Jeunes diplômés en informatique: attendus, recherchés, mais sans plus
L'époque n'est plus au tapis rouge, ni à la surenchère. Informer, proposer un complément de formation, miser encore et toujours sur l'accueil de stagiaires : telles sont les approches – plutôt classiques – qui ont cours chez les employeurs IT pour attirer les jeunes diplômés qui constituent le tiers des embauches du secteur.
D'un côté, la relative désaffection pour les métiers IT (SSII, DSI, R&D informatique) constatée par le bilan annuel du placement des promo sortantes des écoles d'ingénieurs. Avec un sur sept arrivants qui opte pour cette voie professionnelle en 2012, contre un sur cinq en 2007. De l'autre, 70% des recrutements ciblés sur les débutants (33%) et jeunes cadres jusqu'à cinq ans d'expérience (37%) pour une fonction qui reste « locomotive » (avec 34520 recrutements en 2012 selon le panel Apec, février 2013).
C'est dire s'ils sont attendus au portillon de l'embauche. Pour autant, l'époque n'est plus au tapis rouge, ni à la surenchère. Pour les employeurs, faire preuve d'originalité dans les job-dating et autres rencontres proposées aux candidats reste d'actualité. Mais aux modalités festives des années 2000 semblent désormais être préférés les contacts qui prennent tournure « pédagogique ». Et pas seulement pour informer et contrer les raisons sous-jacentes à leur désaffection, mais aussi pour former.
Expliquer les métiers
Même pour les grandes marques du secteur, même avec une pratique de relations écoles et d'accueil de stagiaires bien ancrée, « il faut aller les chercher, expliquer ce que sont nos métiers», résume Isabelle Néri, responsable du recrutement du groupe GFI Informatique. D'autant plus qu'au delà de la connotation technique et de l'organisation en projet, rares sont les contextes durant les études qui peuvent les mettre en face de la réalité « fonctionnelle », du contact avec le client-utilisateur de l'informatique. « A nous d'aider les administrations des écoles qui sont souvent démunies face à la rapidité de l'évolution des usages du numérique dans les entreprises», ajoute Dominique Dervieux, directrice adjointe recrutement de CGI. L'accueil de stagiaires y pourvoient en partie, agrémenté d'opérations ponctuelles (les journées « Vis mon job » organisées par CGI, les rencontres thématiques organisées dans les 40 villes d'implantation de GFI). Ce qui donne, notamment, 800 stagiaires et étudiants en alternance pour CGI dont 60% sont embauchés, pour un total de 1200 embauches par an ; et une centaine de stagiaires et alternants pour GFI, pour un total de 1300 embauches dont environ 300 jeunes diplômés.
Les emplois non pourvus : un mythe?
Parmi les 36400 demandeurs d'emploi du secteur IT (chiffres de mai 2013, catégories A,B,C, sans emploi ou avec activité réduite, ), soit 5000 de plus qu'en 2012 même époque, une majorité de seniors, certes, mais aussi, 18% de moins de trente ans (taux de décembre 2012). Autant dire, comme le souligne le Munci que les difficultés de recrutement (incontestables et structurelles) ne riment pas avec pénurie. Et que les emplois « non pourvus » ressortent plutôt d'un besoin de renforcement des dispositifs de formation et d'accompagnement. A en croire une certaine presse américaine de la côte Ouest, le constat de la pénurie d'informaticiens érigée en mythe n'est pas spécifiquement français.
Sauf que ce contact avec la réalité-métier n'intervient que trop tard dans l'orientation des jeunes... dont l'informatique n'est pas, le plus souvent, le premier choix. «Il nous faut pallier au déficit d'image dès la première année de cursus », complète Dominique Dervieux, impliquée pour CGI et pour Syntec numérique, dans les opérations de l'association Pascaline. Et sauf qu'en plus, les écoles et cursus universitaires ayant vocation à former des généralistes, cela ne satisfait pas l'appétit des employeurs (SSII ou DSI) pour une main-d'œuvre immédiatement opérationnelle car déjà spécialisée.
