La vision d'Ellison après le rachat de Sun : Oracle en 2010 = IBM en 1960

La fusion enfin avalisée, Oracle cherche à rassurer les clients de Sun, en leur garantissant la poursuite des développements de leurs technologies. Et promet la fin de l'éclipse du constructeur californien. Le tout grâce à une stratégie clairement affirmée : fournir des systèmes intégrés de bout en bout... soit l'approche d'IBM il y a 50 ans, explique sans complexe Larry Ellison.

Exercice presque habituel hier pour Oracle : comme après chaque acquisition majeure (PeopleSoft, Siebel, BEA...), le boulimique éditeur s'emploie à rassurer la base installée qui bascule dans son giron. Cette fois, ce sont donc les clients de Sun qui ont eu droit à des messages apaisants. Objectif principal : tenter de mettre un terme aux migrations des entreprises vers les plates-formes de HP ou IBM, qui ne se sont pas privés d'exploiter les incertitudes entourant leur concurrent pour tenter de lui subtiliser quelques points de parts de marché au cours des trois derniers trimestres.

De facto, la durée ayant séparé l'annonce du rachat - en avril 2009 - et sa concrétisation ces jours derniers n'ont fait que renforcer les incertitudes entourant le constructeur californien, déjà malmené financièrement. Au cours de 2009, IBM affirme ainsi avoir convaincu plus de 300 entreprises d'abandonner les systèmes Unix de Sun pour ses plates-formes. HP fournit des chiffres similaires. Au troisième trimestre 2009, selon IDC, la part de marché de Sun dans les serveurs est tombée à 7,5 %, deux points de moins en un an.

Sun va "sortir" 1,5 Md$ de bénéfices dès la première année

  Larry Ellison - Sun-Oracle
Pendant près d'une heure, Larry Ellison s'est efforcé
de répondre aux questions sur la fusion.

Maintenant, il n'y a plus de raison de s'inquiéter du devenir de Sun, a martelé Oracle. En s'appuyant sur la force commerciale d'Oracle, Larry Ellison promet même un retour en grâce des produits issus de sa dernière acquisition, notamment des serveurs. Oracle prévoit ainsi que Sun dégagera 1,5 milliards de bénéfices au cours de l'année qui vient (le constructeur sera intégré dans les comptes de l'éditeur à partir de février). Ce qui ferait figure de retournement pour le moins spectaculaire : en septembre dernier, alors que Bruxelles bloquait la fusion en raison de son enquête sur l'avenir de MySQL, Larry Ellison avait estimé que Sun perdait 100 millions de dollars par mois.

Pour y parvenir, Oracle se positionne comme la société capable de livrer des solutions clefs en main, allant du matériel à l'applicatif, en passant par l'OS, la base de données ou le middleware. Le tout supporté par un seul fournisseur, supervisant tout le cycle de vie des solutions, de l'ingénierie au support. Une approche déjà expérimentée avec Exadata v2, réunissant pour des besoins en matière d'entrepôts de données une base 11g R2 et des systèmes Sun (la première mouture avait été conçue avec HP). "Notre vision pour 2010 est la même que celle d'IBM en 1960, a expliqué Larry Ellison. En maîtrisant toutes les pièces, je pense que nous pouvons délivrer des systèmes plus performants". Si aucune annonce n'a été faite hier, d'autres offres intégrées devraient rapidement apparaître au catalogue du constructeur.

Une difficulté d'intégration évaluée à 11, sur une échelle de 1 à 10

"Un éditeur reprenant avec succès un constructeur, ce serait, d'après moi, inédit", observe chez nos confrères de Computerworld Rob Enderle, un analyste indépendant qui a une longue expérience de l'industrie." Si je devais citer des entreprises capables de relever ce challenge, Oracle serait sur ma shortlist. Mais, sur une échelle de 1 à 10 - 10 étant le degré de difficulté maximal -, ce type d'opération obtiendrait la note de 11".

Pêle-mêle, comme ils l'avaient déjà fait auparavant, les dirigeants d'Oracle ont insisté sur leur volonté d'améliorer la technologie processeur UltraSparc T ou de miser sur l'OS Solaris. Et ont garanti que la base de données libre MySQL s'intégrait bien dans leur stratégie. Rappelons que c'est ce volet du rachat qui avait justifié le blocage de la fusion par la Commission européenne, l'éditeur ayant dû fournir des garanties avant d'obtenir le blanc-seing de Bruxelles. Oracle n'a toutefois pas détaillé les futurs plans de développement des principaux produits de Sun (notamment des gammes serveurs Sparc ou x86). Ni donné d'indications sur l'alliance conclue entre Sun et Fujitsu pour le développement des serveurs SMP Sparc Entreprise.

