Pourquoi Free s'intéresse-t-il à T-Mobile USA ?
Iliad, la maison mère de Free, a proposé à Deutsche Telekom de lui racheter 55,6% de T-Mobile USA, dont l'allemand détient 2/3 du capital, pour 15 Md$. LeMagIT décrypte cette proposition.
Iliad a confirmé cette semaine avoir fait une offre de 15 Md$ à Deutsche Telekom pour le rachat de 56,6% des parts de sa filiale de téléphonie mobile américaine T-Mobile US, dont l’opérateur allemand détient environ deux tiers du capital. L’offre, 100% en numéraire, valorise les actions détenues par Deutsche Telekom à 33 $ et Iliad indique que sur la base de 10 Md$ de Synergies, il évalue à 40,5 $ la valeur des 43,4% des actions restantes soit une valeur globale de 36,2$ par action. Selon Iliad, ce prix est 42% supérieur au cours de l’action T-Mobile US. L’offre d’Iliad serait essentiellement financée par de la dette, l’opérateur n’apportant que 2 Md$ de fonds propres, suite à une augmentation de capital, à laquelle Xavier Niel s’est engagé à participer.
Free perturbe le jeu de Sprint, candidat au rachat de T-Mobile
L’offre d’Iliad pourrait chambouler l’agenda de l’opérateur américain Sprint, qui ne cache plus son intérêt pour T-Mobile depuis son rachat par le Japonais SoftBank et qui aimerait fusionner avec la filiale américaine de Deutsche Telekom afin d’enrayer son recul continu sur le marché US. Une fusion lui permettrait aussi d’atteindre la taille critique nécessaire pour mieux rivaliser avec les deux géants américains du secteur de la téléphonie mobile, AT&T Wireless et Verizon Wireless (122 millions et 116 millions d’abonnés respectivement). Sprint est actuellement le n°3 du marché du mobile US avec 54 millions d’abonnés, mais en a perdu près de 2,5 millions en un an, tandis que T-Mobile est n°4 avec 49 millions d’abonnées et en a gagné près de 6,5 millions en un an (hors acquisition de MetroPCS qui a permis d’ajouter 9 millions additionnels).
Sprint ne s’était jusqu’alors pas pressé de formaliser son offre et discutait avec Deutsche Telekom des modalités de fusion avec notamment pour but d’éviter que le mariage ne soit retoqué par l’autorité de régulation US, la FCC, comme cela a été le cas il y a presque trois ans pour la tentative de rachat de T-Mobile par AT&T (l'américain avait alors proposé 39 Md$ pour 100% du capital de T-Mobile). L’offre d’Iliad pourrait obliger Sprint accélérer son calendrier et à sortir enfin du bois en officialisant une proposition ferme pour T-Mobile.
Une opération a priori séduisante d'un point de vue industriel et financier
L’autre question est de savoir pourquoi Xavier Niel s’intéresse à T-Mobile US. Au-delà de l’analyse simpliste du rêve américain, mise en avant par certains médias, Il y a une certaine logique à la manœuvre osée du petit poucet des télécoms français. Tout d’abord même si sa taille est bien plus imposante, T-Mobile est comme Free l’agitateur tarifaire du marché US.
Comme Free, l’opérateur dirigé par John Legere a cassé le modèle traditionnel des forfaits avec engagement et avec mobile pour une approche baptisée « UnCarrier » qui détonne aux US et qui lui a permis d’engranger de nombreux nouveaux abonnés au cours des 18 derniers mois.
T-Mobile est aussi intéressant pour son ARPU très supérieur à celui des opérateurs mobiles hexagonaux. Ainsi, quand en France , Orange engrange environ 32,3 $ par abonné mobile et Free Mobile environ 18$, T-Mobile récolte 44,4 $ par abonné. T-Mobile est également de nouveau rentable, est endetté de façon raisonnable (17 Md$ à la fin du 2e trimestre) et dispose d’une trésorerie de 3Md$.
Bref, vu le prix proposé, l’opération paraît bien plus raisonnable pour Free, que le rachat pour 13,5 Md€ de SFR par Numéricable (soit environ 18,5 Md$).
D’autres aspects plaident en faveur de l’intérêt de Free pour T-Mobile. Le marché américain est un marché en situation d’oligopole ou les marges sont potentiellement élevées et où l’acquisition pourrait être amortie assez rapidement (T-Mobile dégage ainsi environ 4 Md$ de trésorerie par an). Un autre argument est le fait que T-Mobile s’appuie pour son infrastructure sur Ericsson et Nokia, tandis que Free s’appuie sur Nokia et Alcatel, ce qui permettrait aux deux opérateurs de mutualiser certains achats et donc de dégager des synergies.
Dernier argument, Free est un spécialiste de la chasse aux coûts et gageons qu’il espère sans doute réduire de façon drastique certains des coûts d’exploitation de T-Mobile, notamment en matière de système d’information, un domaine où Free a pris d’habitude de développer ses propres briques passant largement outre les offres logicielles des équipementiers. C’est sans doute là qu’il faut chercher une partie des 10 Md$ de synergie évoqués par l’opérateur français.
Vers une bataille à deux pour le contrôle de T-Mobile ?
Rien ne dit toutefois que Deutsche Telekom acceptera l’offre du français en l’état. En fait, il pourrait ne s’agir que d’une première salve dans un combat bien plus long. L’acquisition de T-Mobile est en effet quasiment vitale pour Sprint et le patron de SoftBank, Masayoshi Son, semble prêt à ouvrir son portefeuille pour l’emporter. Il n’est pas dit qu’Iliad ait la puissance financière pour rivaliser. Mais si bataille il y a elle sera intéressante à suivre, ne serait-ce que parce qu’aucun acteur français n’a eu le courage à se jour de se lancer à la conquête du marché mobile américain. Rien que pour ce morceau de bravoure, Xavier Niel reste encore une fois fidèle à sa réputation de corsaire…