Concours de code : un engouement trompeur ? Ou à multiples facettes ?

La multiplication des concours de programmation et hackatons laisse entendre qu'ici, comme outre-atlantique « l'heure du code a sonné ». Vrai pour le cercle des passionnés. Mais au delà... ?

« On ne peut plus suivre. Nous croulons sous les propositions », lance Laurent Trébulle, directeur des relations entreprises de l'école d'ingénieurs Epita. Loin de nier le bien-fondé des défis et autres hackatons proposés aux développeurs en herbe, au rythme où ils se multiplient, force est de se demander si cela sert ou dessert la cause. A savoir : une certaine médiatisation du métier de développeur logiciel et de ses débouchés. Et une démystification susceptible d'encourager les vocations. Tout comme prétend le faire l'initiative code.org soutenue outre-atlantique par les géants de l'internet.

 

Mise en relief d'une marque, d'un environnement technologique ou de l'activité même de développement ? Ou moyen de plus pour repérer les éventuels candidats à l'embauche ? Un peu de tout cela, répondent les promoteurs de ces concours de programmation. Et cela marche. Le cocktail des diverses raisons justifiant l'organisation de ces rencontres semble séduire aussi bien les entreprises sponsors que les compétiteurs. Quoique... les plus lucides parmi ces organisateurs reconnaissent que, certes, la cible desfondus du codage est bel et bien atteinte. Mais que cette cible est forcément limitée. Qu'il faut redoubler d'inventivité pour que derrière l'aspect ludique voire festif appréciés de ces passionnés, les autres objectifs sur lesquels misent les sponsors trouvent aussi un écho. Et pas seulement auprès d'une poignée d'élèves de certaines écoles d'ingénieurs sur-sollicités. C'est-à-dire, au mieux, « 5% des promos d'étudiants qu'on invite », remarque John Karp, co-fondateur de BeMyApp, l'une des start-up dédiées à cette activité.

 

Effet vitrine et repérage des potentiels

 

Une des recettes qui marche ? « Une thématique de concours, suffisamment pointue », avance ce dernier. Et pour ceux qui sont encore étudiants, une thématique liée à l'expérience d'une techno qui valorise leur CV et qui les met au contact de « pros». Au rythme d'un événement par semaine, l'ouverture sur l'international est un ingrédient de plus à exploiter. Une liaison Paris-Madrid pour une « compét » Linux pour mobile (Tizen) en octobre, par exemple. Et prochainement (le 8 novembre), un Paris-Berlin-San Francisco pour un « simultané » sur les objets connectés. Ce qu'on gagne (une prime en espèces, une invitation au CES de Las Vegas, un geek trip, ou encore une proposition d'incubation coachée pour les projets primés, etc) et la notoriété des sponsors jouent bien sûr sur le nombre d'inscriptions. A ce tarif, les thèmes a priori moins sexy ont leur chance. Exemple : « 120 participants pour un hackaton axé sur la publicité digitale, qui n'est pas un sujet de prédilection chez les geeks, mais porté par Criteo, une marque qui a beaucoup fait parler ces derniers temps », remarque John Karp.

 

Même écho du côté des concours récurrents (annuels le plus souvent), mais dont les organisateurs n'en font pas métier. Effet vitrine, sensibilisation à des débouchés, au travers d'une thématique de concours bien ciblée. Dans la plupart des cas, l'objectif « recrutement » n'est pas mis en au premier plan. Bien que personne ne s'y trompe. Les sponsors sont bel et bien en situation de repérage des potentiels. Même si ce n'est pas forcément associé à un objectif d'embauche. « En tout cas, pas limité à cela » souligne la campus manager de D2SI. 
 

Pour cette PME, société de conseil et d'ingénierie, le concept du défi Legends of code(2ème édition cette année) joue résolument sur la mise en situation en un temps limité (un jour) dans le contexte professionnel (agilité, écoconception logicielle). Avec la touche green IT chère à cet intégrateur. On retrouve cet objectif de sensibilisation des étudiants, cette fois aux multiples facettes de la cybersécurité et métiers associés avec le concours de hacking inter-écoles organisé en mars dernier par Steria. C'est aussi l'intention évidente de Micro Focus à l'initiative du Cobol code contest lancé, dans le cadre de son programme académique international, à l'intention des étudiants de cursus déjà partenaires (comme l'IUT de Nancy) ou non. Histoire de rappeler que les applications écrites en cobol sont encore largement majoritaires (70%) dans l'ensemble des secteurs d'activité, y compris dans la téléphonie mobile ou l'industrie du jeu video. Ce que souligne opportunément la proposition du concours : la création d'un jeu, libre ou à partir d'un jeu existant comme la version blitz cobol de Space Invaders. 
 

