecture des codes barre. « Il n’est pas possible de lire un code barre situé à quelques mètres, en hauteur par exemple. Il y a quelques limitations de ce type, mais la technologie évolue très rapidement. Nous avons porté notre prototype sur des lunettes Vuzix et nous avons pu constater les progrès réalisés entre ces deux générations de lunettes » se réjouit Nicolas Chapu.
SAP travaille aussi sur la question et à justement signé un partenariat avec Vuzix pour proposer ses deux premières applications sur le modèle M100.
Si les vidéos présentées par l’éditeur sont, elles aussi, très impressionnantes, elles restent très éloignées de la réalité. L’éditeur déclare mener une cinquantaine de PoC dans le monte sur la réalité augmentée, mais aucun en France. Parmi ces testeurs, Daimler qui, dans le cadre du programme de recherche SiWear, teste l’application dans son usine de montage de moteurs de Mannheim. Celle-ci est destinée au « picker », l’ouvrier chargé de collecter toutes les pièces nécessaires au montage du moteur en entrepôt pour les porter sur la chaîne de montage. Les lunettes lui indiquent quels composants prendre dans les rayons lors du picking pour éliminer tout risque d’erreur qui, au final pourrait entraîner l’immobilisation de la chaîne de montage en attente des pièces manquantes. Un seul ouvrier a été équipé, mais un test plus large devrait avoir lieu cette année à Mannheim.
De gros problèmes ergonomiques restent à résoudre
Un gros industriel français a mené en interne des expérimentations comparables, avec les mêmes conclusions. Si, pour des applications de maintenance, les lunettes ont plutôt convaincu la DSI de leur intérêt, ce n’est pas le cas en entrepôt. Là encore, les Google Glass ont prouvé leur inadéquation avec le milieu professionnel et les problèmes de lecture de code barre ont été constatés sur divers types de lunettes.
En outre, les expérimentations ont fait apparaître un problème simple, celui des porteurs de lunettes correctrices. En pratique, on ne peut pas porter deux paires de lunettes superposées toute la journée. Si on peut placer des verres correcteurs sur certains modèles de lunettes connectées, ce type d’adaptation fait gonfler le TCO du projet et exclu le personnel temporaire. Un type de personnel qui pourrait justement être directement opérationnel en entrepôt, sans formation, grâce à ces lunettes.
De même, les lunettes de réalité augmentée vont poser un vrai problème de conditions de travail. Outre les problèmes de poids, d’autonomie, afficher en permanence des informations devant les yeux des préparateurs de commande est extrêmement intrusif, tout comme les systèmes vocaux ont été critiqués pour dicter des commandes en permanence au porteur. De même, en affichant des informations, les lunettes peuvent introduire des angles morts dans le champ de vision du conducteur de transpalette, ce qui pourrait alerter les CHSCT sur la question de la sécurité des lunettes de réalité augmentée.
Expert en technologies de réalité virtuelle et réalité augmentée Alexandre Bouchet, Responsable Technique & Scientifique de Clarté Ingenierium souligne : « Les lunettes de réalité augmentée actuelles sont très limitées en terme d’autonomie, de performances applicative et de confort. Les systèmes monoculaires donnent l’impression au porteur d’avoir un écran sous les yeux, le média n’est pas réellement immergé dans la réalité. Cela entraîne une surcharge cognitive en contexte. D’autre part, les lunettes binoculaires actuelles affichent l’image à une certaine distance fixe, ce qui demande à l’œil du porteur une accommodation avec la scène. Actuellement, il n’existe pas de solution miniaturée capable d’afficher les images à une distance focale variable. »
En réalisant l’acquisition de Magic Leap, Google a mis la main sur un brevet sur une technologie d’affichage rétinien qui pourrait apporter une réponse à ce problème. Pour l’expert, rendez-vous dans 3 à 5 ans pour voir arriver des lunettes de réalité augmentée réellement à la hauteur des attentes des entreprises.