Entretien avec Patrick Starck, PDG de Cloudwatt
A l'occasion de l'annonce de son prochain départ de la tête de Cloudwatt, Patrick Starck revient pour LeMagIT sur les raisons de son départ, sur Cloudwatt et sur le marché du cloud computing.
Dans un entretien hier avec LeMagIT, le patron de CloudWatt, Patrick Starck, a confirmé son départ prochain de la société et la recherche en cours d’un successeur. Il revient avec nous sur les raisons de son départ, sur le développement de la société mais aussi sur le marché du cloud computing
LeMagIT : Vous avez annoncé votre départ de Cloudwatt. Qu’est qui vous amène aujourd’hui à quitter la société ?
Patrick Starck : La phase un du développement de Cloudwatt touche à son terme, le compute est en bêta avec quelques clients en production et les offres de stockage sont opérationnelles. Cela signifie que la phase de démarrage de CloudWatt est achevée avec la disponibilité des offres de stockage et de compute. Une nouvelle phase doit commencer avec la commercialisation des offres.
J’ai travaillé sur le projet Cloudwatt depuis mars 2012 et j’ai assumé la direction de la société de façon publique depuis septembre 2012. Ma mission s’achève. C’était l’accord tacite avec les actionnaires.
LeMagIT : L’an passé lors de notre précédente interview, vous espériez lancer vos services de compute au printemps, ils n’ouvriront finalement que ce printemps. Le choix d’OpenStack n’a-t-il pas pesé dans votre retard ?
Patrick Starck : J’ai assumé un choix, celui d’une plate-forme ouverte basée sur OpenStack. Je pense que la fondation Openstack est sur le point de prendre un avantage car elle rallie à elle une large communauté. Pour un acteur comme nous, le facteur clé de différentiation est notre capacité à maîtriser et à industrialiser notre plate-forme.
Il nous a donc fallu apprendre la plate-forme et maîtriser l’intégration de l’environnement OpenStack pour bien l’industrialiser. Cela a pris plus de temps que prévu et je l’assume. Le second élément que l’on avait sous-estimé est la mise en sécurité des environnements. On a fait de lourds investissements pour garantir à nos clients la sécurité de nos environnements et ces travaux ont demandé plus de temps que ce que nous pensions.
Notre choix stratégique est de maîtriser notre plate-forme et de ne pas dépendre d’un fournisseur de technologie tiers. On veut contrôler notre distribution Openstack . En tant que fournisseur de la plate-forme IaaS, il faut maîtriser la technologie. Dès que vous vous appuyez sur une brique technologique tierce, par exemple en vous appuyant sur une distribution OpenStack « commerciale », vous devenez dépendant de la roadmap d’un autre. Nous ne voulions perdre aucun degré de liberté. Pour un acteur tel que Cloudwatt, la compétence cœur réside dans l’appropriation et l’industrialisation de la plate-forme.
LeMagIT : Pourtant, vous vous êtes beaucoup appuyé sur des tiers comme e-Novance pour développer votre plate-forme…
Patrick Starck : On a beaucoup travaillé au départ avec e-Novance. Nous avons une relation de partenaire et ils resteront un partenaire stratégique car nous avons une logique commune : contribuer à la communauté OpenStack. Ce qui a changé est que nous sommes désormais une centaine au sein de Cloudwatt, essentiellement des techniciens et qu’une large partie des travaux est désormais assumée en interne. Le transfert de compétence s’est opéré. Ceci dit, nous n’avons pas la vocation de tout faire tout seul et e-Novance restera un partenaire.
LeMagIT : Pendant les deux ans que vous avez passés à développer votre plate-forme d’infrastructure pour offrir des services de VM et de stockage, vos concurrents comme Amazon, Google et Microsoft ont développé une vaste offre de services additionnels – load balancing, bases de données, service de cache, bus logiciel, Hadoop as a service…- et un large écosystème. Le retard est-il rattrapable ?
