Vivendi va finalement céder SFR à Altice-Numéricable
Vivendi a finalement décidé d'opter pour l'offre de rachat d'Altice-Numéricable, une décision qui laisse Bouygues et Free dans une situation délicate.
Vivendi a finalement fait son choix et c’est à Altice/Numéricable que la société a décidé de céder sa filiale télécom SFR après trois semaines de négociations exclusives. Bouygues, qui avait amélioré à trois reprises son offre au cours des deux dernières semaines pour faire changer d’avis Vivendi, n’aura finalement pas réussi à convaincre la firme dirigée par Jean-René Fourtou du bien fondé de sa proposition.
L’offre d’Altice : en ligne avec les objectifs financiers de Vivendi
Vivendi devrait finalement percevoir 13,5 milliards d’euros en numéraire et conserver 20% de l’entité résultant de la fusion Numéricable/SFR. Altice Group devrait de son côté détenir 60% de la future entité, le solde restant entre les mains du public. Vivendi s’est aussi engagé à ne pas céder ses titres durant les douze premiers mois suivant l’opération et a promis de céder sa participation à Altice à sa valeur de marché en plusieurs tranches (7%, 7% et 6%) dans une période comprise entre le 19e et le 43e mois suivant la cession de SFR.
Altice a également promis à Vivendi un complément de prix de 750 M€ si le ratio EBITDA – Capex de l’entité combinée atteint au moins 2 Md€ au cours d’un exercice au cours de la période. Selon Vivendi, la valorisation de sa participation dans SFR pourrait atteindre 17 Md€.
Vivendi et Altice n’anticipent aucun obstacle à la fusion, les deux sociétés étant largement complémentaires. Mais cela ne signifie pas que la fusion se fera sans casse. Il va en effet falloir singulièrement doper la marge de la nouvelle entité pour pouvoir rembourser la dette accumulée pour réaliser l’opération. Et cette mission devrait revenir à Patrick Drahi.
Le président d’Altice devrait en effet assumer la présidence du conseil d’administration de la nouvelle société SFR-Numericable. Cette dernière qui aura son siège en France s’est engagée à préserver les emplois – Patrick Drahi devrait dévoiler ses plans aux représentants des personnels de la nouvelle entité demain.
Réduire les coûts pour doper les marges
Côté chasse aux coûts, l’informatique devrait payer un lourd tribut à cette optimisation des coûts. Patrick Drahi a ainsi cité en exemple sa filiale Outremer Télécom qui a un budget IT de 3,5 M€ pour environ 300 M€ (soit 1,2% du CA), alors que SFR dépense 400 M€ pour environ 10 Md€ (soit 4% du CA). En appliquant un ratio équivalent à la nouvelle entité, Drahi pourrait vouloir économiser près de 280 M€. Et comme il s’est engagé à ne pas toucher aux emplois salariés, ce sont les prestataires qui pourraient faire les frais de l’opération. Parmi eux, des géants comme Accenture, Sopra, Wipro et Logica, mais aussi Atos, Steria ou Cap Gemini.
Mutualiser les réseaux fixes
La mise en commun des réseaux fixes des deux opérateurs devrait aussi permettre de gérer d’importantes économies notamment pour doper la marge dans l’accès Internet. S’inspirant de l’exemple d’Iliad, dont l’EBITDA atteint 40% dans l’accès ADSL (une manne qui lui permet de financer son développement agressif dans le mobile), Drahi devrait poursuivre ses investissements dans le fixe afin de limiter au maximum les redevances dues à Orange pour l’utilisation de ses paires de cuivres mais aussi de son réseau de collecte. La montée en débit devrait aussi permettre de minimiser les coûts de collecte du réseau mobile. La nouvelle entité viserait ainsi un taux de marge consolidée de 40%.
Enfin, Numéricable-SFR entend gagner des parts de marché. SFR Numéricable vise officiellement 45% de parts de marché sur les zones où il propose du très haut débit. Dans le même temps, la firme entend aussi poursuivre son développement sur le marché entreprises avec 30% de PDM (rappelons que via SFR, Drahi met aussi la main sur une bonne part du capital de Numergy dans le cloud).
