Conditions de travail : l’industrie IT a perdu de sa superbe
Délocalisations, gestion de plus en plus financière, stress… L’industrie IT n’apparaît plus comme un des eldorados du monde du travail. Dans beaucoup d’entreprises, il fait encore clairement bon travailler. Mais, dans certains cas, la chute est particulièrement marquée. Et France Télécom, s’il a fait les gros titres de la presse ces derniers mois sur ce sujet, ne semble rien avoir d’une exception.
« Homicide involontaire par imprudence ». C’est la dernière accusation pesant sur les épaules de France Télécom qui vient d’être mis lourdement en cause par un inspecteur du travail du Doubs suite au suicide, en août 2009, d’un salarié. Mais l’opérateur historique est-il un cas isolé dans le paysage français de l’industrie IT ? La liste rouge des entreprises de plus de 1 000 employés pour la prévention des risques psychosociaux, retirée précipitamment du site Web "Travailler Mieux" du gouvernement – et du cache de Google, mais conservée par quelques blogueurs – peut en tout cas le laisser penser. Parmi les mauvais élèves de la classe en matière de prévention des risques psychosociaux, on trouve en effet notamment Accenture Technology Solutions, Ares, Assystem France, Avenir Telecom, Cegid, GFI Informatique, NextiraOne, Nortel Networks, Numericable, Orange, Osiatis [qui, après avoir engagé des discussions sur le sujet, en interne, est passé en liste "verte" depuis fin février, NDLR], SAP, Sun, Team Partners, Teamlog ou encore Telindus. Faut-il en conclure que les conditions de travail dans chacune de ces entreprises sont détestables ?
« HP n’est plus à l’avant-garde »
Non, indique un syndicaliste de HP, entreprise qui figure elle sur la liste "verte" (les bons élèves selon le gouvernement). Ne serait-ce, selon lui, que parce que les conditions pour passer d’une liste à l’autre - telles qu’elles ont été définies par le gouvernement - sont très « ambigües ». Pour lui, par exemple, HP n’a pas sa place dans la liste verte : « la direction a effectivement engagé les discussions quelques jours avant l’échéance. Mais, aujourd’hui, il n’y a toujours aucun accord négocié. HP a fait quelques annonces internes très édulcorées, très marketing et l’on assiste aujourd’hui au début de la mise en place de quelque chose qui n’est finalement porté que par la direction, sans concertation avec les syndicats. » Rappelons que, pour figurer sur ladite liste verte, les entreprises doivent déclarer "avoir signé un accord de fond ou de méthode" ou avoir "engagé un plan d’action concerté, impliquant les organisations syndicales et/ ou les représentants du personnel". En février dernier, la CFE-CGC, estimait ainsi, dans un communiqué, que « HP est comme le melon, vert à l’extérieur mais rouge à l’intérieur. »
De fait, selon ce syndicaliste, « les problèmes sont nombreux et l’on a déjà observé un cas de burn out à Grenoble, de même que des tentatives de suicide. Une étude de Technologia [le même cabinet qui a audité les conditions de travail chez France Télécom, NDLR] sur le site des Ulys a mis en évidence des problèmes bien connus : perte d’autonomie, objectifs contradictoires, inadéquation des objectifs avec les moyens, etc. » Et de rappeler la condamnation de HP France par le TGI de Nanterre, en novembre dernier, pour l’instauration de quotas de notation des salariés. Bref, pour ce syndicaliste, « on n’est pas à la mine, mais HP n’est plus l’entreprise qui était à l’avant-garde des conditions de travail. »
Xerox : félicitations de la "corp." et nouveaux licenciements
Même son de cloche chez Xerox, selon un délégué syndical : bien qu’elle soit classée en vert par le gouvernement, l’entreprise n’aurait signé aucun accord sur la prévention des risques psychosociaux. « Même s'il y a pire que nous », tempère le délégué. Et de s’insurger contre la gestion « financière » de l’entreprise. Pour lui, le vrai souci, ce sont les licenciements – « qui touchent aussi les cadres dirigeants désormais » - de « plus en plus injustifiables : nous en sommes à 10 PSE en 12 ans ; fin janvier, nous avons reçu un courrier de la direction américaine pour nous féliciter des bons résultats de 2009 et, en même temps, nous expliquer qu’il y aurait, cette année, de nouveaux licenciements. »
Chez GFI (liste rouge), un responsable syndical souligne que, si elles « ont un an de retard, les négociations en vue d’un plan de prévention des risques psycho-sociaux avancent. » Mais le risque, justement, serait d’autant réel que « les salariés n’osent rien dire. » Même chose chez NextiraOne (liste rouge), où un délégué syndical souligne « qu’il y a énormément de stress dans les SSII. » Là, le « débat a été reporté dans l’attente de la nomination d’un cabinet d’expertise. »
SFR : s'inpirer du questionnaire France Télécom
Chez SFR, les différents syndicats présents dénonçaient le mois dernier « des choix […] pour satisfaire l’appétit insatiable des actionnaires » avec, pour conséquences, notamment, « un climat social dégradé et des charges de travail excessives. » Un responsable syndical de l’opérateur nous précise que les négociations ont été rouvertes et qu’un premier accord aurait été récemment trouvé, avec une augmentation de 2 % des budgets pour le personnel informatique et une prime de 1 000 euros « pour tout le monde. »
Une avancée qui semble avoir au moins permis à la direction de faire retomber un peu la pression. En l’occurrence, si elle n’a pris aucun engagement sur la question des conditions de travail et sur celle des délocalisations, les syndicats ont pour l’instant suspendu leurs actions revendicatrices. Mais « nous sommes en train de mettre au point un questionnaire sur les conditions de travail suivant le modèle utilisé chez France Télécom », indique le responsable syndical du second opérateur hexagonal.