IBM mise sur Power8 pour porter le fer contre les Xeon d'Intel
Avec le Power8 et Linux, IBM veut repositionner l'architecture Power comme une alternative aux puces d'Intel dans les datacenters. Un pari soutenu par ses alliés d'OpenPower.
IBM a levé le voile cette semaine sur ses premiers serveurs Power8 et a choisi dans un premier temps de concentrer son offensive non pas sur les serveurs critiques d’entreprise, mais sur les serveurs mono et bi-socket afin de tenter d’endiguer la progression des puces Intel dans les datacenter. La stratégie s’appuie sur le consortium OpenPower qui regroupe des acteurs comme Altera, Google, Hitachi, Inspur, Micron, Nvidia, Samsung, Suzhou PowerCore Technology, Tyan et ZTE, et vise à ouvrir l’usage des puces Power8 à d’autres acteurs qu'IBM – elle ouvre de facto la porte à de serveurs banalisés à base de puces Power 8.
Ce n’est pas la première fois qu’IBM tente d’ouvrir son écosystème Power. Le 19 juin 1995, à New York, en dévoilant ses premiers PC Power Series 800 à base de Power PC 604, IBM avait aussi dévoilé sa plate-forme HRP (Hardware Reference Platform) visant à définir une architecture de carte mère unifiée pour l’écosystème PowerPC. À l’époque, IBM misait sur un écosystème logiciel en construction incluant AI/X, Windows NT pour Power, OS/2, Taligent et Mac OS. En plus d’Apple, le constructeur disposait d’alliés comme Motorola Computers, Canon ou Zenith et plus tard le Taïwanais Umax. HRP évoluera vers CHRP (Common Hardware Reference Platform) mais ne décollera jamais vraiment. Microsoft et Taligent décideront en effet de jeter l’éponge, de même qu’IBM lui-même en passant OS/2 Power par pertes et profits. Steve Jobs portera le coup de grâce à l’édifice en fermant la porte aux clones Mac, enterrant ainsi les ambitions d’IBM de faire sortir l’architecture Power de sa niche haut de gamme. Notons au passage que FreeScale, l’ex-division semiconducteurs de Motorola, l’autre grand acteur historique des architectures Power, continue à avoir un business solide autour des puces Power PC dans tous types d’équipements, y compris des serveurs. Et que c’est plus l’incapacité chronique d’IBM à opérer sur des marchés de volume qui a enfermé Power dans sa niche actuelle.
Big Blue, qui est en train de se débarrasser de sa branche serveur x86, a sans doute compris que la tendance actuelle n’était pas tenable et menaçait à terme toute son activité matérielle – du fait de l’effondrement des ventes de serveurs Power et mainframe, l’activité de fabrication de puces IBM Microelectronics, n’est par exemple plus viable économiquement. 20 ans après ses premiers efforts, la firme tente donc de relancer l’architecture Power en faisant le pari de Linux sur Power. L’OS est devenu le grand uniformisateur dans les datacenters et à l’ère du web, il porte avec lui la promesse d’une plus grande portabilité des applications. IBM tente donc de surfer sur cette vague pour une nouvelle fois tenter de contester la suprématie d’Intel.
De façon intéressante, ce dernier n’a jamais été aussi puissant (95 % du marché des serveurs), mais aussi jamais aussi vulnérable. La portabilité des environnements d’exécution modernes (Linux, Java, PHP, Ruby, Node.js…) ne les rend pas dépendant d’une architecture processeur particulière et ouvre donc la porte à d’autres architectures processeurs dans le datacenter. Et surtout l’apparition d’architectures processeurs concurrentes rouvre la possibilité pour les fabricants de serveurs de se différencier. Une possibilité que le quasi-monopole d’Intel sur les serveurs leur interdit aujourd’hui (rien ne ressemble plus à un serveur Intel qu’un autre serveur Intel, qu’il soit de marque HP, Dell ou IBM).
C’est la faille qu’ARM est bien décidé à exploiter avec ses architectures ARM 64 bit et c’est la même faille dans laquelle veut s’engouffrer IBM avec Power. Intel qui a réussi à étouffer son concurrent x86 AMD, a bien pris conscience de la menace et n’a d’autre choix que de poursuivre sa marche en avant en espérant que ses concurrents n’arriveront pas à le rattraper. Mais à l’ère du cloud et alors que nombre de clients se désintéressent de la nature même des plates-formes d’infrastructure qui font tourner leurs applications, IBM et ARM ont une carte à jouer.