Patrick Starck : Nous prenons une direction différente de celle d’Amazon. Ils ont ouvert ce marché et ont 6 ou 7 ans d’expérience. Ils ont défini le ring - et les règles du combat - sur lequel ils opèrent. Il serait suicidaire d’entrer sur ce marché en se conformant à leurs règles. Nous avons choisi de nous déplacer par rapport à leur positionnement. Nous n’allons pas nous battre sur la liste des services.
D’ailleurs nous commençons à avoir des retours de partenaires qui se plaignent du côté propriétaire d’Amazon. Le chemin que nous prenons vise à fournir en propre les fonctionnalités de base. Le load balancing, les services de sécurité, par exemple, sont une évidence. Pour le reste, il faut que l’on attire un écosystème qui va venir consommer l’infrastructure. Ce seront des éditeurs de logiciels, des intégrateurs de services cloud et des utilisateurs avertis qui viendront acheter des services de base et sauront quoi en faire.
Notre proposition de valeur est de simplifier la vie des ISV et des intégrateurs pour qu’ils viennent vers nous. Par exemple, nous aiderons nos partenaires à commercialiser leurs offres sur notre plate-forme. C’est une approche plus "win-win" que de tenter de tout fournir et contrôler. On ne veut surtout pas devenir une plate-forme propriétaire.
Une autre différence majeure porte sur les conditions contractuelles, sur le profiling de données ou sur l’effacement de données . C’est un facteur de différentiation pour nous car nous aurons des engagements stricts en la matière. Nos conditions seront claires. Je pense que petit à petit le marché va se segmenter en fonction des marchés cibles à adresser.
LeMagIT : Ce qui nous ramène à la définition de ce qu’est un cloud souverain, c’est-à-dire le débat qui a donné lieu à la naissance de Cloudwatt et Numergy…
Patrick Starck : Souverain, cela ne veut pas dire bâtir un cloud français pour la France. La notion de souveraineté est bien plus large. Il s’agit pour nous de garantir aux clients la maîtrise de leurs données et de leurs traitements. D’être clair sur ce qui est fait avec les données des clients, sur l’usage qu’ils font de l’infrastructure, etc.… Et cela inclut la notion de réversibilité.
LeMagIT : Le secteur de l’informatique vit actuellement une transformation en profondeur liée au cloud. Comment voyez-vous cette transformation ?
Patrick Starck : La beauté du cloud est que tous les acteurs sont perturbés simultanément ; que ce soit les acteurs de l’infrastructure du logiciel ou des services. Les acteurs du logiciel doivent évoluer pour s’adapter au modèle SaaS. Je me souviens dans les années 2000 d’un grand compte français qui interrogeait Thomas Siebel lors d’un événement lui demandant son opinion sur une jeune start-up, Salesforce. Siebel avait répondu dans un style très texan que le client n’avait rien à faire là s’il s’intéressait à la technologie d’un acteur visant les PME. Salesforce est aujourd’hui le leader mondial de son secteur et l’on sait ce qu’il est advenu de Siebel.
Les fabricants de serveurs, eux aussi, vont devoir changer car au lieu de vendre à des millions de clients, il se pourrait qu’à terme, ils ne vendent qu’à quelques centaines de grands fournisseurs de cloud.
En fait, notre industrie commence à rentrer dans son ère industrielle près d’un siècle après celle de l’électricité. Il y a un siècle, lorsque l’on créait une usine, on bâtissait un générateur électrique à côté. Aujourd’hui, l’électricité est un service délivré par une grille massive. L’informatique évolue dans cette direction
LeMagIT : Avez-vous des pistes sur la sélection de votre successeur ?
Patrick Starck : Aujourd’hui, le conseil a officiellement ouvert un recrutement et fait appel à un cabinet extérieur. Je me suis engagé à rester en place jusqu’à ce qu’un successeur soit identifié, afin d’assurer une transition en douceur. La chasse est essentiellement orientée en externe.