SAP et BMW co-développent des services pour la voiture connectée
Les deux entreprises allemandes dévoilent leur vision de la voiture de demain, intimement liée aux « Smart Cities » et aux Big Data.
Alors que certains constructeurs ajoutent une simple tablette pour consulter des mails, écouter de la musique ou changer un profil Facebook en conduisant pour revendiquer l’appellation « voitures connectées » (alors qu’il s’agit de « véhicules reliés à Internet »), d’autres ont poussé plus loin la réflexion. Beaucoup plus loin même.
BMW, en intime coopération avec SAP, fait partie de ceux-là.
Un prototype et une plateforme composée d’un back-end BMW et de SAP HANA Cloud Platform
C’est dans le cadre d’un projet de « co-innovation » (nom par lequel SAP désigne des projets communs et concrets visant à appliquer ses technologies dans la création de nouvelles applications pour un secteur) que SAP et la branche « Group Research and Technology » de BMW ont développé une « infrastructure pour fournir des services mobiles aux véhicules connectés ».
Le prototype s’appuie côté back-end sur une infrastructure de BMW et sur le service hébergé SAP HANA Cloud Platform. La partie BMW permet de rapatrier les données du conducteur, des passagers et du véhicule (localisation, itinéraire, préférences déclarées sur la console de bord par les occupants, etc.). Ces données confidentielles sont anonymisées par le constructeur puis transmises à la version Cloud de la base In-Memory de SAP pour les analyser.
Le but de cette analyse en temps réel est de proposer des offres personnalisées. « Tuer le temps entre vos rendez-vous va soudainement devenir votre sport favoris », vante la vidéo de promotion du site de SAP, montrant un homme d’affaires en bras de chemise en train de pratiquer son swing au practice indoor qui lui a été indiqué par sa berline.
Mais il ne s’agit pas de « spammer » le conducteur, tempère immédiatement SAP. « Ces offres seront fonction de la demande de l’utilisateur. Il est parfaitement possible de les désactiver totalement ou d’en n’accepter que certaines », précise Didier Mamma, VP Big Data sales EMEA de SAP France. « Je peux parfaitement indiquer que je suis intéressé en ce moment par l’achat d’une paire de baskets. Si je passe à côté d’un magasin de sport qui fait une promotion, j’en serai averti. L’idée est que l’habitacle de la voiture soit une extension de la maison. Et qu’il est donc intéressant d’étendre le champs des opérations que l’on peut faire chez soi ».
D’autres applications sont plus centrées sur l’usage de la voiture elle-même. Le prototype peut par exemple référencer automatiquement les stations-services accessibles en fonction de l’essence restante, avec pour chaque station le prix au litre du carburant approprié au véhicule. Autre exemple, la plate-forme agrège, contextualise et fournit en temps réels les informations des parkings à proximité d’une destination. Là encore, des données comme le prix, la distance ou le nombre de places disponibles permettent d’affiner le choix. Dans les deux cas, l’adresse choisie est transmise au système de navigation pour guider le conducteur.
Pour proposer ces offres ciblées (et voulues), SAP HANA Cloud Platform est utilisée pour ses fonctionnalités analytiques (sur les informations envoyées par BMW) mais aussi d’intégration de données, un usage souvent moins mis en avant bien que la base dispose de tous les outils nécessaires en natif pour le faire. Le Cloud de SAP sert ainsi de lien entre le back-end de BMW et les prestataires externes (parkings, restaurants, supermarchés, etc.) qui fournissent des informations sur leurs services. Troisième usage, HANA sélectionne et combine les offres à la volée pour faire du transactionnel en temps réel.
Mettre la pression pour connecter les villes
Pour que le tout fonctionne, il faut néanmoins alimenter le système en données. Pour les prix de l’essence, pas de problèmes. Ceux-ci sont disponibles publiquement sur Internet. Mais la plate-forme ne peut consulter que ce qui est effectivement accessible sous la forme de Web Services, d’annuaires ou de contenus assimilés (Guide Michelin, etc.), ou en Open Data.
Quid du bon petit restaurant de poissons à 10 minutes de l’autoroute qui n’a pas de site mais qui serait une halte idéale sur un long trajet ? « Pour qu’un petit commerce soit référencé - et cette plate-forme est une opportunité pour eux - il va falloir changer les mentalités et concevoir que mes clients ne se limitent pas aux personnes qui rentrent chez moi ou à ma zone de chalandise traditionnelle », conseille le VP de SAP France. Il faudra donc être présent aussi sur Internet.
Pour les parkings, le constat est le même. Sans capteurs qui comptent le nombre de places libres, et sans mise à disposition de cette information, la plate-forme tournera à vide. Elle est donc intimement liée aux développements des « Smart Cities ». Le prototype de SAP et de BMW, actuellement en test en Allemagne, serait-il en avance sur l’infrastructure qui lui permet de fonctionner ?
« C’est vrai, tout marche si et seulement si on a des capteurs», reconnait sans détour Didier Mamma. « Mais même si le système n’est pas encore optimum à 100%, il y a déjà des services qui poussent de l’information. De plus en plus de données sont disponibles. Le mouvement est en cours. Regardez Londres. Le temps moyen pour trouver une place pour se garer y est de 20 minutes. Pour réduire le problème, les anglais ont mis des capteurs sur la route pour signaler les places libres (NDLR : Nice avait mené un test similaire, mais le projet de Londres est à beaucoup plus grand échelle) ».
