Opinion : Cinq signes qu’Amazon est le nouveau Microsoft

La stratégie d’Amazon n’est pas sans rappeler celle de Microsoft dans les années 1990, mêmes si les dynamiques de marché ont évolué depuis.

Amazon est l’une des quelques compagnies qui s’est transformée à de multiples reprises au cours de la dernière décennie. Qu’il s’agisse de sa création d’une place de marché ou de celle d’un lecteur de livres électroniques qui a révolutionné le marché de l’édition, la firme a toujours bouleversé les marchés sur lesquels elle est entrée.

Si sa révolution du commerce de détail est remarquable, la décision d’offrir des services de stockage et de compute « as a service » a été l’un des chefs-d’œuvre de Jeff Bezos, le créateur de la société. Aujourd’hui, les services cloud AWS S3 et EC2 sont devenus l’épine dorsale informatique de plusieurs sociétés très connues.

Si l’on y regarde de plus près, la stratégie d’Amazon, rappelle celle de Microsoft au milieu des années 90. Les business models sont peut-être différents, et les dynamiques de marché ont évolué, mais il y a cinq signes qui montrent qu’Amazon se comporte comme Microsoft:

1. Un Monopole du Cloud

Si Microsoft était perçu comme une menace dans l’univers du logiciel du fait de sa position monopolistique, AWS est sans conteste un quasi-monopole sur le marché du cloud. Alors que Microsoft avait utilisé des tactiques comme le packaging d’IE avec Windows (pour écraser la menace Netscape), AWS se concentre sur l’écrasement de ses concurrents via de colossales baisses de prix, et l’offre d’un vaste portefeuille de services.

Si les clients semblent apprécier cette approche, l’ensemble de l’industrie est menacée par l’approche d’Amazon. Récemment, le président de Rackspace, Taylor Rhodes, a ainsi admis qu’AWS avait perturbé son marché. La guerre des prix sur le cloud a forcé Rackspace à se réinventer en fournisseur de services de cloud managés. Si c’est l’effet que peut avoir Amazon sur une société côtée en bourse qui existait bien avant son entrée sur le marché, imaginez quel peut-être son impact sur le marché traditionnel des datacentres, de la colocation et des hébergeurs.

2. Un remake de Windows contre Linux

Au cours des années 1990, l’industrie IT a réalisé que Linux et l’Open Source étaient les seules armes à même de combattre efficacement Microsoft. Tout le monde, d’IBM à Oracle s’est rallié autour de Linux pour contrer la menace croissante de Windows sur le marché des entreprises. Des initiatives comme Open Office et Star Office ont aussi tenté de défier Microsoft Office.

Si l’on fait une avancée rapide vers 2014, on se rend compte que l’industrie est prise de la même anxiété. La plupart des grands acteurs se sont ralliés à OpenStack pour tenter de contrer la domination croissante d’AWS. En quelque sorte OpenStack est à AWS ce que Linux était à Microsoft.

Et OpenStack fait aussi face aux mêmes défis que ceux auxquels Linux a dû faire face tout au long des années 90. Linux souffrait d’une trop grande complexité dans ses premières années et les compétences Linux étaient rares. Il a fallu plus d’une dizaine d’années pour que des distributions comme Red Hat Enterprise Linux, Ubuntu et SUSE soient adoptées en masse par les entreprises. Et si OpenStack évolue rapidement, il n’est pas encore prêt.

L’autre débat dans le cloud est celui de la standardisation des API. L’industrie est divisée sur l’acceptation des API AWS comme le standard pour les APIs Cloud. Eucalyptus et les APIs CloudStack sont compatibles AWS. Mais OpenStack a pris une voie différente en développant ses propres APIs. Cela rappelle des débats comme ODBC vs JDBC ou Open XML vs Open Document.

Les évangélistes Open Source ont qualifié AWS d’Hotel California pour son lock-in (dans la chanson Hotel California, il est facile de s’enregistrer mais impossible de quitter l’hôtel). Amazon est régulièrement critiqué pour ne pas ouvrir l’accès aux technologies qui motorisent son cloud.

3. Une relation d’amour et de haine avec les partenaires

Microsoft est connu pour avoir donné naissance à un écosystème vibrant de développeurs et d’éditeurs logiciels tiers. Mais chaque fois que Microsoft a mis à jour Office, il a aussi affecté des partenaires qui vendaient des outils qui avaient des fonctionnalités similaires. Après avoir franchi un palier avec la suite Office, Microsoft n’a eu d’autre choix que de packager des fonctions qui entraient en concurrence avec les offres de partenaires. De même lorsque Microsoft a lancé Microsoft consulting services, les intégrateurs systèmes et les professionnels des services se sont sentis visés.

Amazon prend une voie similaire avec AWS. AWS a l’avantage de pouvoir analyser les comportements et l’usage de ses clients et des workloads fonctionnant sur sa plate-forme. Cette vision à 360° des scénarios utilisateurs et des grands cas d’utilisation, lui permet de maximiser ses investissements dans ces domaines. Mais les problèmes apparaissent lorsque les nouveaux produits et services lancés par AWS entrent en concurrence directe avec ceux de partenaires.

