Développement durable : l’IT, un bon élève opportuniste
Au-delà des discours, forcément vertueux, quelle est la place de l'industrie IT en matière de développement durable, notamment par rapport à d'autres secteurs ? Si l'on en croit les données du Carbon Disclosure Project, cette industrie s'en tire plutôt bien. Même, elle fait preuve d'une transparence remarquable. Non pas qu'elle soit d'une vertu irréprochable. Mais peut-être a-t-elle su trouver l'équilibre entre, d'un côté, la gestion du risque réglementaire - sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre - et, de l'autre, la gestion des opportunités que ce risque ne saurait manquer de générer en termes d'affaires. Et l'IT a déjà engagé des actions susceptibles de garantir l'exploitation de ces opportunités.
Un élève modèle. C’est l’image que semble donner – au premier abord du moins – l’industrie IT au travers du rapport 2009 du Carbon Disclosure Project sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) des entreprises essentiellement nord américaines – le projet concerne toutes les entreprises des indices boursiers Global 500, S&P 500 et FTSE 350. L’IT et les services publics de base – énergie, eau, etc. – apparaissent en effet comme les industries qui jouent le mieux le jeu de cet exercice de transparence consistant à communiquer, volontairement, sur ses émissions de GES, directes et indirectes. Avec, notamment, un taux de participation de 70 %, soit 78 entreprises sur 111. Certes, sur dix secteurs d’activité pris en compte, l’IT ne se classe que 6ème pour sa transparence sur les émissions de GES. Mais, pour les auteurs du rapport, trois grands du secteur, Cisco, HP, et AMD, ont fait preuve d’une transparence « impressionnante » avec, respectivement, une note sur 100 de 88, 86 et 82.
Un modèle tout relatif…
Il faut reconnaître que l’IT n’a pas à rougir de ses performances énergétiques, par rapport à d’autres secteurs d’activités : ses émissions de GES se situent à un niveau de 37 millions de tonnes (Mt) d’équivalent C02 (CO2-e) par million de dollar de chiffre d’affaire. C’est moins bien que la santé, les télécommunications ou encore les services financiers, mais c’est tout même très inférieur à bien d’autres secteurs (voir tableau ci-contre). Reste que l’industrie IT pourrait faire preuve d’une exemplarité encore plus prononcée. Notamment en matière de volontarisme. Ainsi, en 2008, un peu plus d’un tiers des entreprises IT ayant répondu au sondage du Carbon Disclosure Project faisaient état d’objectifs de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. En 2009, cette proportion a progressé sensiblement, mais elle reste inférieure à 60 %.
...et surtout opportuniste !
Surtout, l’industrie IT semble partagée entre prévention face à la menace du gendarme – 72 % des répondants anticipent un risque réglementaire lié au changement climatique – et opportunisme : à 89 %, les sondés voient en effet dans ce changement une opportunité d’affaire. Cité dans le rapport, HP relève que la dimension « Green » ne se contente plus, outre-Atlantique, d’entrer dans les appels d’offre ou les plannings, mais qu'elle se retrouve aussi dans les SLA entre clients et prestataires IT. Pour IBM, les entreprises veulent des partenaires « responsables au plan environnemental et cet objectif inclut généralement le fait de chercher des fournisseurs qui répondent au défi du changement climatique dans leurs opérations et en proposant des produits énergétiquement efficaces. »
De fait, pour EMC, « il y a des opportunités d’affaires substantielles avec des entreprises qui cherchent à s’équiper pour se protéger des risques business associés au changement climatique. » Même chose pour Symantec qui souligne la demande croissante pour des solutions de maîtrise et de réduction de la consommation électrique des centres de calcul. Cisco voit de son côté des opportunités dans le domaine du travail collaboratif distant, la virtualisation et le smartgrid [réseau de distribution électrique intelligent, NDLR], une façon de prêcher pour sa paroisse. Mais il n’est pas seul à utiliser le rapport du Carbon Disclosure Project pour faire passer ses messages : HP y revendique sa capacité à contribuer à la réduction des « autres 98 % des émissions de GES [l’IT ne contribuant que pour 2 % des émissions globales de GES, NDLR], notamment dans les domaines de l’automobile, des transports, du commerce. » Intel indique de son côté s’être lancé dans une campagne « d’éducation » des gouvernants, en compagnie de partenaires de l’industrie IT, pour promouvoir les solutions IT d’amélioration de la gestion de l’énergie.
Des initiatives concrètes
Quoique l’on puisse penser de ses motivations, l’industrie IT n’en semble pas moins faire des efforts concrets. En termes de transparence tout d’abord. Google intègre ainsi les déplacements travail/domicile de ses employés, la construction de ses centres de calcul, les voyages d’affaire, la production des serveurs, etc. dans sa déclaration d’émissions de GES indirectes. Le géant du Web indique d’ailleurs encourager matériellement ses salariés à adopter des modes de vie « green » que ce soit pour leur transport, leur alimentation ou encore la gestion des déchets. Venir au travail en vélo, c’est ainsi gagner des points convertibles en donations de Google à des associations caritatives.
De son côté, HP, explique avoir entrepris de consolider ses 85 centres de calcul existant en six unités, dans trois villes. De quoi économiser 380 millions de kWh et 30 M$... Toshiba évoque pour sa part le projet de construction d’une usine de récupération des GES d’une capacité d’environ 70 000 t d’équivalent CO2 par an. Au final, pour les auteurs du rapport, l’industrie IT, si elle augmentera, à l’avenir, ses émissions de GES - ne serait-ce qu’à la suite de la croissance de la demande pour ses services -, représente une source « sans limite » de réduction globale des émissions de GES « par l’industrialisation technologique. » Et de reprendre les promesses de la vidéoconférence, du haut débit… Preuve qu'in fine, les messages de l'industrie IT s'immiscent bien dans les cerveaux.
D’énormes disparités |
Telle que définie dans le cadre du Carbon Disclosure Project, l’industrie IT est loin de constituer un ensemble homogène entre fondeurs, constructeurs et prestataires de services. Sans compter ceux qui conjuguent plusieurs de ces activités. Ces disparités se traduisent fortement dans le "scope 3" du rapport, à savoir les émissions de GES indirectes autres que celles liées à la consommation électrique. Avec près de 9 Mt (millions de tonnes) d’équivalent C02 (CO2-e), Apple fait figure de très mauvais élève. Mais le constructeur est largement tributaire d’impératifs de distribution et de chaîne logistique. Le phénomène est encore plus marqué pour Intel qui affiche 43,6 Mt CO2-e au "scope 3". Les limites de la dématérialisation, sans doute. Des prestataires de services tels que TCS (51 kt CO2-e), Logica (46,1 kt CO2-e), ou Cognizant (35,9 kt CO2-e) semblent faire bien mieux. IBM, de son côté, ne communiqué pas sur ses émissions indirectes hors électricité. |