En revanche, les porte-parole d'Oracle se sont faits plus précis concernant le futur du langage Java, qualifié de "joyau de la couronne". Selon Thomas Kurian, vice-président exécutif pour le développement produits, Oracle va investir dans la revitalisation de la communauté Java (près de 10 millions de développeurs) et rendre la Java Community Process (JCP), le processus permettant de proposer et de valider des modifications de Java, plus participatif. Dans le passé, Sun avait été critiqué pour sa trop grande mainmise sur le JCP.

Exit le nuage virtuel de Sun

Oracle promet par exemple de supporter plus de langages dans la machine virtuelle Java (JVM). Ou encore de faire évoluer l'implémentation de J2EE pour supporter une approche modulaire. Des objectifs déjà fixés par Sun, mais qu'Oracle a confirmés. L'éditeur prévoit également de rapprocher les API de programmation de la version SE et ME (Micro Edition dédiée aux terminaux mobiles), afin de permettre aux développeurs de cibler plusieurs plates-formes clients avec un seul code. "Notre stratégie en ce domaine est que Java délivre la même promesse côté clients que côté serveurs", explique Thomas Kurian, qui promet aussi des investissements massifs dans JavaFX, l'environnement RIA de Sun dont les premiers pas ont été plus qu'hésitants. Même promesse d'accroissement des dépenses en ce qui concerne GlassFish (le serveur d'applications libre de Sun), où Oracle promet des partages technologiques avec Weblogic (son propre serveur d'applications, lui propriétaire). Idem pour NetBeans (environnement de développement Java Open Source), domaine où, là encore, Oracle possède son propre outil (JDeveloper) et supporte également Eclipse. Si JDeveloper devrait continuer à cibler l'entreprise, NetBeans se spécialisera sur les langages dynamiques, le scripting et le développement d'applications mobiles.

Dans ce florilège d'assurances, une seule offre - et encore toute virtuelle  - fait les frais de la fusion : le Sun Cloud, l'offre de cloud computing présentée en mars dernier par la firme alors dirigée par Jonathan Schwartz, n'a définitivement plus d'avenir, à défaut d'avoir jamais eu un présent. Par contre, Oracle a promis une déclinaison cloud de la suite OpenOffice (toujours centrée sur le format ODF et intégrée à la version cliente), pour proposer un équivalent de Google Docs. Oracle maintiendra l'engagement de Sun en faveur d'OpenOffice et continuera à fournir une version commerciale de la suite (aujourd'hui StarOffice), a promis Edward Screven, architecte en chef, et s'intégrera à d'autres solutions maison, comme la BI ou la gestion de contenus. Une voie déjà largement explorée par Microsoft.

Au total, Oracle affirme que son budget R&D, après absorption de Sun, sera porté à 4,3 milliards de dollars, contre 2,8 milliards jusqu'à présent. Oracle prévoit d'adresser les 4 000 premiers clients de Sun en direct, justifiant en partie le plan de recrutements annoncé par l'éditeur (voir encadré).
 

Licencier ? "Non, on recrute"

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Larry Ellison aime prendre les observateurs à rebrousse-poil. Déjà interloqués par l'intégration entre un constructeur-éditeur Open Source et un éditeur très propriétaire, ces derniers ont aussi été cueillis par les plans d'Oracle en matière d'emploi. "Nous ne licencions pas, nous recrutons", a lancé Larry Ellison, qui a promis 2 000 recrutements de commerciaux et d'ingénieurs à la faveur de la fusion avec Sun. Exit les licenciements dits boursiers, se matérialisant par les annonces de "synergies" dès la fusion entre deux entités actée.

De nombreux analystes avaient prédit que, une fois le mariage consommé, les charrettes seraient massives, un analyste d'UBS estimant récemment qu'Oracle mettrait à la porte la moitié des 28 000 employés de Sun. Dans son style direct, Larry Ellison a estimé que les auteurs de ces prédictions devraient "avoir honte".

Cette annonce ne signifie toutefois pas que les employés de Sun ne subiront pas une nouvelle charrette dans les mois qui viennent. Mais Larry Ellison a expliqué que ces coupes liées aux redondances de postes dans les deux organisations seraient inférieures au total des recrutements, sans toutefois en préciser l'importance exacte. Rappelons que, pendant la durée où le rapprochement avec Oracle était bloqué par l'enquête de Bruxelles, Sun a annoncé le licenciement de 3 000 personnes. Un plan qui en suivait bien d'autres.

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