Nouveau procès Eolas : une démonstration par l'absurde des dérives du brevet à l'américaine
Utiliser un plug-in ou Ajax dans une application Web pour lui donner de l'interactivité ? Il faut passer à la caisse, plaide Eolas, un petite société qui se définit comme un fournisseur de technologies Internet et qui vient de déposer une plainte contre une kyrielle d'éditeurs mais aussi de grands comptes utilisateurs pour violation de brevets. Une nouvelle démonstration des errements d'un système américain qui, croyant protéger l'innovation, n'a en réalité fait que l'entraver.
Déjà connue pour son procès contre Microsoft, la petite société Eolas, qui aime se définir comme un fournisseur de technologies Internet, revient à la charge. Cette fois-ci, toujours sur la base de brevets relatifs aux applets et plug-ins utilisés dans les navigateurs, la firme assigne devant un tribunal texan une kyrielle de grands noms de l'industrie : Adobe, eBay, Amazon.com, Apple, YouTube (filiale de Google), Yahoo, Sun, Perot Systems ou encore Texas Instruments. Sans oublier une belle brochette de grands comptes américains, utilisateurs desdites technologies, comme Citigroup, JPMorgan Chase, Office Depot ou PlayBoy !
Pour fonder ses poursuites, Eolas se base sur deux brevets. Le premier (906), déjà source du litige avec Microsoft en 2004, est relatif à l'utilisation d'applications interactives dans les navigateurs. Le second (985) est une prolongation du premier et porte sur l'emploi de plug-in et d'Ajax pour proposer des applications interactives sur le Web. Il a été validé par l'Office américain des brevets début octobre, donnant ainsi à Eolas un prétexte pour lancer de nouvelles poursuites contre une pléiade d'utilisateurs et industriels (de préférence fortunés). Rappelons que le premier procès lancé par Eolas contre Microsoft s'était conclu par une transaction ; Redmond ayant accepté de verser pas moins de 565 millions de dollars au plaignant.
Un système de plus en plus critiqué
L'Office des brevets américain valide en général les dossiers portant sur des méthodes d'affaire ou sur des concepts assez généraux dans le logiciel. Un système qui a permis à de petites sociétés de poursuivre des grands noms de l'industrie, parfois condamnés par les tribunaux américains à payer des centaines de millions de dollars d'amende. Ce lucratif business est alimenté par la complicité de certaines juridictions américaines, réputées à l'écoute des attentes de détenteurs de brevets. Comme celles du Texas, aussi à l'origine des problèmes de Microsoft (toujours) avec l'éditeur canadien i4i au sujet des fonctions XML de Word.
Des affaires qui agacent de plus en plus l'industrie IT, et plus seulement le mouvement Open Source à l'origine du mouvement de résistance à la brevetabilité des logiciels (mouvement qui s'est organisé pour se défendre via l'OIN). Alors que les procès s'enchaînent à un rythme soutenu (Microsoft vs i4i ; Uniloc vs Microsoft ; Alcatel-Lucent vs Microsoft ; Implicit vs Oracle, SAP et IBM ; Microsoft vs TomTom ; Xpoint vs Intel, Dell, Acer et Microsoft ; i2 vs SAP pour n'en citer que quelques-uns), avec leur cortège d'appels ou de transactions discrètes, le système lui-même fait débat aux Etats-Unis.
La Cour suprême appelée à trancher sur le fond
En effet, par deux fois, des juridictions américaines ont refusé de reconnaître un brevet sur une méthode d'affaire appartenant à un homme d'affaires de Pittsburgh, Bernard Bilski. Ce procès Bilski, qui porte sur le fond du dossier (la brevetabilité de méthodes abstraites), fournit une occasion pour les opposants aux brevets logiciels de s'exprimer devant la plus haute juridiction américaine. Dans un document transmis à la Cour suprême il y a quelques jours, Red Hat voyait dans ce cas Bilski une "opportunité de revenir aux limites historiques et pertinentes des brevets, limites qui excluent les idées abstraites". Et de dénoncer la situation actuelle, où existent "des centaines de milliers de brevets sur des sujets abstraits".
"Loin d'encourager l'innovation, cette prolifération a sérieusement encombré l'innovation dans l'industrie logicielle", ajoute l'éditeur Open Source. Ce dernier se range derrière l'avis de la Cour d'appel fédérale, qui, pour rejeter la demande de Bilski, a estimé que, pour être brevetable, la méthode doit être liée à une machine ou doit impliquer une transformation d'un article donné. Une définition qui, si elle reste floue, n'en rappelle pas moins les débats qui avaient eu lieu au Parlement européen au début des années 2000.