Gérald Karsenti défend la stratégie de Léo Apotheker
Le PDG de HP France monte au créneau pour défendre sans langue de bois la stratégie tant décriée jusque parmi les salariés. Il se dit convaincu qu’avec le temps, la vision d’Apotheker se révèlera pertinente.
Ce mardi, Gérald Karsenti, intronisé pdg de la filiale française de HP au début de l’été, avait convié la presse channel pour expliquer la stratégie de transformation du groupe et justifier les annonces récentes de Léo Apotheker. Au cours de cette intervention didactique d’une heure environ, qui reprenait les points essentiels des discussions qu’il a pu avoir au cours des derniers jours avec les clients et les salariés de l’entreprise, il a insisté sur les arguments en faveur de la séparation de l’activité PC et du rachat d’Autonomy. Il a également tenté de clarifier les derniers points restés incompris par le marché. En voici une synthèse.
Continuité
La stratégie annoncée par Apotheker n’arrive pas comme un cheveu sur la soupe a expliqué en substance Gérald Karsenti. Elle correspond à ce qu’attendent les marchés et surtout, elle est dans « la continuité de la stratégie de transformation vers la valeur engagée depuis cinq ans par le groupe ». En témoigne les nombreuses acquisitions opérées aussi bien dans les logiciels (Mercury, Opsware, Vertica…), que dans les services (EDS), les infrastructures valeur (3Par, 3Com…), l’impression et même dans les postes de travail (Palm). La stratégie est claire : rester numéro un des infrastructures technologiques.
Deux marchés, deux sociétés
Pour justifier la séparation de l’activité PC, Gérald Karsenti évoque une divergence de métier au sein du groupe. « Il ne s’agit pas d’opposer valeur et volumes, a-t-il expliqué. Il y a des activités à forte valeur dans la division PC et vice-versa ». La distinction s’établi plutôt en termes de marchés. « D’un côté, nous fournissons des solutions technologiques et métiers intégrées permettant de gérer les flux informationnels complexes des clients et de l’autre des objets numériques pour les utilisateurs. Deux marchés qui demandent des compétences, des outillages, des gouvernances, des modes opératoires différents ». D’où la volonté de construire des entreprises différentes. « Notre difficulté aujourd’hui, c’est de continuer à faire vivre côte-à-côte deux modèles économiques qui n’ont rien à voir ».
Ne plus subir les arbitrages du groupe
Qui plus est, « en plaçant la division PC à l’extérieur du groupe, nous pensons que nous allons lui faire gagner en vélocité et la mettre à l’abri des arbitrages en sa défaveur ». Des atouts très importants dans une industrie qui s’accélère. « Une option pas prise peut coûter cher. Pour rester numéro un, il faut pouvoir prendre les bonnes vagues ». En revanche, les autres activités du groupe ne seraient « pas aussi sensibles aux effets d’arbitrage que ne l’est la division PC. Car lorsqu’un arbitrage intervient en faveur d’une entité, cela a tendance à générer du business pour les autres entités ». La preuve par le rachat de Mercury qui aurait débouché non seulement sur un triplement des ventes de licences mais sur de nombreuses ventes additionnelles de hardware et de services.
Quelle viabilité pour la division PC seule ?
Sans les PC, HP pèsera encore 95 milliards de dollars, ce qui lui laisse « une capacité d’investissements importante ». Mais chacun se demande comment la division PC pourra s’en sortir seule, ce qui suppose de continuer d’investir et d’innover, alors que sa rentabilité est moindre que celle du reste du groupe. Ce à quoi Gérald Karsenti répond qu’une entreprise peut parfaitement vivre avec une profitabilité de 5 à 6% (sa marge moyenne au cours des derniers trimestres) si elle est configurée pour. Il prend l’exemple des grossistes IT qui se contentent de 1% de marge. Il rappelle que cette entité affiche déjà la meilleure rentabilité du marché [hors Apple], qu’elle détient 20% de parts de marché (30,5% en France) et qu’avec 40 milliards de dollars de chiffre d’affaires (pas très loin des 65 milliards d’Apple), elle se classerait dans l’hypothèse du spin off soixantième entreprise mondiale. Et de suggérer qu’une fois séparée, elle n’aurait plus à supporter certains coûts transversaux. Des économies potentielles susceptibles d’être réinvesties dans sa croissance. Pour finir, il clame que le PC n’est pas mort. « Chaque nouvelle technologie qui apparaît entraîne une recomposition du marché. À l'avènement du PC, on avait annoncé la mort du mainframe. Trente ans après, il est toujours là ».
Spin-off ou cession ?