Des postes en forte tension
Pour Jérôme Gras, directeur exécutif responsable de la division informatique du cabinet Page Personnel, « là est la principale difficulté du recrutement dans ce secteur », du fait des modes et des vagues de technologies qui se succèdent, réclamant un apport de compétences forcément rares sur des domaines émergents, et qu'on s'arrache. Rien de bien nouveau! Car cette difficulté - récurrente - se traduit par un constat - récurrent lui aussi - de postes en forte tension ou réputés « non pourvus » (comme on le dit actuellement des postes de développeurs étiquette « nouvelles technologies »). Face au niveau d'expertise demandée par les entreprises, la réponse ne peut venir de jeunes qui n'ont guère d'heures de vol à leur actif. La parade ? « Soit l'employeur revoit ses exigences ou modifie le poste à pourvoir. Soit on trouve les moyens de former les compétences voulues ». Ce qui, en toute logique, fait que « les postes finissent toujours par être pourvus » , remarque ce consultant, mais avec un décalage de timing.
Les propositions de formation en guise de premier contact (Micropole ou Keyrus autour de la Business Intelligence, Softeam pour la conduite de projet, Microfocus pour le Cobol, Suse pour Linux, la fondation Linux pour Openstack), ou les défis techniques et autres journées-test (style Hackaton) que l'on voit fleurir, sont de toute évidence un moyen efficace de sourcing. Voire de valorisation des débouchés. Pour Michel Koutchouk, directeur général de la SSII Infotel (200 embauches prévues en 2013, 10 à 15% de stagiaires) à l'initiative d'une formation aux technologies de la mobilité (deux mois et demi) proposée aux jeunes recrues, « on ne fait pas cela pour attirer les candidatures, mais parce que cela correspond à une demande forte de nos clients ».
Le passage par la formation ou la certification
Même constat chez Lexsi (conseil en sécurité de l'information et gestion des risques) : « nos métiers réclament une telle expertise qu'au niveau de l'embauche, on ne peut pas ratisser large », explique Patrick Ragaru, directeur des opérations. Première difficulté à laquelle s'ajoute, pour cette PME de 170 personnes, la concurrence de grandes firmes également en quête de spécialistes sécurité. Sauf que manoeuvrant justement sur un segment de marché en forte croissance, donc particulièrement exposé et attirant des passionnés, il s'agit avant tout de faire valoir son positionnement. « On élargit volontairement notre sourcing, vers des ingénieurs généralistes », ajoute le responsable. Résultat : 36 embauches depuis début 2013. Moyennant le passage des jeunes recrues par une formation aux savoir et savoir-faire pointu de la sécurité qui, par ailleurs, fait partie de la gamme de services dispensés par la société.
Pour Grégoire Delassence, responsable pédagogie et recherche de l'éditeur SAS, dans le domaine de l'informatique décisionnelle, la question du complément de formation ne se pose même pas, tant « le niveau de compétence des débutants est faible». Y compris chez les étudiants des écoles du groupe A sur lesquels se focalisent les démarches de certains employeurs. « Formuler une requête SQL, même des plus simples, ils ne connaissent pas », s'inquiète-t-il. La parade, selon lui ? "La certification professionnelle qui, de premier abord, peut ressembler à du bachotage et une reprise des fondamentaux, mais qui garantit que l'on a bien compris les normes, les standards, les processus de manipulation des données ». Ce que, par ailleurs, des cursus universitaires (Paris-13 Villetaneuse, Orléans), ouverts sur les débouchés de ce domaine, assurent auprès de petits groupes d'étudiants « particulièrement motivés », glisse l'intervenant de SAS.
Car tout n'est pas noir, ni gris, loin s'en faut, du côté des promos sortantes et de leur motivation. Une désaffection pour les métiers IT ? « Ce n'est pas le cas chez nous », rétorque Nicolas Delestre, directeur de la spécialité Architecture des systèmes d’information (ASI) de l’INSA de Rouen. Statistiques à l'appui : en 2012, 52% des étudiants sortants ont été embauchés par des SSII (contre 42% en 2010), et 21% dans les départements informatiques des entreprises (contre 40% en 2010). Dans 95% des cas, le stage de fin d'études a tout d'une préembauche. Mais il est vrai aussi que, à l'entrée même de ce cursus, la sélection – notamment sur critères de motivation – a été sévère. « Sur 100 dossiers, on en retient dix. Les entreprises sont plutôt moins exigeantes que nous », remarque Nicolas Delestre. Les grandes et moyennes structures (Capgemini, Sopra, Solucom) y trouvent leur compte, autant que les prestataires positionnés sur des marchés de niche (environnement J2E, pour Excilys, par exemple, qui compte dans ses effectifs une quinzaine d'anciens Insa).