Power 8 : un monstre de performances
L’arrivée de Power8 n’est pas en soit une surprise. Les caractéristiques de la puce avaient été largement dévoilées lors de la dernière conférence Hot Chip 2013 sur les microprocesseurs. La puce est gravée en technologie 22 nm et a une surface de 650 mm2, soit plus que les 513 mm2 des derniers Xeon E7 d’Intel. Il s’agit d’un des plus gros processeurs mais aussi d’un des plus puissants jamais construit. La puce dispose de 12 cœurs, chacun épaulé par 512 Ko de cache de niveau 2. Ces cœurs sont reliés par un bus d’interconnexion disposant d’une bande passante de 3,6 To/s (12 lignes bidirectionnelles à 150 Go/s).
Les 12 cœurs sont chacun capable de traiter 8 threads en parallèle et se partagent un cache de niveau 3 de 96 Mo. IBM a aussi concocté une interface baptisée CAPI, directement connectée sur le bus d’interconnexion interne de la puce et permettant à des accélérateurs tiers (GPU, FPGA…) d’accéder directement aux données en mémoire (le tout avec une gestion de la cohérence de cache matérielle). Enfin, IBM a aussi travaillé sur les entrées sorties, avec l’intégration à la puce d’un contrôleur PCIe Gen3 supportant 16 voies. Pour la mémoire, IBM poursuit dans la voie des buffers de mémoire externes, avec le support via les memory buffers « Centaur » de jusqu’à 32 sockets mémoire par processeur, soit 1To par puce Power8 (avec une bande passante mémoire maximale de 230 Go/s).
Selon IBM, le Power8 est plus de 2,7 fois plus rapide que le Power 7 + pour des applications commerciales, plus de 2,6 fois plus rapide pour les applications Java et sa performance en calcul entier et virgule flottante est entre 2,2 et 2,3 fois meilleure que celle du Power7. Bien sûr, ces résultats sont sans doute ceux d’une puce Power8 cadencée à sa fréquence optimale (sans doute près de 4,5 GHz). Le problème est qu’à ce niveau de fréquence la puce consomme sans doute entre 250 et 300W. IBM et ses partenaires devraient donc utiliser des fréquences moins élevées dans les systèmes d’entrée de gamme afin d’améliorer le ratio performance/watt de la puce et de ramener la consommation unitaire par socket à un niveau plus proche de celui des Xeon E7.
Une approche serveur concentrée sur « l’entrée de gamme » et Linux
Historiquement, IBM a associé chaque lancement de nouvelle puce Power à une refonte de ses systèmes d’entrée et de milieu de gamme. Cette fois-ci, l’approche de Big Blue est différente et se concentre dans un premier temps sur les serveurs bi-socket (ce qui veut dire qu’il faudra sans doute attendre la rentrée pour que les nouvelles puces arrivent dans les system p haut de gamme).
Cet effort sur l’entrée de gamme s’accompagne d’un virage vers Linux, alors qu’IBM concentrait historiquement ses efforts Power sur son Unix AI/X. En plus de l’habituel support de Suse et Red Hat, IBM annonce ainsi le support d’Ubuntu sur ses systèmes Power8 de plus que l’arrivée d’une version Power de l’hyperviseur KVM. Ce support conjoint d’Ubuntu et KVM semble très logique du fait de l’intérêt déclaré d’IBM pour OpenStack…
Les premiers serveurs Power8, qui seront disponibles début juin, sont deux serveurs 2U mono et bi-socket, les Power Systems S812L et Power S822L qui supportent exclusivement Linux. Les autres modèles de la gamme, les Power Systems S814, S822 et S824, sont eux aussi des systèmes mono et bi-socket mais supportent aussi bien Linux qu’AIX et IBM i (ex OS/400). Les prix pour les nouvelles machines débuteront aux environs de 8000 $.
Notons pour terminer, que Tyan a présenté aussi son premier design de référence pour une carte mère Power pour serveurs en marque blanche. La carte s’appuie sur un firmware développé conjointement par IBM, Google et Canonical.