Si, en théorie, HP envisage trois scénarii pour sa division PC : cession, statu quo et scission, c’est cette dernière option la plus probable. En témoigne la campagne que vient de lancer HP aux US (et qui devrait être déclinée en Europe à partir de la semaine prochaine) dont l’accroche « the spirit of start-up, the security of HP » résume bien l'avenir que le groupe envisage pour sa division PC. « Les démarches sont très différentes selon que l’on vise une cession ou une scission, explique Gérald Karsenti. Dans un cas, on rend la mariée la plus sexy possible pour en retirer le maximum de valeur. Dans l’autre, on entre dans une dynamique stratégique où la recherche de vélocité et l’innovation sont les critères prépondérants. »
Autonomy, pierre angulaire de sa stratégie de gestion de l’information
La stratégie valeur de HP se déploie selon trois axes principaux : la convergence des technologies, qui s’illustre par son initiative Converged infrastructure ; la flexibilité, qui s’est manifestée par l’adoption précoce des SOA et le développement par la suite des architectures cloud ; et la gestion de l’information. C’est dans ce dernier axe (où les services vont jouer un rôle primordial) que s’inscrit le projet d’acquisition d’Autonomy. Une société présentée dès le début des années 2000 comme « l’un des deux acteurs susceptibles de s’imposer comme le Google européen », selon Gérald Karsenti. « Dans un monde où le volume de données double tous les dix-huit mois, il faut pouvoir disposer de moteurs suffisamment puissants pour extraire les informations utiles, les traiter et les diffuser. Associé à Vertica, Autonomy va permettre de construire cette plate-forme de gestion de l’information, tandis que le traitement et l’a diffusion seront dévolus à nos datacenters et nos équipements réseaux. C’est dans cette perspective que nos architectures complexes de bout en bout prennent tout leur sens. »
L’arrêt des tablettes
« Lorsque Léo Apotheker a pris les rênes de la société, l’acquisition de Palm était déjà faite et le développement des tablettes sous WebOS lancé. Mais il a toujours dit qu’il avancerait par étapes en fonction des résultats. Il a joué le jeu en allant jusqu’au lancement des produits. Mais le marché n’a pas répondu. Il en a tiré les conséquences. C’était une décision difficile mais courageuse. Du reste il n’est pas impossible que la PSG relance cette activité une fois séparée du groupe. »
Quel avenir pour WebOS ?
« Il n’est pas prévu d’arrêter l’activité WebOS », a martelé Gérald Karsenti. Le dernier scénario qui tient la corde (et qui a été confirmé par un mémo interne révélé par precentral.net) veut que HP scinde l’activité héritée de Palm en deux. D’un côté, les tablettes et les smartphones rejoindraient la division PC et, de l’autre, WebOS serait rattaché au département Office of strategy and technology (OS&T). Considéré comme le centre névralgique de la R&D du groupe, OS&T est le service qui a incubé les offres cloud et de gestion des données. Il serait chargé d’étudier comment optimiser l’utilisation de la plate-forme dans la perspective d’une stratégie de long terme.
Pourquoi ne pas vendre aussi IPG ?
« Car la division IPG est partie intégrante de la chaîne de management des données qui constitue l’un des trois axes stratégiques du groupe et car elle en constitue une brique différenciante. Ceux qui avaient une activité impression et qui l’ont cédé s’en mordent aujourd’hui les doigts. Les systèmes d'impression ne servent plus seulement à imprimer mais ils stockent des données et embarquent des applications qui font sens dans la chaîne de valeur de la gestion de l'information. »
L’effondrement du cours de bourse
« Les marchés sont allergiques au changement. Ils ont logiquement allégé leur position en attendant de mieux comprendre la stratégie du groupe. Sans l’effondrement des marchés boursiers de ces derniers jours, le titre aurait probablement déjà repris de la hauteur ».
Quelles conséquences sur le réseau de distribution ?
« La reconstruction du réseau de distribution, c’est l’un des chantiers auxquels je compte m’attaquer en priorité. Je pense qu’on n’utilise pas le réseau de distribution à sa juste valeur sur le software et sur une partie du matériel (notamment le stockage et les réseaux). »
Comment comptez-vous vous impliquer dans le processus de spin-off et pouvez-vous influencer les décisions du board ?
« Je suis impliqué à double titre dans le processus de spin-off en tant que patron de filiale mais aussi en tant que citoyen français qui souhaite voir rester en France le centre de compétences international de Grenoble. Un dialogue s’est instauré avec les salariés des deux entités et les retours sont positifs dès lors qu’on prend la peine d’expliquer la stratégie. Ils comprennent dans l’ensemble qu’on a des chances de réussir le virage nécessaire dans les PC sans dégrader la valeur de l’entreprise en prenant les décisions courageuses pendant qu’il en est encore temps. Quant à savoir si j’ai le pouvoir d’influencer le board, je ne sais pas. Mais je peux discuter avec Léo Apotheker, que je connais et qui est très à l’écoute. Je ne manquerai pas de lui faire valoir les atouts de la France. »