Réutilisation des fréquences 1800 MHz : l'Arcep multiplie les manœuvres dilatoires
Avec un art consommé du politique, le gendarme des télécoms prend son temps pour répondre à la demande de réutilisation des fréquences 1800 MHz en 4G, demande émanant de Bouygues Telecom. Une demande qui, si elle est acceptée, déclencherait les grandes manœuvres entre les quatre opérateurs.
Question : combien faudra-t-il de temps à l'Arcep pour répondre à une demande simple de Bouygues Telecom, demande portant sur la réutilisation des fréquences 2G en 1800 MHz pour faire de la 4G ? Cette question, posée à la mi-juillet 2012 par le 3e opérateur mobile français au régulateur, n'a toujours pas reçu de réponse. Avec un art consommé du politique, l'Arcep a en effet multiplié études, consultations et concertations, mais n'a toujours pas tranché. Comme le montre une nouvelle fois,
le document d'orientation publié hier par le gendarme des télécoms. Bouygues Telecom, qui a subi de plein fouet l'offensive de Free dans le mobile, a pourtant fait une demande simple, compatible avec le cadre réglementaire européen qui encourage les membres de l'UE a faire de la neutralité technologique la règle pour l'utilisation du spectre radio 3gpp (celui utilisé par les différentes normes de téléphonies mobiles 2G, 3G et 4G). Sauf que, dans la transcription du dernier paquet télécom, le législateur français, dans sa "grande sagesse", a repoussé à 2016 le caractère obligatoire de cette neutralité, tout en ménageant un régime d'exceptions pour les demandes qui interviendraient entre temps. A l'horizon 2016, on sait que le spectre 1800 MHz sera donc ouvert au refarming, une évolution qui se traduira aussi par une évolution des allocations de fréquences, Free devant récupérer un total de 15 MHz provenant de façon équitable des trois opérateurs mobiles en place (la distribution du spectre disponible serait alors équilibrée entre les quatre acteurs).
Tout bénéfice pour Free ? Mais voilà, Bouygues n'a pas l'intention d'attendre 2016 et souhaite accélérer son arrivée sur la 4G via la réutilisation de ses ressources 2G. Richement doté en fréquences 1800 MHz, la filiale du groupe de construction a tout intérêt à une réponse positive qui lui permettrait de déployer dès 2014 une couverture quasi-nationale en 4G. Même si en contrepartie, elle doit pour cela céder 5 MHz de ressources à Free afin de respecter les règles de la concurrence. Problème, Orange et SFR ont des intérêts rigoureusement opposés. Les deux opérateurs ont beaucoup investi dans la 4G dans les bandes des 800 MHz et des 2600 MHz et voient d'un très mauvais œil la réutilisation des fréquences 1800 MHz, qui pourrait permettre à Bouygues Telecom de les prendre de vitesse - une simple mise à jour logicielle de stations de base récente, permet d'activer la 4G sur les équipements existants - et à Free de disposer de plus de ressources en fréquences. Dans les coulisses, les deux opérateurs se sont donc agités pour dire tout le mal qu'ils pensent de l'idée de Bouygues Telecom et de la menace qu'elle fait peser sur l'économie du secteur et sur l'emploi... Il faut dire que si Bouygues Telecom obtient satisfaction, il est fort probable que SFR et Orange n'auront d'autre choix que de l'imiter et d'accélérer eux aussi le refarming de leur spectre. Pour les consommateurs, ce serait tout bénéfice avec un déploiement accéléré de la 4G. Pour les opérateurs, en revanche, ce serait ouvrir l'accès pour Free à 15 MHz de spectre, à un coût faible par rapport au prix payé pour ses fréquences 4G. Dans le document d'orientation publié hier, et concernant la "neutralité technologique dans la bande des 1800 MHz" (autrement dit la capacité pour un opérateur à y faire passer indifféremment des services 2G, 3G ou 4G), l'Arcep confirme que l'arrivée de cette neutralité passerait par une redistribution de fréquences à Free, aujourd'hui absent de la bande des 1800 MHz. Mais le gendarme des télécoms se garde bien de donner un avis quant à la demande de Bouygues Telecom visant une réutilisation immédiate des fréquences de la bande des 1800 MHz. Le document est une magnifique analyse de la situation réglementaire actuelle et des positions de chacun, mais dans la pratique, il s'agit aussi de l'ultime manœuvre dilatoire de l'Autorité. L'Arcep doit en effet fournir une réponse à Bouygues Telecom dans les huit mois suivant sa demande, soit au plus tard le 19 mars 2013. Cela ne lui laisse plus que 6 jours pour faire des ronds dans l'eau...