L’informatique s’industrialise, au détriment de l’emploi ?
Cela ne se jouera pas sur 5 ans, ni même peut-être 10 ans. Mais l’impact de l’industrialisation sur l’emploi informatique commence déjà à soulever des inquiétudes, notamment en Inde.
L'industrie des services IT pourrait-elle passer à l'ère des "Temps modernes" ? C'est une question que l'on se peut poser en ce début 2013. A l'heure des composants ré-utilisables et de l'industrialisation des services, le monde du IT et de l'offshore commence à enregistrer les effets d'une mutation de son modèle. A commencer sur le terrain de l'emploi.
À l’occasion de CA World 2011, par exemple, Dave Dobson, vice-président exécutif de CA Technologies, le reconnaissait bien volontiers, alors même que ses outils contribuent au phénomène d’industrialisation de l’IT : «oui, l’IT s’industrialise elle-même. Nous sommes en train de diviser des briques en composants fonctionnels comme sur une chaîne d’assemblage.»
Un parallèle qu’il avait d’ailleurs utilisé lors de son intervention en ouverture de l’événement. Pour lui, «l’industrie IT est à un point d’inflexion», au coeur d’une transformation qui devrait durer de 15 à 20 ans. L’automatisation peut toucher les briques technologiques de l’infrastructure - serveurs, réseaux, applications, etc... - mais elle tend à s’étendre au-delà. Autre illustration chez Stéphanie Overby, pour nos confrères de CIO, qui s’intéressait quant à elle à la start-up britannique Blue Prism à l’automne dernier.
Une entreprise qui «produit un toolkit de développement logiciel et une méthodologie conçus pour permettre aux utilisateurs métiers de créer des robots logiciels pour automatiser les processus métiers.» Une solution que James R. Slaby, directeur de recherche du cabinet HfS Research, qualifiait alors de «tueur de l’offshore ».
Inquiétude dans l’atelier du monde de l’IT
Dans les colonnes de l’Economic Times of India, TK Kurien, Pdg de Wipro, analyse simplement la situation : «ce que vous avez vu en termes de gains de productivité dans les activités manufacturières est en train d’arriver aux services.»
La crise économique a conduit à deux reprises l’industrie IT indienne à réduire ses ambitions d’embauche. Mais là encore, l’explication ne se limite pas à la faiblesse de la demande : pour préserver leur rentabilité, les entreprises du secteur cherchent à améliorer leur productivité. Vijay Sivaram, directeur de recrutement chez Ikya Human Capital Solutions, souligne que «le test logiciel, qui était traditionnellement réalisé manuellement est passé aux processus automatisés ».
Certaines tâches de développement logiciel le sont également, souligne-t-il. Et il convient d’ajouter à cela la réutilisation de composants existants et leur repackaging. TCS, Infosys, Wipro et Cognizant vont plus loin en développant de la propriété intellectuelle autour de composants réutilisables.
La course aux embauches ralentit
TK Kurien fait un parallèle avec l’industrie américaine qui faisait vivre environ 85 millions de personnes dans les années 1970, contre 17 millions aujourd’hui. Pour lui, le transfert de main d’oeuvre vers les pays à bas coût n’explique pas tout : les gains de productivité se sont faits au détriment de l’emploi. La question est d’autant plus importante en Inde que le secteur des services IT et de BPO représentait près de 3 000 000 emplois directs et près de 9 000 000 emplois indirects, à la fin mars 2012, selon nos confrères.
Et alors qu’un rebond pourrait être engagé, il est sans effet sur les embauches. Au dernier trimestre 2012, les effectifs d’Infosys ont grossi de 977 personnes, contre 3 366 un an plus tôt, alors même que le crise frappait l'industrie de plein fouet. Même tendance chez Wipro (+2 336 personnes au quatrième trimestre 2012, contre + 5000 un an plus tôt), et chez TCS (+9 560 fin 2012 contre un accroissement des effectifs de près de 12 000 personnes fin 2011). Chez HCL, la tendance semble encore plus marquée : -396 personnes au dernier trimestre 2012, contre +1 734 à la même période un an plus tôt. La fin d’un âge d’or ?