Jim Hagemann Snabe, SAP : "La crise de la dette ne doit pas focaliser toute l'attention"
Alors que le sujet de la compétitivité des entreprises françaises revient sur le devant de la scène avec l'ouverture de la conférence sociale par le président de la République, le Pdg du premier éditeur de logiciels européen donne sa vision sur un sujet qui agite le continent. Un dirigeant lui-même européen qui juge que les débats sur le Vieux Continent se focalisent trop sur la dette… et pas assez sur le potentiel de l'innovation.
Invité à s'exprimer lors de la Global Business Leaders Conference, manifestation organisée à Paris par l'Insead et L'International Herald Tribune sur le thème de la compétitivité européenne, Jim Hagemann Snabe, le co-Pdg de SAP, a fait entendre une petite musique différente par rapport à celles jouées par Thierry Breton, le Pdg d'Atos, Jon Fredrik Baksaas, Pdg de Telenor, ou Jean-François Copé, le secrétaire général de l'UMP.
Pour le dirigeant danois de SAP, la priorité européenne ne devrait pas être la dette ou la baisse du coût du travail, mais plutôt l'emploi des jeunes. Une faiblesse (rappelons que dans les pays durement frappés par la crise, comme la Grèce ou l'Espagne, environ un jeune sur deux est au chômage) qui, selon lui, empêche l'Europe de relever les défis qui l'attendent. Rencontre avec un Pdg soucieux des générations futures et qui voit l'innovation comme une porte de sortie pour le continent.
LeMagIT : la crise de la dette continue à frapper l'Europe. Est-ce que cette crise gèle l'innovation et les projets innovants ?
Jim Hagemann Snabe : Le risque est bien présent, au moins pour deux raisons. D'abord, dans un environnement où les ressources en capitaux sont rares, la tentation de réduire les investissements dans la recherche et l'innovation existe bel et bien. Ensuite, l'attention constante des médias sur la crise de la dette, la part que prend ce sujet dans nos conversations, détourne l'attention de l'innovation comme autre moyen de résoudre le problème. Car il faut placer l'innovation sur l'agenda politique de façon assumée, délibérée ; cela ne signifie pas que nous devons nous désintéresser de la crise de la dette, mais en parallèle il faut assurer la croissance et dégager des gains de productivité par l'innovation. D'autant plus que ce n'est qu'ainsi que nous trouverons des solutions aux problèmes qui se posent déjà et qui n'iront qu'en s'amplifiant à l'avenir. Comme la gestion de l'énergie ou des ressources limitées en général, domaines pour lesquels nous avons besoin de gagner en efficacité.
En tant que Pdg d'un groupe multinational, vous pouvez observer les politiques d'innovation de nombreux pays dans le monde. Quelles sont les caractéristiques de l'écosystème mis en place en Europe ?
Jim Hagemann Snabe : De façon très globale, l'innovation aux Etats-Unis semble se focaliser davantage sur le grand public, tant en termes de produits que de services. La force de l'Europe réside davantage dans l'innovation orientée vers le B2B, avec des solutions plus complexes.
Mais la plus grande différence réside dans une plus grande acceptation du risque aux Etats-Unis, appuyée par des quantités suffisantes de capital-risque et de financement permettant aux jeunes sociétés de grandir. Dans une large mesure, cette mentalité nous fait défaut en Europe. Il est ainsi significatif qu'une des sociétés que nous avons acquise récemment, SuccessFactors, ait été créée aux Etats-Unis par un Européen ; Lars Daalgard étant danois (comme Jim Snabe, ndlr). En 10 ans, il a créé une société qui a été rachetée pour plus de 3 milliards de dollars. En tant qu'Européen, il faut se poser la question : pourquoi a-t-il eu besoin de déménager aux Etats-Unis pour concrétiser sa vision, son idée ?
Cette semaine, un rapport indépendant sur les politiques d'innovation en France dénonçait des mesures qui, depuis des années, n'ont fait que favoriser une poignée de grands groupes. Est-ce également votre opinion ?
Jim Hagemann Snabe : C'est un point crucial. En tant que grande entreprise, nous défendons ce que nous appelons le pouvoir des petits en matière d'innovation. Les efforts doivent se concentrer sur les petites entreprises et sur les grandes organisations qui jouent un rôle d'animateur dans l'innovation, en offrant aux PME l'accès à leurs technologies, leurs marchés ainsi qu'à des financements privés. Très souvent, ces organisations produisent des idées réellement innovantes, car elles n'ont pas à se soucier d'entretenir une activité déjà en place. Elles sont donc plus libres : or c'est souvent l'innovation ouverte, sans contraintes à priori, qui débouche sur les idées les plus décisives. Elles agissent aussi plus rapidement que les grandes organisations. Enfin, elles aident à résoudre le problème du chômage des jeunes en Europe. Les 20 millions de PME européennes créent un emploi sur deux sur le continent. Une grande entreprise comme SAP peut s'adapter à ses nouveaux besoins sans embaucher énormément. Une PME non : elle doit recruter, avant d'espérer conquérir de nouveaux marchés. C'est pourquoi il est très important que non seulement les gouvernements, mais aussi de grandes entreprises comme la nôtre, apportent leur soutien aux PME.
Comme pouvez-vous aider ces petites entreprises ?
Jim Hagemann Snabe : Par une stratégie basée sur des écosystèmes ouverts. Nous encourageons et aidons la création d'entreprises partenaires, qui construisent leurs offres au-dessus de nos propres technologies. Nous fournissons une plate-forme déjà très riche, afin que nos partenaires n'aient pas à investir dans le socle technologique, et puissent se concentrer sur leurs apports de valeur. D'autre part, nous leur offrons un accès au marché global. En construisant une application pour l'écosystème SAP, une entreprise a immédiatement accès à environ 200 000 clients dans le monde, sans avoir à investir dans l'accès à ce marché.
En mai, nous avons annoncé l'accès gratuit à la plate-forme Hana, notre nouvelle architecture de base de données travaillant avec des données intégralement en mémoire. Cette architecture offre l'occasion de résoudre des problèmes qui restaient insolubles jusqu'alors, car nous pouvons désormais analyser de grands volumes de données très rapidement et à un coût très bas. J'ai rencontré récemment, aux Etats-Unis, les 20 premiers entrepreneurs qui concentrent leurs efforts sur l'innovation au-dessus de Hana. Nous allons faire de même avec la mobilité - autour de notre plate-forme Sybase Unwired Platform (SUP) - et dans le Cloud, afin que nos partenaires puissent étendre nos offres. C'est une façon d'assumer nos responsabilités.