Idem pour les parkings, où un système de leds rouges et vertes se généralise pour indiquer les places libres. Mais le chemin est encore long avant que ces informations, consolidées, soit intégrables par des tiers. Sous cet angle, ce prototype aurait donc une autre vertu. « Mettre la pression pour changer l’infrastructure des villes, assène Didier Mamma, sinon elles ne bougeront pas. »
Télémétrie, maintenance prédictive, lutte contre la fraude
SAP n’en est pas à son coup d’essai dans les voitures connectées. L’éditeur a déjà développé un prototype de plate-forme analytique en collaboration avec McLaren.
Au SAPPHIRE 2012, les équipes du constructeur britannique présent en Formule 1 avaient collecté les données de l'épreuve de Monza 2010 pour simuler une course « en live » et faire une démonstration d’analyse en temps réel, avec Hana, de toutes les composantes de leurs deux monoplaces (échauffement des suspensions, anomalie mécanique, etc.).Une manière de démontrer la puissance de la base de données maison appliquée à une automobile bourrée de capteurs.
C’est dans ce domaine de la « télémétrie » (analyse des données du véhicule lui-même) que la voiture connectée semble au demeurant porter les plus grandes promesses. La plate-forme de SAP et de BMW intègre d’ailleurs en partie cette dimension (analyse du niveau d’essence). Et elle pourrait l’intégrer encore plus dans un prochain développement.
La télémétrie et la puissance de calcul d’un back-end hébergé ouvrent en effet de nouveaux horizons. Le premier d’entre eux étant la maintenance prédictive. Un domaine sur lequel travaillent déjà d’autres constructeurs. « Ford et Volvo ont lancé des programmes analytiques de grande envergure, visant à exploiter les millions de données générées par les multiples capteurs désormais intégrés à leurs véhicules », rappelle le français Talend, un autre spécialiste de l’intégration de données. « L’entretien, auparavant basé sur (sic) le nombre de kilomètres parcourus, est désormais personnalisé en fonction des informations collectées (usure des freins, régime moteur, pression des fluides, etc.). Une analyse fine de ces données (comparées avec celles issues des autres conducteurs et le descriptif des pannes traitées par les concessions) permet de fixer le moment optimal pour procéder à une révision. » Une pratique déjà à l’œuvre dans la motorisation aéronautique où les réacteurs communiquent avec les centres de maintenances.
« Nous menons une réflexion poussée sur la maintenance prédictive », assure pour sa part Didier Mamma. « Mais on en revient à l’infrastructure. La voiture est aujourd’hui capable d’envoyer des informations. Encore faut-il que les concessionnaires sachent les recevoir et comment les traiter. Il faut boucler la boucle ».
Autre application qui serait dans les papiers de SAP et de BMW, la lutte contre la fraude à la garantie (« certains garages font passer des opérations de garanties qui ne sont pas valides »).
Vers le « Pay as you Drive » et l’analyse comportementale au volant ?
A titre personnel, et toujours dans l’assurance, Didier Mamma voit des évolutions encore plus radicales. « Que diriez-vous d’adapter votre assurance en passant au Pay as you Drive ? Vous ne payeriez que quand vous conduisez. Et vous payerez encore moins si vous conduisez à des heures ou sur des routes moins risquées ».
A terme, la télémétrie automobile pourrait même ouvrir la porte à la modélisation des comportements de conduites. « Grâce aux radars avants et arrières, on peut analyser si vous respecter les distances de sécurité. On peut également savoir si vous mettez votre clignotant en changeant de voie. Et on peut comparer tout cela à des profils types pour analyser votre dangerosité au volant », en conclut le VP de SAP. Une vision qui risque de faire hurler certains, mais qui existe déjà en Grande Bretagne et qui commence à arriver en France où un assureur propose de filmer les trajets avec un smartphone pour les analyser en cas d’incidents contre une diminution des cotisations.
Un peu moins provoquant, mais sur le même principe, Yves de Montcheuil, VP Marketing de Talend, voit poindre des systèmes d’aides à la conduite (d’aide quasiment « impérative ») qui s’adapteront à la route mais aussi aux comportements.
« Un comportement de conduite peut être analysé en temps réel et comparé avec la moyenne des comportements habituels des automobilistes. Des yeux qui se ferment, un corps qui s’avachit sur le siège et des mouvements de balancement de la tête sont autant de signes annonciateurs d’un assoupissement », écrit-il dans une tribune sur les voitures et le Big Data. Si le conducteur ne prend pas en compte les alertes du véhicule, « la voiture pourrait se substituer à lui en cas de danger imminent, voire tout simplement s’arrêter dans la prochaine aire de stationnement ». Science-fiction qui n’arrivera pas ? Peut-être… mais certainement pas à cause de questions de faisabilité technique.
Une plate-forme dont le but est d’être commercialisée
Même si ces innovations avant-gardistes ne seront a priori pas intégrées à la plateforme commune de SAP et de BMW, d’autres applications liées à la télémétrie y seront certainement ajoutées pour accompagner cette tendance de fond. D’autant plus qu’en tant que « co-innovation », le projet de SAP et de BMW n’a pas vocation à rester un prototype ni l’apanage du constructeur allemand. Au contraire, son but est bien d’être commercialisé aux autres marques automobiles et de s’imposer comme une offre IT pour tout le secteur.