A Dubaï, la gouvernance de l’Internet au coeur des débats
Réunis depuis hier à Dubaï, les 193 nations de l’ITU devront débattre sur la réforme du traité RTI qui encadre la régulation des télécoms dans le monde. Un traité datant de 1988, qui n’intègre pas les principes de l’Internet. Des camps s’opposent sur fond de bataille géo-politique.
Faut-il oui ou non réguler Internet ? C’est une des questions sensibles qui devraient alimenter les débats de la conférence mondiale sur les télécommunications internationales, qui s’est ouverte le 3 décembre à Dubai. Un évènement placée sous l’égide de l'ITU (International Telecoms Union - Union internationale des télécommunications), une agence de l’ONU, notamment en charge des questions liées aux télécoms dans le monde. Quelque 193 pays réunis aux Emirats Arabes Unis autour d’un dossier : la gouvernance d’Internet et sa régulation. En cause,
le Règlement des télécommunications internationales (RTI) , un traité datant de 1988 et qui fixe les relations entre acteurs du monde des télécommunications. Seul problème : ce traité est aujourd’hui jugé désuet car établi avant même la création du Web et de ses mécanismes de diffusion de l’information. Avant surtout l’avènement du web mobile qui a démultiplié les usages. L’enjeu est jugé crucial par les participants et consisterait ni plus ni moins qu'à rebattre les cartes d’un Internet bien établi, avec ses propres « lois », règles, voire ses « petits accords entre amis ». Reste qu'une réforme pourrait mettre à mal le modèle historique du Web. C’est là que s’affrontent plusieurs camps. D’un côté, les Etats d'obédience autoritaire - comme certains pays arabes, la Russie et la Chine - qui pourraient bien profiter d’un nouveau traité pour tenter de faire passer l’idée d’un droit de censure ou d’identification des internautes. La Chine est notamment connue pour avoir mis en place son « Grand Firewall ». Sans parler de la Syrie, qui, hasard du calendrier, sortait d’un black-out Internet total de deux jours. Ce bloc est formé de 12 états recensés pas Reuters. En face les acteurs de l’Internet - notamment des pure-players à l’image de Google - dont le modèle économique s’est bâti sur les principes de l'Internet du début. Ils peuvent s'adosser sur les Etats-Unis, qui jouent un rôle central dans la gouvernance actuelle, du moins technique, du réseau mondial (avec ou au travers de l’Icann). Pas question donc de laisser une organisation mondiale déstabiliser ce précieux équilibre. Google se pose logiquement en chef de file de ce mouvement et envoie au front l'une des figures emblématiques de l’Internet, Vinton Cerf, considéré comme le père du Web et aujourd’hui évangéliste à Mountain View. Très virulent, Cerf ne jure, la main sur le coeur, que par la liberté d’Internet,
sur le blog de la société. Il pointe également du doigt que « certaines propositions [dans la révision du traité, NDLR] pourraient permettre à des gouvernements de justifier la censure de la liberté d’expression voire même de couper les accès Internet dans leurs pays ». Mais il peut également se montrer plus virulent, et moins diplomatique,
chez nos confrères de Reuters : « Ces tentatives persistantes sont juste une preuve que ces dinosaures, avec leur cerveau de la taille d’un petit pois, n’ont pas compris qu’ils étaient déjà morts, car le signal ne leur est pas encore parvenu, à cause de leur long cou », s'épanche-t-il mélant pêle-mêle gouvernements et opérateurs télécoms historiques. Une façon de dévoiler un autre pan de la bataille qui se joue à Dubai : celle qui oppose les opérateurs et les fournisseurs de contenu (comme Google). Représenté par l’association ETNO (European Telecommunications Network Operators' Association), les premiers souhaitent que les seconds participent à l’effort de financement des infrastructures réseau qui servent à véhiculer leur contenu. Certains veulent également mettre en place des péages pour financer le bon acheminement des contenus sur les réseaux. Idées qu'évidemment Google refoule en bloc. Dans ce climat tendu, l’ITU veut quelque peu calmer les esprits, et rejette l’idée que ce sommet viserai à proposer une régulation de l’Internet ou à contrôler sa liberté, a rappelé Hamadoun Toure, le secrétaire général de l’ITU
à l’AFP. Lors d’une conférence de presse, il a tenu à préciser que la liberté d’Internet « ne serait pas touchée ». Appelant également au consensus. A Dubaï, les débats risquent ainsi d’être houleux pendant les 11 prochains jours.