L'apprentissage dans le secteur IT, comment ça marche ?
Près de trente ans de pratique de l'apprentissage, plus de 7000 jeunes informaticiens et spécialistes réseaux formés en alternance chaque année. Et pourtant, chaque cursus lancé sous cette modalité semble relever de la démarche expérimentale. Du sur-mesure ou presque. Est-ce pour cela que ça marche ?
En septembre prochain, une quinzaine de jeunes bac+2 entameront à l'école Télécom SudParis, un cursus de trois ans en alternance les amenant au diplôme d'ingénieur réseaux. La spécificité de cette nouvelle section : d'une part, elle est orientée vers un segment du marché des télécoms en fort devenir, les réseaux très haut débit, gourmand en compétences ; d'autre part, elle correspond à la volonté de l'établissement d'élargir le « sourcing » des futurs ingénieurs. « Jusqu'ici, le recrutement pour nos cursus ingénieurs n'était pas ouvert aux bac+2, BTS et DUT », précise Christophe Digne, directeur de l'école d'Evry. Une première donc pour celle-ci, contrairement à d'autres structures de l'Institut Mines-Télécom (nouveau groupe d'appartenance de l'ensemble des écoles d'ingénieurs télécom) déjà adeptes de la formation d'ingénieurs par l'apprentissage ouvertes aux bac+2, notamment Télécom Lille1 (autrefois Enic) depuis plus de vingt ans.
15 apprentis, pas 1000
Aucune commune mesure entre cette « promo » de 15 apprentis et la formation de trois ans (non diplômante) proposée à 1000 apprentis-développeurs (de tous niveaux d'étude) par le programme 42 de Xavier Niel. Et pourtant, quelques points de ressemblance existent entre les deux types de démarche, à commencer par leur finalité : un débouché assuré et l'acquisition par la pratique (l'alternance) de compétences attendues par des employeurs partenaires.
Dans le cas du nouveau cursus en alternance de Télécom SudParis, pas moins d'une quinzaine d'entreprises (opérateurs, équipementiers, grands industriels, sociétés d'ingénierie) et autres instances (collectivités locales, le pôle OpticsValley, Syntec numérique, le Crédo et l'Unetel-RST, groupement des entreprises du secteur télécom), ont été associées au montage du programme en fonction des compétences à acquérir. Pour être « expérimentale », comme le reconnaît Christophe Digne (« il nous faut vérifier que le vivier des bac+2 ciblé est bien là et que nous pouvons former ces nouveaux profils »), la démarche peut s'appuyer sur l'expérience de longue date de formation par l'apprentissage de l'école d'ingénieur partenaire, l'Ensiee d'Evry, ainsi que le CFA Eve (Centre de formation universitaire en apprentissage d'Evry Val d'Essonne).
En termes d'effectif, elle s'aligne sur les modalités habituelles de l'école, dont les promos de 200 élèves-ingénieurs environ, se répartissent sur quelques 15 options : « notre approche pédagogique se fonde sur une organisation par groupe de 24 étudiants », relève le directeur. D'où la limitation à 15 apprentis pour cette cuvée spéciale 2013. Et d'ajouter :« en tout cas, nous n'avons aucun doute pour l'aval, quant aux débouchés et au soutien des employeurs ». Alors pourquoi avoir attendu ? « Nous avons groupé ce lancement et la demande d'accréditation de ce cursus avec le renouvellement de l'accréditation de l'école par la Commission des titres d'ingénieur », précise Christophe Digne.
7000 apprentis dans la filière IT
Ce n'est pas au Syntec numérique qu'on le contredira. Le développement de la pratique de l'alternance sous contrat d'apprentissage ou de professionnalisation (plutôt orientée reprise d'étude) dans le secteur IT est flagrant depuis cinq ans. A ce jour, le nombre d' « alternants » de moins de 26 ans accueillis et formés par la filière numérique (toutes entreprises confondues) a probablement dépassé le cap des 7000. Probablement ! Car le décompte présenté par la chambre professionnelle ne concerne que les contrats de professionnalisation : soit 4500 cette année. « Pour la simple raison que ces contrats sont gérés par le Fafiec », observe Michael Hayat, délégué aux affaires sociales de Syntec numérique.
L'organisme paritaire collecteur des fonds (Opca) de la branche, Fafiec, ne couvre pas en effet le financement des contrats d'apprentissage dont le recensement ne peut se faire qu'en recoupant les données des divers CFA (centre de formation par l'apprentissage) de l'Hexagone. Qui pour leur part, ne distinguent pas dans leur recensement les apprentis-informaticiens accueillis dans les entreprises relevant de la convention collective Syntec (SSII, éditeurs, bureaux d'études) et le flux d'apprentis de la filière entière (employeurs de tous secteurs confondus).
