Grève des cheminots : les informaticiens très mobilisés contre la co-entreprise IBM-SNCF
Projet dévoilé par la presse, calendrier peu clair, risque de perte de contrôle, externalisation en Inde, DSI transformées en coquilles vides : les inquiétudes des informaticiens de la SNCF face au projet de co-entreprise avec IBM sont multiples. Conséquence : un taux de grévistes record hier, lors de la journée de grève de l'entreprise publique. Et ce n'est probablement qu'un début.
En pleine constitution de sa co-entreprise avec IBM, la SNCF a eu la désagréable surprise de voir ses services informatiques se mobiliser fortement pour la grève nationale du 3 février. Selon les chiffres cités par Cortis.fr, un blog manifestement tenu par un informaticien de la DSIT (Direction des systèmes d'information et des télécommunications, un des principaux services informatiques internes), les deux principaux services de cette direction recensaient 61 % de grévistes (côté étude, soit la DSIT-E) pour l'un et 78 % pour l'autre (côté exploitation, la DSIT-X). "Du jamais vu dans une direction où traditionnellement le taux de gréviste ne dépasse jamais quelques pour cent !", commente le blogueur anonyme. Des chiffres confirmés par Sud-Rail, qui avance 78 % de grévistes à la DSIT-X et 65 % à la DSIT-E, deux services qui, ensemble, réunissent 550 cheminots (et un peu plus de prestataires). "D'habitude, quand on arrive à 4 %, on s'estime satisfait", s'amuse un délégué de ce syndicat. Hier, au plan national et tous services confondus, le taux de grévistes moyen parmi les cheminots s'élevait à 28,4 % selon la direction et 35,6 % selon la CGT.
Cortis contre Cortis ou le blogueur facétieux |
En appelant son site Cortis.fr, le blogueur anonyme qui suit l'évolution du contrat entre la SNCF et IBM - en publiant des informations que nous avons pu vérifier par d'autres sources -, a joué un bien mauvais tour à la SNCF. Cette dernière prévoyait en effet d'appeler sa co-entreprise informatique Cortis. Mais, maintenant que le nom de domaine en .fr est occupé par un opposant notoire au projet, pas sûr que l'entreprise publique souhaite conserver cette appellation. Petite vengeance : le site est désormais inaccessible depuis le réseau interne de la SNCF. |
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Un document embarrassant, un avenir flou
C'est donc à une mobilisation très inhabituelle à laquelle se heurte la SNCF, et particulièrement Michel Baudy, le patron de la DSIT appelé à prendre les rênes de la co-entreprise. Une colère certainement attisée par un document qui circule au sein de la DSIT, faisant état de la volonté d'IBM de transférer en Inde le pilotage et l'exploitation des infrastructures (voir encadré en bas de page). Et par le flou qui entoure le devenir de la DSIT et des cheminots qui y travaillent. "Après le transfert des prestataires, il ne restera que 45 % des équipes actuellement en place à la DSIT, soit les seuls cheminots puisque les prestataires partiront. Les responsables d'équipe y voient donc eux aussi une menace pour leur poste. Avec cette co-entreprise, il n'y aurait certes pas de transfert de cheminots à une nouvelle entité, mais c'est l'emploi qui s'en va", explique le délégué de Sud-Rails.
Les CE menacent d'actions en référé
Nos sources syndicales parlent d'ailleurs de leur volonté d'organiser un mouvement dédié aux départements IT. "Dans un premier temps, nous ne voulons par interférer avec le mouvement national. Mais notre volonté est bien d'insuffler des mouvements dans l'informatique et de les coordonner, explique le délégué de Sud-Rails. D'autant que le sujet concerne aussi la DSIV ou Vinsi par exemple (deux autres services informatiques de la SNCF, NDLR)".
Le même blogueur signale que le CE SNCF Clientèles a, dans une délibération récente, manifesté son intention de déposer plainte en référé contre le projet. Les élus estimant que leur activité sera impactée par la création de la co-entreprise alors qu'ils n'ont pas été consultés en amont. "Ce type d'actions est à l'étude par les organisations syndicales, commente un autre délégué de Sud-Rails à Paris. Les nombreuses instances de représentation du personnel que compte la SNCF n'ont pas été consultées au préalable".
En complément :
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Production : aller simple pour l'Inde ? |
Le blog Cortis.fr, citant un document de travail interne, affirme que l'essentiel de la partie production de la DSIT (DSIT-X en jargon SNCF) sera reprise par la co-entreprise dès le troisième trimestre 2010. Une transition qui se fera sans transfert des matériels et logiciels actuellement exploités, IBM fournissant au donneur d'ordre des unités d'œuvre basés sur ses propres technologies (serveurs et stockage). Selon le blog, le service production de la DSIT ainsi réduit au minimum ne compterait plus que 69 équivalents temps plein (dont 62 cheminots), contre 752 aujourd'hui (dont 269 cheminots). IBM envisagerait également de délocaliser une large partie de l'exploitation et du pilotage des infrastructures en Inde, dans ses centres de services offshore. Selon un délégué de Sud-Rails, suite à la diffusion de ce document au sein de la DSIT, la direction a expliqué que ledit document n'était en fait qu'une proposition d'IBM, qu'elle n'avait pas acceptée en l'état. |