Rachat de Sun : comment Oracle a grillé la politesse à IBM et HP
Dans un document rendu public sur le site du gendarme des bourses américaines, en amont de l'assemblée générale des actionnaires devant entériner la fusion avec Oracle, Sun dévoile les détails du long processus de négociations avec IBM, HP et Oracle. Processus qui a finalement abouti au mariage avec ce dernier. L'occasion de confirmer qu'Oracle n'était à l'origine intéressé que par certaines activités logicielles de Sun. Au passage, on découvre aussi que les dirigeants de Sun n'ont aucun souci à se faire pour leur avenir financier...
Dans un document transmis à la Securities and Exchange Commission (le gendarme des marchés financiers US) en amont de l'assemblée générale censée approuver son mariage avec Oracle, Sun fournit quelques détails croustillants sur l'historique des négociations avec la firme de Larry Ellison, IBM et un troisième larron, qui était sans doute HP (nous admettrons qu'il s'agissait d'HP dans le reste de cet article).
Principal morceau de choix : Oracle ne souhaitait à l'origine acheter que certaines activités logicielles de Sun et prendre une petite participation dans la société. Ce n'est que vers la fin des négociations qu'Oracle s'est décidé à acquérir l'ensemble des activités logicielles et matérielles de Sun. Mais on sait désormais que le matériel était loin d'être la priorité. Pas tout à fait l'histoire qu'ont racontée les deux Pdg suite à l'annonce du rachat...
Second morceau de choix : jusqu'à la dernière minute, Sun a continué de discuter avec IBM (baptisé “Party A” dans le document), mais ce dernier était au final le moins disant avec une proposition à 9,1 $ par action, contre 9,5 $ pour Oracle. Ce qui a fait pencher la balance en faveur de ce dernier.
Novembre 2008 : IBM déclare sa flamme à Sun
Selon le document rendu public par Sun, c'est IBM qui, le premier, a frappé à la porte du constructeur. Le 6 novembre 2008, Sam Palimsano aurait pris contact avec Jonathan Schwartz et un membre du conseil d'administration de Sun pour suggérer un mariage entre Sun et Big Blue. Les discussions se seraient ensuite intensifiées jusqu'au 19 décembre 2008, date à laquelle Sun et IBM se seraient accordés sur le début d'un processus de "due diligence", préalable à une proposition d'acquisition. Ce processus se concrétise le 28 janvier par une proposition d'achat, valorisant Sun entre 8,4 et 8,7 $ par action.
Février : HP et Oracle entrent dans la danse, mais Sun accorde l'exclusivité à IBM
En parallèle, Sun cherche des alternatives. Le 12 février, Jonathan Schwartz, mandaté par le conseil d'administration du constructeur, prend contact avec Mark Hurd (le Pdg de HP) pour discuter d'une possible fusion. HP aurait alors à son tour commencé un processus de "due diligence" le 18 février. Deux jours plus tard, IBM revient à la charge avec une proposition d'achat revue à la hausse (10 $ par action), mais conditionnée à une exclusivité des négociations. Le 23 février, Scott McNealy, le président de Sun, ouvre un nouveau front en prenant contact avec Larry Ellison, pour évoquer une transaction avec Oracle.
Le 26 février, le conseil d'administration accepte les conditions d'exclusivité posées par IBM et les discussions entre Sun et Big Blue s'intensifient. Entre le 26 février et le 4 avril, les discussions portent notamment sur les risques vis-à-vis de l'antitrust. Durant cette période, les appels du pied d'Oracle et d'HP se poursuivent. Oracle propose ainsi le 12 mars d'acquérir certains actifs logiciels de Sun et de prendre aussi une partie du capital de la firme. Le conseil d'administration de Sun reste sourd à ces offres et décide de maintenir l'exclusivité à IBM.
L'histoire change de cours le 29 mars, quand IBM décide de revoir son offre à la baisse (à 9,4 $ par action). Big blue indique être prêt à conclure la transaction. Le 30, Sun répond en faisant part de ses inquiétudes concernant un éventuel blocage de la transaction par les autorités antitrust. Le 3 avril, IBM insiste, montrant sa volonté de mener les discussions à leur terme. Une volonté concrétisée dès le lendemain quand IBM transmet une proposition finalisée à Sun, proposition qui expire à 18 heures ce même jour. L'offre valorise Sun entre 9,1 $ et 9,4 $ selon l'option retenue.