Bouygues, désormais entre le marteau et l’enclume
Si Altice se félicite d’avoir été retenu, Bouygues déchante. La firme avait pourtant fait l’offre la plus intéressante en numéraire avec 15 milliards d'euros. Problème, selon le patron de Vivendi, Jean-René Fourtou, la proposition de Bouygues, quoique plus intéressante financièrement était aussi bien plus risquée. Rien ne garantissait en effet qu’elle aurait survécu à l’analyse de l'Autorité de la concurrence, particulièrement dogmatique quant à son analyse du marché mobile.
Un rapprochement avec Bouygues aurait créé un groupe détenant 47% du marché de la téléphonie mobile en valeur et disposant d’un portefeuille de fréquences démesuré. Bouygues avait en partie anticipé le problème en prévoyant de céder son réseau mobile et certaines de ses fréquences à Free, sans pouvoir toutefois garantir à Vivendi que ce délestage aurait suffi à répondre aux exigences de l’autorité de la concurrence et aux contraintes réglementaire du secteur. Cette menace de l’autorité de la concurrence était d’ailleurs le principal obstacle que nous signalions déjà le 14 mars dernier lors de l’annonce par Vivendi de son entrée en négociations exclusives avec Altice.
Autre problème une fusion Bouygues Telecom - SFR aurait sans doute été un vrai casse-tête pour l’emploi du fait des recoupements fonctionnels multiples. Martin Bouygues s’était engagé à ne pas licencier, mais on voit mal comment il aurait pu tenir sa promesse.
Désormais, Bouygues Telecom est coincé entre le marteau et l’enclume. Plus petit que ses deux principaux concurrents, Orange et Numéricable-SFR, il est désormais très largement dépendant du réseau de ce dernier pour son offre d’accès Internet. Plus grave, sur le marché du mobile, il est aussi la principale victime de la montée en puissance de Free Mobile.
Bouygues Telecom s’est bien lancé dans une guerre des prix avec Free pour tenter de renouer avec la croissance, mais cette stratégie est mortifère. Elle plombe en effet ses marges, dans le fixe comme dans le mobile, et nuit à ses capacités d’investissement. À moyen terme, elle risque non seulement d’éreinter l’opérateur, mais aussi de torpiller les marges de Free.
Vers un rapprochement Bouygues - Free ?
On comprend donc pourquoi de nombreux analystes misent désormais sur un mariage entre les deux petits opérateurs. Un mariage qui permettrait à Free de se doter d’un réseau mobile fiable et opérationnel très rapidement et à Bouygues Telecom de briser sa dépendance vis-à-vis de Numéricable-SFR pour ses offres fixes. On reviendrait alors à un marché limité à trois opérateurs. Reste que si Bouygues et Iliad on semble-t-il été sur la même longueur d’onde pendant les discussions autour de SFR, il n’est pas dit qu’ils resteront bon amis longtemps. Dans le meilleur des cas, c’est à un jeu de poker menteur intéressant que l’on pourrait assister entre les deux groupes chacun tentant de valoriser au mieux ses actifs – et son caractère indispensable pour l’autre partenaire - si une éventuelle discussion de fusion devait avoir lieu entre Xavier Niel et Martin Bouygues
Dernier paradoxe et non des moindres, ce n’est pour l’instant pas sur le mobile que la rentabilité des acteurs du marché repose. Le fixe et l’accès à haut débit génèrent en effet un ARPU supérieur à celui du mobile en France et les marges peuvent y être confortables, comme le montre l’exemple de Free. Et si la fibre optique devrait nécessiter d’imposants investissements, elle pourrait à terme se révéler un pari lucratif, en permettant aux opérateurs de rompre avec la dépendance vis-à-vis du cuivre et de la facture associées à l’utilisation de ce réseau, aujourd’hui environ 9€ par mois et par ligne ADSL en dégroupage total…