Télécoms : la Commission veut un grand pas en avant

A défaut d'un grand bond en avant, la Commission propose aux opérateurs et aux utilisateurs un grand pas en avant pour les télécoms européens. Au programme, fin du roaming, uniformisation des contrats, convergence des cadres réglementaires et neutralité du net. Pas un mot en revanche sur un service universel du haut ou très haut débit.

Présenté par José Manuel Barroso, dans son discours sur l’État de l’Union, le nouveau paquet législatif élaboré par les services de Neelie Kroes, la vice-présidente de la Commission chargée de la stratégie numérique le projet  entérine l’élimination des charges d’itinérance mobile à l’échelle de l’union à l’horizon du 1er juillet 2014.

En fait, la Commission propose aux opérateurs deux options, la première consistant à proposer des tarifs d’itinérance alignés sur ceux du pays d’origine, et l’autre permettant aux opérateurs de dissocier leur formule, c’est-à-dire de permettre à leurs clients de choisir un opérateur différent pour les services  en situation d'itinérance (sans devoir changer de carte SIM). Un client d'Orange en Allemagne pourrait ainsi, par exemple,  choisir localement une offre de T-Mobile pour ses appels. Notons que la mise en oeuvre d'une telle proposition pourrait permettre aux projets de SIM virtuelle attribués il y a deux ans à Apple et Gemalto de voir le jour…

On peut aussi remarquer que les propositions de l'UE ne se limitent pas aux mobiles mais s'appliquent aussi au fixe; la Commission propose ainsi l’alignement des tarifs des appels intra-européens sur ceux des appels nationaux. En fait, il était temps : les forfaits intégrés des FAI en France, les services de ToIP et les services du type Skype ayant déjà permis de facto la suppression de ces surcoûts transfrontaliers depuis plusieurs années...

Protéger de façon uniforme les droits des consommateurs en Europe

La Commission propose aussi une harmonisation des droits des  consommateurs à l’échelle de l’Union européenne. La proposition inclut « le droit à des contrats clairement rédigés contenant des informations plus comparables, des droits plus étendus en matière de changement de fournisseur ou de contrat, le droit à conclure un contrat de 12 mois si le client ne souhaite pas un contrat à durée plus longue, le droit de renoncer à son contrat si les vitesses d'accès annoncées ne sont pas respectées, et le droit d'opter pour une fonction de transfert des courriers électroniques vers une nouvelle adresse électronique après avoir changé de fournisseur d'accès à internet ».

La neutralité du net garantie

La Commission entend aussi empêcher le blocage et la limitation de l’accès aux contenus internet, « garantissant ainsi aux utilisateurs l'accès à un internet ouvert et sans restriction, indépendamment du coût ou de la vitesse prévus par leur abonnement ». Elle précise que les opérateurs seraient toujours en mesure de fournir des «services spécialisés» à qualité de service garantie, tels que la télévision par internet (IPTV), la vidéo à la demande, certaines applications telles « que l'imagerie médicale haute résolution, les salles d'opération virtuelles et les applications en nuage à haute intensité de données d’importance critique pour les entreprises, pour autant que ces services ne freinent pas les vitesses d'accès promises à d’autres clients. Les consommateurs auraient le droit de vérifier s'ils bénéficient réellement de la vitesse d'accès pour laquelle ils paient, et de renoncer à leur contrat si leur opérateur ne respecte pas ses engagements à cet égard ».

Cette dernière mesure pourrait faire enrager certains opérateurs qui estiment que les géants du net profitent indument de leur infrastructure pour leur faire une concurrence déloyale. Une position en partie justifiée car la neutralité du net poussée par ces gens sous couvert de défense des intérêts des consommateurs est aussi une façon pour eux de s’assurer l’accès à bon compte à des tuyaux non limités vers leurs clients potentiels. Elle crée des facto un quasi obligation de « must-carry » pour les opérateurs internet et menace de les réduire au rôle de simples fournisseurs de tuyaux.

Si les opérateurs ont beaucoup à perdre des premières mesures de ce nouveau paquet télécom, la Commission leur propose aussi une simplification du cadre juridique à l’échelle européenne. Ils ne devront ainsi plus avoir à demander une licence par pays. Une licence dans un des états membres suffira au lieu de 28 autorisations distinctes aujourd’hui. De même, l’UE promet une diminution du nombre de marchés et une plus grande harmonisation des conditions dans lesquelles les opérateurs peuvent louer l'accès à des réseaux appartenant à d’autres entreprises afin de fournir des services compétitifs.

Vers une harmonisation des règles mobiles à l'échelle des 28 pays de l'Union

La Commission entend aussi coordonner l'assignation des radiofréquences à l’échelle de l’Union, notamment  en termes de calendriers, de durée. L’objectif officiel est de permettre aux opérateurs d'élaborer des plans d'investissement transfrontaliers plus efficients et éventuellement de faire émerger des champions à l’échelle européenne, capable d’opérer à l’échelle des 28 états et non plus à l’échelle de quelques pays. Les États conserveraient toutefois leurs responsabilités en la matière et continueraient de bénéficier des redevances versées par les opérateurs de réseau mobile. Du fait du principe de subsidiarité, les Etats devraient donc continuer à fixer les conditions d’exploitation des réseaux et notamment les obligations de couverture des opérateurs.

Notons pour terminer que l’UE n’est pas à un paradoxe près puisque tout en reconnaissant le rôle essentiel d’une bonne connectivité réseau dans la compétitivité des entreprises et des territoires et tout en souhaitant que l’ensemble des Européens puissent bénéficier d'un accès complet et équitable à l'internet et aux services mobiles, elle ne définit aucune obligation de couverture ou de service universel (pas plus qu’elle ne s’interroge sur les impacts de ses décisions en matière d’emploi dans le secteur des télécoms).

15 ans après les débuts de la déréglementation en France, la doctrine du tout concurrence de l’UE reste donc officiellement, avec à la clé des absurdités comme la multiplication de réseaux fibrés redondants dans des zones déjà bien desservies alors que des zones entières de l’UE restent privé du plus simple accès à haut débit. Une situation qui contraint les Etats et les collectivités locales à intervenir et à injecter des milliards pour palier la défaillance des opérateurs et assurer à leur population un service décent. Mais de cela, Neelie Kroes et José Manuel Barroso n’ont pas parlé…

 

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