Projet CRM avorté : tout le SI de la MAIF était en chantier
Alors que le Tribunal de Grande Instance de Niort vient de condamner IBM à verser 11 M€ à la MAIF en remboursement de sommes versées pour le projet avorté de refonte de son système de gestion de la relation avec ses sociétaires, il apparaît que le chantier mis en œuvre à l’époque, sur le SI de l’assureur, était bien plus vaste. Trop ?
Pour le Tribunal de Grande Instance de Niort, l’affaire est entendue : IBM aurait usé de manœuvres visant à tromper son partenaire - la MAIF - pour remporter le marché de refonte de son système de gestion de la relation client, et « maintenir la mutuelle dans son erreur initiale. » IBM ne l’entend pas de cette oreille et a décidé de faire appel du jugement. Quelles que soient les conclusions de cette nouvelle procédure, une chose apparaît comme sûre : la MAIF traversait, à l’époque des faits, un très lourd chantier de rénovation de son informatique.
Une migration massive
De fait, l’essentiel des applications patrimoniales de la MAIF repose, historiquement, sur Cobol/GCos 8. Dans un cas client de l'éditeur Micro Focus daté de 2005, on apprend que cela représentait alors pas moins de 3 500 programmes touchant au cœur de métier de la mutuelle. Mais, surtout, que la MAIF avait, déjà à cette date, engagé la migration de ces applications vers une architecture ouverte, en s’appuyant sur des solutions du marché, pour assurer « la flexibilité du SI et son alignement sur la stratégie de l’entreprise. » Un projet baptisé Astree (Architecture pour un Système d’information Tourné vers le Réseau et l’Entreprise Etendue), dirigé par Gérard Radic (responsable Urbanisme et Projets en 2007), et supervisé Emmanuel Hector, DSI de la MAIF de 2003 à 2007, passé depuis au Crédit Immobilier de France. Fin 2006, Emmanuel Hector intervenait d’ailleurs sur le Forum Assurance IT pour revenir sur ce projet. Lequel avait en fait été initié par son prédécesseur, Dominique Hardouin. En 2002, celui-ci évoquait justement l'impact, sur son SI, de l'évolution de la stratégie de l'assureur, dans le cadre d'une étude de l'Observatoire de l'évolution des métiers de l'assurance : « Face à cette nouvelle donne, le groupe Maif doit repenser la construction du Système d'Information, dans une approche globale et novatrice, pour conserver sa cohérence et sa rationalité. »
Un projet d’une telle ampleur que, de sources syndicales internes à la MAIF, on parle de « pagaille pas possible. » Le sujet aurait d’ailleurs fait l’objet de nombreux échanges en comité d’entreprise.
Trop de choses à la fois ?
Selon Micro Focus, le projet Astree visait notamment à migrer vers une plateforme IBM/AIX, assortie d’une base de données Oracle, avec Tuxedo et Pro*Cobol. En fait, la migration semble s’être étalée de janvier 2003 à septembre 2004, voire début 2005. D’anciens applicatifs client-serveur auraient en outre été migrés sous J2EE avec l’outil JxT Workbench de Nbis.
Cette période de bouleversements profonds correspond à celle pendant laquelle, avec le concours d'IBM, la MAIF cherchait à faire migrer sa gestion de la relation clients vers une solution Siebel, dans le cadre du projet GRS. Mais, à la complexité de ce dernier, se seraient ajoutées des contraintes humaines avec, notamment, côté MAIF, des personnels habitués aux grands systèmes et peu préparés à un passage à des progiciels, nous explique l'une des personnes ayant pris part au projet GRS.
En outre, IBM aurait fourni des documentations tellement complètes que la MAIF n’aurait pas réussi à les valider dans les délais prévus initialement. De source syndicale, si la DSI de l’assureur indiquait en CE qu’IBM « ne mettait pas les moyens nécessaires », il faut constater que « la MAIF est un paquebot, lent dans la prise de décision. Ce n’est pas toujours simple pour les prestataires de s’y adapter. »
Une autre personne ayant suivi le projet GRS ajoute également un autre paramètre, un important projet de refonte du poste de travail des utilisateurs : Oasis, « un projet à forte adhérence avec le projet GRS ; il a abouti aux alentours de septembre 2009. » Selon nos recherches, le projet Oasis a été lancé en 2006, avec de premiers déploiements à l'automne 2007, avec l'aide d'Inservio (une SSII commune à la Macif et à la Maif) et de Capgemini. Il serait aujourd'hui finalisé.
Sous-estimer, une pratique courante
Reste une question centrale : IBM a-t-il, oui ou non, sous-estimé l’ampleur du projet pour remporter le marché, comme l’estime le TGI de Niort ? A cette question, personne n’apporte de réponse. Néanmoins, un habitué des grands projets de déploiement de progiciels explique que « c’est souvent le cas. Sans compter les problèmes fonctionnels sur les livrables. Après, cela dépend de la manière dont les choses se passent avec le client final. Souvent, le client est conciliant et le projet arrive normalement à son terme. »
La MAIF, en tout cas, semble avoir fini par trouver le partenaire lui convenant : elle a relancé son projet de CRM Siebel en 2007 pour le finaliser courant 2008, avec les SSII Business et Décision et Capgemini, selon nos sources. Mais avec des aménagements : l'une des personnes ayant suivi le projet GRS, et que nous avons interrogées, souligne que « compte tenu des adhérences, la MAIF a dû fortement lotir GRS; un premier lot à minima a pu être déployé rapidement, mais le second lot a été livré avec un fort décalage, ne serait-ce qu'en raison d'Oasis. »