« En nous rapprochant de la région Ile-de-France pour ce décompte, nous avons tracé quelques 800 contrats d'apprentissage pour notre secteur », expose Michaël Hayat. « Au doigt mouillé, on peut tabler sur 1500 à 2000 apprentis pour l'ensemble du territoire. » Et d'en déduire : « la pratique des contrats de professionnalisation, au rythme d'environ 5000 par an, est entrée dans les moeurs. La grande évolution vient du recours au contrat d'apprentissage. »
Diversification du sourcing
Car même si la demande est bien là, tant du côté des employeurs intéressés notamment par la diversification de leur sourcing de candidats (comme prétend le faire l'initiative de Xavier Niel), que de la part des jeunes, l'organisation de cette modalité d'hybridation entre études et travail à temps partiel ne s'improvise pas. Et surtout l'adhésion de l'entreprise n'est pas si simple à obtenir. Non pas faute d'argument concernant son intérêt pour toutes les parties concernées (employeurs, employés, établissements de formation).
Le groupe Capgemini, qui accueille près de 470 apprentis cette année, dont un tiers en contrat d'apprentissage, deux-tiers en contrat de professionnalisation, en témoigne. « Pour la division dont je m'occupe, nous sommes passés depuis trois ans de 80 jeunes en alternance à 220 en 2012-2013 », relate Geoffrey Burns, directeur du recrutement de Capgemini Applications Services. Soit un peu plus de 10% du flux annuel d'embauches (1700 en 2011, 1600 en 2012). Les autres unités (Consulting, Sogeti) enregistrent la même progression.
« Nous croyons fortement à cette façon de recruter et de former en même temps à nos métiers pour lesquels, au delà du savoir et du savoir-faire technique qui peuvent être acquis durant les études, le savoir-être est tout aussi important. Notamment le travail d'équipe, l'interfaçage avec les clients, la négociation et autres aspects des métiers du service qui peuvent ainsi s'acquérir chez nous en apprentissage, sur des périodes plus longues que celle des stages».
Une acquisition du savoir-être
Ce qui a néanmoins nécessité en amont un important travail d'approche, de relation avec les écoles et universités, de montage spécifique avec les unes et les autres, de définition des rythmes d'alternance. L'avantage d'un groupe recrutant massivement des débutants (60-70% des 1600 embauches pour l'entité Application Services) étant que les relations avec le milieu de l'enseignement supérieur sont déjà bien activées.
« Mais le retour sur investissement est réel », assure Geoffrey Burns. S'agit-il, avec l'apprentissage, de diversifier le sourcing du recrutement ? « Pas vraiment », répond ce directeur du recrutement, « puisqu'il est déjà de fait très diversifié ». Sans compter qu'il faut aussi convaincre et dépasser les réticences des managers en interne. « C'est souvent ce qui pêche dans notre métier », reconnaît Geoffrey Burns. D'autant plus que les entreprises clientes des prestations des SSII persistent à ne vouloir que des bac+5 et compétences confirmées affectées à leurs projets.
Autant dire que ce travail amont de collaboration écoles-universités/entreprises s'apparente souvent à du montage sur-mesure, cursus par cursus, presque apprenti par apprenti. Comme l'illustrent d'autres initiatives récentes – plus ciblées - comme celle de la SNCF avec les prestataires (GFI, Atos, Steria) et l'académie de Lille. Il n'empêche: l'ancrage de cette pratique dans les moeurs de la formation initiale (et la formation de « seconde chance ») de personnels qualifiés pour le secteur IT, notamment, est bel et bien confirmé.
Ecole des Mines d'Alès : 120 apprentis sur une promo de 300 ... en 2018
Pour rappel : selon la CTI, environ 10% du flux total des jeunes diplômés des écoles d'ingénieurs relève de l'apprentissage, soit environ 3000 ingénieurs toutes spécialités confondues. Vivier de premier plan du secteur IT, le groupe Institut Mines-Télécom représente un éventail de ces formations en alternance, à Mines Nantes (filière ingénierie logicielle), Mines Douai (spécialité productique), Télécom Lille 1 (ingénieur télécom), Télécom ParisTech (ingénieur télécom, 23 étudiants cette année), Télécom Bretagne (ingénieur réseaux et télécom), Mines d'Alès (Informatique et réseaux).
Pour cette dernière, le cap est clairement mis vers une augmentation des effectifs de promo (300 à l'horizon 2018 contre 180 aujourd'hui) grâce à l'apprentissage (120 apprentis par promo , mais pas seulement IT bien sûr, toutes options confondues). Les universités ne sont pas en reste. Pour les Miage par exemple (master méthodes informatiques appliquées à la gestion), ces dernières années, le quart des effectifs (soit environ 800 étudiants) est concerné.
En complément sur le MagIT:
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