Opinion : l'autorité de la concurrence ressort la mauvaise idée de la séparationdes télécoms
La gué-guerre entre autorités dans le secteur des télécoms est repartie de plus belle hier avec la publication par l’Autorité de la concurrence d’un avis invitant l’Arcep (l’autorité en charge de la régulation du secteur des télécoms) à réfléchir à un scission des activités de réseau et de service de France Télécom. Une fausse bonne idée...
Sans doute parce que la question semblait enfin écartée, l'autorité de la concurrence a relancé hier dans un avis l'idée d'une séparation fonctionnelle entre les activités de réseau de France Télécom et ses activités de services. L’idée d’une telle scission entre infrastructures et services dans le secteur des télécoms n’est pas nouvelle. Déjà appliquée dans d’autres secteurs, comme ceux du rail ou de l’énergie (avec la création de RTE et ERDF pour le transport de l’électricité ou de RFF pour le réseau ferré), elle a été inspirée par les réflexions de Bruxelles, jamais à cours d’une "bonne" idée quand il s’agit de "libéraliser" l’activité d’un secteur.
Présentée comme un moyen de renforcer la concurrence en empêchant les acteurs historiques d’abuser de leur position dominante dans le domaine des infrastructures, la séparation fonctionnelle des activités infrastructures des activités de services n’a jusqu’alors guère fait la preuve de son efficacité dans les secteurs où elle a été appliquée. Dans le secteur du transport ferroviaire, comme dans celui de l’électricité, elle s’est traduite par une dégradation de la maintenance et par une baisse générale de l’investissement dans les réseaux, qui pose aujourd’hui problème à l’ensemble des acteurs de ces secteurs.
Pour le consommateur, elle se traduit aussi par une complexité accrue. Dans le domaine de l’électricité, l’acteur chargé de la réparation ou de la connexion au réseau est ainsi différent de celui qui vend le service de fourniture d’électricité. Or après des années d’un monopole qui avait fait ses preuves, il est difficile de faire comprendre à madame Michu qu’en cas de problème réseau ou de besoin de raccordement, c’est ERDF qu’il faut appeler et non pas EDF et les agents d'une entité se font un plaisir de renvoyer la balle vers l'autre en cas de problème. Ajoutons à cela que la multiplication des acteurs n’est pas toujours synonyme d’efficacité économique et que la séparation fonctionnelle peut aussi avoir des implications en matière de hausse des prix.
Pour ce qui est du secteur des télécoms, les clients ADSL dégroupés chez Free, SFR ou Bouygues, ont déjà parfois une assez bonne idée du casse tête que pourrait représenter une séparation fonctionnelle générale. En cas de panne sur leur accès, ils doivent en effet se coltiner une multitude d’acteurs, à commencer par leur FAI, puis France Télécom (ou l’un de ses multiples sous-traitants), chacun se renvoyant éventuellement la balle jusqu’à l’éventuel réglement du problème. Lorsqu’un acteur ne maitrise pas complètement sa chaine technique, le risque de voir ce genre de problème s’accroit. Or, la séparation fonctionnelle généraliserait le système à tous les opérateurs et donc à tous les clients.
Autre problème, celui de l’investissement. Avec un acteur unique pour le réseau, l’incitation à investir pour les opérateurs alternatifs recule fortement. Chacun peut en effet s’appuyer sur le réseau en place, comme s’il était le sien. Et ce n’est sans doute pas du côté du nouvel acteur en charge de gérer le réseau d’infrastructure qu’il faudra chercher le salut. Ce dernier n’étant absolument pas incité à créer de nouveaux services (une mission qui repose sur les opérateurs de service), il ne sera guère enclin à investir dans de nouvelles infrastructures, préférant se concentrer sur la rentabilisation de ses actifs existants.
Enfin, la séparation fonctionnelle pose un problème spécifique au secteur des télécoms, celui de l’innovation dans les services. Nombre de services télécoms innovants combinent en effet des éléments d’infrastructure et des éléments de service. Séparer les deux couches revient à castrer les capacités d’innovation (ou de réduction tarifaire) des acteurs, tous étant placés à la même enseigne pour ce qui est de l’infrastructure. Fausse bonne idée, la séparation fonctionnelle pourrait même, dans le secteur des télécoms avoir un résultat contraire à celui mis en avant par l’autorité de la concurrence: celui d’uniformiser les services et les prix et donc de niveler la concurrence, plutôt que d’encourager la diversité.
Alors pourquoi un tel avis de l’autorité de la concurrence, alors que récemment l’Arcep avait elle-même écarté l’idée d’un opérateur mutualisé pour la fibre optique ? Une lecture possible est la guerre de position que se livre les deux institutions. Dans son avis, l’Autorité de la Concurrence explique ainsi «qu’une telle mesure (...) peut apporter des garanties importantes quant au bon fonctionnement des marchés et alléger le contrôle de l’opérateur régulé». Ce qui revient aussi à réduire le rôle de l’autorité en charge de la régulation spécifique du secteur des télécoms...