Ulysse : la régularité de l’accord IBM-SNCF mise en doute
Surestimation des volumes, des coûts, des économies potentielles... Dans une lettre à Guillaume Pepy, un administrateur de la SNCF, représentant des salariés, pointe ce qu’il qualifie «d’anomalies». Jusqu’à faire planer le doute sur la régularité de l’accord conclu entre l’Américain et l’entreprise publique.
Dans sa lettre adressée aujourd’hui à Guillaume Pepy, Pdg de la SNCF, Christian Mahieux, membre du conseil d’administration de la SNCF et représentant de l’Union syndicale Solidaires met en doute la régularité de l’accord conclut entre IBM et la SNCF autour du projet Ulysse. Il fait un lien entre Ulysse et le marché de transport et logistique confié à SNCF-Géodis par IBM «quelque temps auparavant ». Un lien «pas scandaleux» mais, pour lui, «la question est de savoir à quel prix cela s’est fait». Et, justement, pour Christian Mahieux, ce lien «a faussé le traitement de ce dossier [Ulysse, NDLR], plus exactement, la sous-traitance de l’informatique SNCF vers IBM a été la contrepartie de ce contrat, puis en a faussé le traitement car il fallait que le résultat de la “concurrence libre et non faussée” soit celui décidé - et promis - auparavant». Pour mémoire, fin 2008, la SNCF a racheté IBM Global Logistics et, en parallèle, «IBM a confié la gestion de la totalité de sa chaîne logistique à Geodis pour la coquette somme d’un milliard d’euros par an », rappellent les syndicats dans un document de juin 2011 intitulé «Tout (Big) Blue or not to be ?»
Selon l’administrateur, le coût de la sous-traitance informatique à la SNCF aurait en outre été gonflé : «le document remis au CA pour qu’il se prononce sur le marché en janvier 2010 indique que la sous-traitance informatique du groupe SNCF représente 500 M€. Mais, la quasi-totalité des experts de l’entreprise considère que la réalité est de l’ordre de 300 à 350 M€ au maximum.» Une différence considérable sur laquelle l’administrateur s’interroge : «sur quoi repose ce chiffre ? Comment est-il justifié ? Puisque la direction ne confirme plus ce chiffre aujourd’hui, comment une telle marge “d’erreur” a-t-elle pu être validée par les responsables du dossier ? Les questions ne sont pas anodines, car l’économie pour la SNCF de 284 M€ sur 6 ans [initialement attendue du projet Ulysse, NDLR] [...] repose au départ sur ce chiffre - manifestement surévalué - de 500 M€.»
Soupçon d’artifices comptables
Au rang de ce qu’il qualifie «d’anomalies», Christian Mahieux ajoute «200 millions de contrats passés par la SNCF à Stelsia [qui sert d’entité de consolidation des contrats d’externalisation, NDLR] sans la moindre information au Comité des marchés du C.A ». Et encore, «n’est-il pas vrai qu’en 2009, dans la phase préparatoire au contrat avec IBM, il a été commandé pour 8,5 millions de logiciels à IBM alors que le besoin réel équivaut à 30 % de cette commande ? S’ajoute à l’excédent de commande le fait que le coût de la maintenance était calculé sur le montant de la commande initiale (même si cela a pu être, partiellement, revu ensuite). Et d’ailleurs, est-ce bien sain d’avoir transformé cette commande de 8,5 millions en 8 commandes identiques d’environ 1 million d’euros ?»
Dans le document évoqué plus haut, Sud Rail et Solidaires reviennent sur ces commandes : «pour que l’affaire reste entre gens de bonne compagnie, pour éviter que les malveillants ne viennent y mettre leur nez, on saucissonne. 8 commandes, toutes inférieures à 1,5 M€ sont passées le même jour, par la même personne. Les remises sont telles qu’il est évident que certaines ont été calculées dans le but unique de se maintenir en dessous de ce cap.» Et, selon eux, «nous n’avons que faire, ou presque, des logiciels achetés. Ainsi, c’est à peine 30 % des produits qui étaient utilisés à mi-septembre 2010 ». Ils indiquent enfin qu’après négociation, IBM aurait accepté de ne facturer la maintenance que pour «50 % des licences achetées. C’est malgré tout 20 % de maintenance payée pour des logiciels qui restent dans l’armoire. Si on résume cela, cela fait donc 5,9 M€ + 1,7 M€ de maintenance la 1ère année +...»
De son côté, Cortis, dans un échange avec LeMagIT, s’interroge sur la question d’éventuelles pénalités liées au retard du projet Ulysse. «Gilles Albertus a récemment déclaré qu’aucune pénalité n’avait été payée en 2010. On craint qu’il ne joue sur les mots et qu’elles seront payées en 2011 ou bien qu’elles aient été masquées par l’achat de licences de produits IBM que nous n’utiliserons pas.»
Des économies qui auraient eu lieu de toute façon ?
En conclusion de son courrier, Christian Mahieux s’interroge : «pour quelles raisons n’a-t-on pas mis un terme au contrat, dès lors que ces aberrations étaient connues, c’est à dire il y a un an ?» Surtout, pour lui, les économies promises par Ulysse auraient probablement pu être obtenues sans Ulysse : «le Référence Centre de Services, une évolution programmée de la sous-traitance aurait, de toutes manières, généré des économies qu’on fait mine de devoir à ce fabuleux contrat.» Qui plus est, l’économie réalisée par la SNCF dans le cadre d’Ulysse, «IBM en prend une part non négligeable ! L’exemple du CDS partagé “support utilisateurs” qui est mentionné dans la note remise aux membres du C.A. illustre ce propos : il y a une économie, mais elle n’est pas due au partenariat avec IBM, la SNCF seule pouvait le faire et aurait d’ailleurs bénéficié de l’ensemble des économies au lieu d’en laisser une partie à IBM.»
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