La journée Open du web (4ème édition, ce 28 novembre) élargit le propos de la sensibilisation aux débouchés métiers au delà de la programmation. En fléchant le concours (réalisation d'une appli web) d'une part vers l'association des diverses compétences concernées : « le développement, l'intégration, l'administration système, le web design, le référencement, le community management », précise Dario Spagnolo), d'autre part vers la perspective d'une embauche ou d'un stage. Speed dating à la clé. Et, cette année, en simultané entre Paris et Tunis. 
 

Des hackatons dissociés de tout objectif de recrutement

 

Une chose est sûre : l'émulation entre compétiteurs et la mobilisation des entreprises sponsors, pour préparer et encadrer ces événements, ont contribué à populariser la mécanique de ces concours. Mais sûrement moins que l'essor phénoménal du secteur du développement d'applications mobiles. Lequel essor a fait que l'organisation de concours est devenu « un business à part entière », selon Christophe Romei, animateur de plusieurs sites de veille (servicesmobiles.fr, frenchmobile.com) et co-organisateur de hackatons. D'autant plus que cette dynamique s'étend hors secteur informatique, avec les hackatons thématiques (inventer la télé du futur, imaginer les applis de la maison connectée) et certains appels à projets (la ville connectée). Ou encore les concours lancés sur fond de jeux de données (open data) pour la création de services (l'Open data lab de la RATP, les Hack Data régionaux de la SNCF). Sans compter les sociétés qui font appel à cette émulation, à coups de hackatons organisés en interne, « pour entretenir la motivation de leurs propres équipes de développement », signale Christophe Romei. Des événements dissociés pour le coup de tout objectif de recrutement (sauf exception) ou de promotion des métiers du développement.

 

A l'inverse, certaines compétitions aux intitulés révélateurs, comme le Championnat de France du développement mobile, Olympiades d'informatique, mettent l'accent sur ce volet promotionnel. Ouvert aux lycéens : c'est la carte que joue de longue date le concours national Prologin (22è édition en 2014). Rejoignant de ce fait l'argument de ceux qui avancent que produire du code n'est pas l'apanage des seuls professionnels. Et qu'une bonne part de la réponse aux difficultés à recruter du secteur se trouve dans «l'informatique enseignée à l'école » et ses vertus pédagogiques louées notamment par le mouvement code.org. (« Programming allows you to think about thinking and while debuuging, you learn learning », soutient Nicholas Negroponte, fondateur et président du MediaLab du MIT). Sans s'illusionner pour autant : « la vague de production d'apps mobiles met aussi sur le carreau beaucoup de ceux qui ont cru pouvoir créer ainsi leur propre emploi », observe Christophe Romei.

 

Au total, rares sont les opérations de ce genre qui se flattent d'un résultat tangible en création d'emplois ou en embauches réalisées dans la foulée. Les sponsors restent discrets à ce sujet, arguant du fait qu'un processus d'embauche ne se limite pas à une tape dans la main à l'issue d'un concours. Les écoles et cursus associés ou sollicités pour ces concours n'en savent guère plus (en dehors du suivi des stages décrochés dans ce contexte). En attendant, face au déferlement de « compét » en tous genres, « on a pris le parti d'être plus sélectif », explique Laurent Trébulle (Epita). Exit ou déconseillés aux élèves les concours trop chronophages, pour eux et pour les enseignants. Privilégiés ceux qui – sans avoir forcément un objectif autre que d'amener les concurrents à se dépasser, tester leurs limites, ou plus prosaïquement décrocher un stage, ajouter une ou deux lignes à leur CV – ont quelque vertu pédagogique. La pluridisciplinarité, par exemple, de certains concours inter-écoles. Le fait de côtoyer des experts ou d'entrer en contact avec un milieu professionnel méconnu. Et bien sûr, les thèmes en résonance ou en prolongement de leur choix d'orientation (la sécurité IT, par exemple, ou un secteur d'activité, ou encore la création d'une start-up). Brainstorming, coaching, co-construction du concours avec l'école éventuellement à l'appui. « Sans pour autant en faire une modalité intégrée à part entière dans la pédagogie de l'école », insiste Laurent Trébulle.


 


 


 


 

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