Prenez par exemple AWS OpsWorks. Il s’agit d’un outil DevOps qui permet aux développeurs et aux administrateurs systèmes de déployer et de gérer leurs applications. Amazon a acquis une société baptisée Peritor pour son outil de gestion de cloud multiples Scalarium. Auparavant, les clients s’appuyaient sur des outils comme ceux de Scalr, RightScale et ScaleXtreme. Une autre société, Ylastic, offrait un ensemble d’outils pour migrer des images entre régions. Elle proposait aussi un outil pour vérifier périodiquement les ressources cloud utilisées et recommander des voies d’optimisation. Lorsque AWS a annoncé le lancement de son service Trusted Advisor, suivi de celui de la copie de snapshots entre régions, il a commencé à concurrencer directement Ylastic.

Le mois dernier, AWS a lancé un outil de partage de fichiers et de collaboration baptisé Zocalo ainsi que des capacités de gestion de terminaux mobiles (Cognito) qui en font un concurrent de Dropbox, Parse ou Kinvey, qui ironiquement, s’appuient sur le même AWS pour motoriser leurs services.

AWS s’est aussi lancé sur le marché des services professionnels, s’emparant ainsi du business de certains partenaires et intégrateurs systèmes.

4. Tout pour tout le monde

Jusqu’à la fin des années 1990, Microsoft était une société grand public. Il vivait du succès de Windows 98 et Office 98. À la mi-2000, l’éditeur a décidé de s’attaquer au marché de l’entreprise traditionnellement dominé par IBM, Sun, Oracle et SAP. Il a renforcé son offre serveur et en quelques années a acquis une part de marché respectable sur le marché de l’IT d’entreprise. Ainsi Microsoft Active Directory, SQL Server, SharePoint, Exchange, BizTalk et System Center sont désormais bien implantés dans les datacenters de la plupart des clients.

Avec le succès des  iPod, iPhone et iPad, Microsoft s’est soudain rendu compte qu’il avait perdu le marché grand public. La débâcle du Zune, de Windows Phone 7 et Windows 8 a placé Microsoft dans une position périlleuse. Son business Xbox ne progresse pas, ce qui amène de nombreux analystes à recommander l’abandon de cette ligne de produit.

Amazon n’est guère différent. Il est avant tout une société d’e-commerce, un vendeur d’eBook, un fournisseur de services cloud et même un fournisseur de terminaux mobiles. Et il a un plan ambitieux pour s’imposer parmi les leaders de chacun de ces domaines.

Le portefeuille de services d’AWS ressemble de près à celui de Microsoft. AWS dispose de 35 services, ce qui rend sa plate-forme complexe et difficile à aborder pour les clients. Sa place de marché est fragmentée avec des offres de partenaires qui se recouvrent et un modèle tarifaire particulièrement compliqué.

Comme Microsoft dans les années 1990, Amazon est plus intéressé par le lancement de nouveaux services que par la simplification de son portefeuille existant.

5. Des efforts d’ingénierie et de marketing agressifs

Microsoft et Amazon ont en leur sein des cerveaux brillants travaillant sur des technologies de pointe. Pour ce qui est du marketing, Amazon avait du retard mais semble apprendre de Microsoft.

Microsoft est connu pour son agressive machine marketing à même de positionner des produits inférieurs comme le Zune comme une des innovations les plus cools du marché. Des conférences comme Build, TechEd et la WPC sont des événements phares où sont montrées les dernières innovations produits de la firme. Et ses programmes de formation et de certification MCSE et MCSD ont acquis un statut culte parmi les geeks au cours des années 90.

La conférence utilisateurs annuelle  re :Invent rappelle la PDC de Microsoft pendant les années 2000. Et même si cela est nouveau pour Amazon, la firme a renforcé ses efforts marketing en lançant une série d’événements dans le monde (comme les AWS Summit). Les certifications AWS commencent à attirer l’attention des recruteurs et Amazon travaille pour en faire un standard dans le monde des certifications cloud. Et bien sûr avec la proximité géographique, Amazon attire certains des talents clés de Microsoft.

Amazon est prudent dans son approche mais il y a des signes avant coureurs qui montrent qu’il devra faire face aux mêmes challenges que d’autre sociétés qui ont bâti des plates-formes. La firme prend peu à peu conscience que devenir le fournisseur de confiance d’entreprise est un métier très différent de la fourniture d’un portail e-commerce. Avec l’intensification de la concurrence, il est temps pour AWS de se concentrer sur la simplicité, plutôt que de continuer à étendre à l’infini son portefeuille de services.

 


Janakiram MSV est le principal analyste de Janakiram & Associates. Il est un contributeur régulier de notre publication sœur en Angleterre, ComputerWeekly. Il peut être suivi sur Twitter à  l’adresse @janakiramm.

 

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