Apple : l'Irlande, désignée comme la grande lessiveuse européenne
Alors que l'Irlande occupe la présidence de l'Union européenne, un rapport du Sénat américain pointe la complaisance fiscale des autorités de l'île. L'Irlande est en effet au centre des mécanismes d'optimisation fiscale d'Apple.
Les accusations de fraude fiscale frappant les grands noms de l'IT ne se limitent pas à l'Europe. Hier, Tim Cook, le Pdg d'Apple entouré du directeur financier de la société ainsi que de son directeur fiscal, faisait face à une commission d'enquête du Sénat américain. Dans le viseur des élus d'outre Atlantique : les pratiques d'Apple consistant à réduire son assiette d'imposition en ne rapatriant pas la totalité de ses profits aux Etats-Unis. « Apple a utilisé de multiples structures, arrangements et transactions offshore pour soustraire des milliards de dollars de profits des Etats-Unis vers l’Irlande, où Apple a négocié un taux d’imposition sur les sociétés spécial inférieur à 2 % », écrit le rapport du Sénat. Dans deux rapports précédents, la même commission avait déjà épinglé les pratiques de HP et Microsoft en la matière.
Apple se défend crânement
Comme Google avant lui - récemment entendu par les parlementaires britanniques notamment - Apple a défendu son système d'optimisation fiscale devant le sénat américain. Rappelant la légalité de ce dernier, la firme a expliqué avoir été soumis à un taux d'imposition de 30,5 % l'année dernière aux Etats-Unis et être probablement l'entreprise rapportant le plus de taxes à l'administration américaine. La société a versé près de 6 Md$ versés au Trésor en 2012. Mais, selon le rapport de la commission du Sénat, ses pratiques d'optimisation fiscale lui permettent d'éviter d'en payer environ 10 de plus chaque année. Le patron d'Apple plaide pour une simplification du système fiscal américain et un taux d'imposition inférieur à 10 % pour les profits rapatriés au pays.
Selon le rapport sur la firme de Cupertino, sur les 145 milliards de dollars de cash dont dispose la société, 102 milliards sont hébergés sur des comptes offshore. La commission rappelle aussi que pour investir dans ses opérations aux Etats-Unis et payer des dividendes à ses actionnaires, la firme a préféré contracter une dette de 17 milliards de dollars, plutôt que de faire appel à son bas de laine stocké dans des paradis fiscaux.
30 Md$ de recettes, pas d'impôt
Pour les rédacteurs du rapport, le cœur du réacteur du système Apple est clairement situé en Irlande. "Apple a établi et a dirigé des milliards de dollars vers au moins deux filiales irlandaises", écrit la commission. Apple Operations International, principale holding offshore du groupe, n'emploie aucun salarié, n'a aucune présence physique en Irlande, a réalisé 30 Md$ de recettes entre 2009 et 2012 sans payer aucun impôt à quelque état que ce soit au cours des 5 dernières années, profitant de différences de législation entre les Etats-Unis et l'Irlande sur la notion de résidence fiscale. Pour la commission, les activités de cette filiale sont contrôlées "presque entièrement" par Apple Inc., aux Etats-Unis. Une autre filiale irlandaise Apple Sales International a bénéficié ces dernières années d'un taux d'imposition inférieur à 0,1 %, grâce à un accord avec le gouvernement irlandais, affirme le rapport. Rappelons que, normalement, le taux d'imposition sur les bénéfices est de 12,5 % en Irlande, un taux déjà exceptionnellement bas.
L'embarras de l'Irlande
La charge contre l'Irlande est si violente que le gouvernement du pays est sorti du bois. A Bruxelles, le vice-premier ministre de l'Irlande a ainsi expliqué que son pays ne négociait pas "de taux spéciaux avec les multinationales". L'affaire embarrasse en effet Dublin, actuellement à la tête de l'Union européenne dans le cadre de la présidence tournante. Or, précisément, la lutte contre l'évasion fiscale figure parmi les thèmes inscrits à l'agenda de la réunion des 27 chefs d'état européens, qui se tient ce mercredi à Bruxelles. De facto, la question figure en bonne place dans toutes les discussions internationales. Déjà au menu d'un G20 Finances en février, l'optimisation fiscale figurera encore parmi les priorités du sommet du prochain G8, organisé par la Grande-Bretagne les 17 et 18 juin.
Une étude du cabinet Greenwich Consulting évaluait récemment à près de 1,5 Md€ le manque à gagner pour le fisc français sur cinq des plus grands noms de l'IT (Apple, Amazon, Facebook, Google et Microsoft). Et ce, pour la seule année 2011. Le rapport de la commission du Sénat américain montre également le poids de l'évasion fiscale dans certains pays : aux îles Caïman, les profits des multinationales américaines concentrés sur place pèsent 546 % du PIB. Aux Bermudes, ce taux atteint 645 %.