Ce 4 avril 2009, le conseil d'administration de Sun se réunit pour trancher sur cette proposition. Et décide que l'impact sur Sun serait dévastateur si la transaction avec Big Blue devait finir par échouer du fait de blocages par l'antitrust. Le conseil d'administration rejette donc l'offre et décide de rompre la clause d'exclusivité avec IBM. Les négociations avec les autres parties sont relancées.
Avril : exit IBM, retour d'Oracle et HP
Le 6 avril, le conseil d'administration du Californien se réunit pour discuter des propositions d'Oracle et HP et analyser leur impact sur la société. Le 9 avril, HP reprend son exercice de "due diligence". IBM n'abandonne toutefois pas le dossier et propose de poursuivre les discussions. Accord du conseil d'administration de Sun sur ce point. A cette date, les trois prétendants sont donc toujours en lice.
Le 10 avril, Sun et Oracle signent un accord de confidentialité et l'éditeur entame un processus de "due diligence". Le lendemain, les dirigeants d'Oracle rencontrent ceux de Sun pour discuter de l'état de la société et d'un possible rapprochement.
Le 16, Sun et IBM reprennent officiellement leur discussions et se donnent jusqu'au 20 avril pour parvenir à un accord. Le même jour, le Californien informe Oracle et HP qu'ils devront soumettre leurs propositions au plus tard le lendemain. Mais ce 17 avril donc, HP décide de se retirer du jeu, tandis qu'Oracle effectue une offre valorisant la cible à 9,5 $ par action. Le lendemain, le conseil d'administration de Sun se prononce en faveur de l'offre d'Oracle, mais par prudence demande à son conseil juridique de finaliser les discussions avec IBM. Le lendemain, IBM confirme son offre à 9,1$ et indique qu'il s'agit d'une offre non négociable. Fin des tractations : c'est donc finalement avec Oracle, le mieux-disant des deux prétendants, que Sun acceptera de convoler.
Un conseil d'administration inquiet de la situation de Sun
Quelques point intéressants sont à relever sur les raisons qui ont officiellement poussé le conseil d'administration à opter pour la cession de Sun à un tiers. Tout d'abord, le conseil note que la crise a eu un impact particulièrement dévastateur sur Sun du fait de l'importance de son activité avec les banques et établissements financiers. La base de clientèle du Californien est concentrée sur un petit nombre de grands comptes et la baisse de leurs dépenses IT n'a pas été compensée par l'acquisition de nouveaux clients. Sun note aussi que ses concurrents ont utilisé leur présence dans les services pour obtenir un avantage compétitif en matière de vente de systèmes. Enfin, la firme explique que ses investissements dans l'Open Source et dans les nouvelles technologies n'ont pas généré assez de revenus pour compenser la chute de ses activités traditionnelles.
Il est à noter que le conseil note que la transaction avec Oracle pourrait encore échouer, notamment en cas de blocage des autorités de la concurrence.
Des dirigeants à l'abri du besoin
Terminons en signalant que les dirigeants de Sun n'auront aucun souci à se faire pour leur avenir. S'il devait quitter Sun, le Pdg “à la queue de cheval”, Jonathan Schwartz, empocherait près de 12 M$, tandis que Scott McNealy, le président, toucherait 9,5 M$. Peter Ryan, le directeur mondial des ventes et des services, empocherait 4,3 M$, devant Michael Lehman, le directeur financier, avec 4 M$, et Greg Papadopoulos, le directeur technique, avec 3,7 M$. John Fowler, le patron des serveurs et du stockage, toucherait quant à lui 3,3 M$, contre 2,9 M$ pour Mike Splain (microélectronique et directeur technique systèmes) et Bill Mc Gowan (DRH) et 2,7 M$ pour Anil Gadre (logiciels) et Mike Dillon (directeur juridique).
Et encore ces somme ne prennent pas en compte les actions détenues par ces différents dirigeants. Ainsi, McNealy possède près 14,5 millions d'actions Sun (soit près de 140 M$) tandis que Schwartz en détient 536 000 (env. 3,5 M$). Rappelons qu'en France, le projet de plan social en cours pourrait se durcir suite à l'acquisition par Oracle. Au niveau mondial, la fusion pourrait se solder par la suppression de 10 000 postes.