Difficultés de communication et offshore : c’est Sogeti qui en parle le mieux
Il n’est pas simple de trouver une entreprise qui accepte ouvertement d’évoquer ses projets informatiques impliquant une bonne dose d’offshore. Et le fait d’être spécialiste de l’exercice ne semble pas arranger les choses. Du moins est-ce l’enseignement que l’on peut être tenté de tirer de l’expérience de Sogeti avec Radium, une sorte d’ovni industriel dont il est aujourd’hui difficile de savoir s’il a quelque rapport avec l’offre éponyme récemment annoncé par la SSII à l’intention des entreprises désireuses de migrer leurs postes de travail vers Windows 7.
Qu’est-ce que Radium ? C’est une « offre » de Sogeti destinée aux entreprises désireuses de migrer leurs postes de travail sous Windows 7. Selon Yves Tapia, directeur des activités autour des technologies Microsoft chez Sogeti pour la région Ile-de-France, Radium a notamment été retenu par Total pour la migration de 80 000 postes de travail. Dans le cadre de la mise en œuvre d’un tel projet, Sogeti s’appuierait à la fois sur des équipes en France et en Inde, « notamment pour la création des masters et pour le packaging des applications. » Toujours selon Yves Tapia, le socle technologique de l’offre Radium s’appuierait sur les outils standards de Microsoft – MDT, MAP, ACT, Powershell 2.0, WMI, ADSI, etc. – complétés par des développements sur mesure pour automatiser le processus, des développements réalisés « en Inde sur la base de retours d’expérience. »
Un témoignage qui lève le voile sur les dessous de l’offshore ?
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si un Indien n’avait raconté, sur son blog, la manière dont se seraient déroulés les développements du socle technologique de Radium chez Sogeti, à Mumbai. Dans un billet daté du 14 janvier 2010 – et qui a, depuis, été supprimé –, cette personne explique : « le projet a débuté sous la forme d’un Proof of Concept [une étude, NDLR], avec une équipe de seulement 5 personnes. L’outil devait être développé avec .Net et seule une des cinq personnes était formée à .Net. Les autres provenaient d’horizons totalement différents et n’avaient jamais travaillé en environnement Windows – moi y compris. » Manifestement handicapé pour ce projet, ce développeur n’en était pas moins très motivé : « j’étais très excité à l’idée de travailler à ce projet. » Reste que « après quelques semaines, nous n’avions fait beaucoup de progrès. Ayant pris beaucoup de retard, nous étions complètement à côté des spécifications. » Le temps aidant, la démotivation gagne l’équipe : « la plupart d’entre nous s’est désintéressé du projet. » Néanmoins, « après 3 mois et demi, l’outil a fini par devenir une application complète. »
Bref, si l’histoire se termine bien, elle n’en ressemble pas moins à un authentique échec sur le plan organisationnel. Et de soulever nombre de questions : comment expliquer la constitution d’une équipe apparemment aussi peu adaptée au projet ? Cela peut-il également valoir pour les projets de clients ? Quid de la formation des développeurs indiens ?
Une communication incohérente
Confronté à ce billet de blog, Yves Tapia en a confirmé divers éléments, à commencer par la liste des outils Microsoft utilisés dans le cadre de Radium ainsi que l’implication des équipes indiennes de Sogeti. Mais, pour le reste, nous avons dû nous entretenir successivement avec Eric Kobi, directeur de la division Microsoft de Sogeti en France, puis avec Sanjeev Agarwal, Global Microsoft Alliance Manager de la SSII, le patron mondial des activités Microsoft donc, localisé aux Etats-Unis. Deux entretiens dont nous sommes ressortis à peine plus éclairés et avec deux versions à peine concordantes.
Pour Eric Kobi, oui, Radium s’appuie bien sur les outils Microsoft évoqués par le développeur indien sur son blog, « avec des scripts pour leur mise en œuvre coordonnée. Mais prétendre disposer d’un outil universellement applicable sans adaptation est utopique. Il faut contextualiser les développements aux clients. » Du coup, selon lui, le billet de blog ne fait référence « qu’à une demande ponctuelle, relevant de l’étude. […] Une démarche de R&D demandée ponctuellement par les Etats-Unis ; on en est resté là. » Pour Sanjeev Agarwal, le jeune développeur indien « n’a probablement pas bien compris ce qu’on lui demandait. Cela arrive souvent avec les débutants. » En fait, selon le patron mondial des activités Microsoft de Sogeti, « son équipe ne travaillait qu’à l’élaboration de quelques rapports sur les outils de Microsoft, pour obtenir des éléments tels que les taux d’erreur, etc. » Un travail s’intégrant au projet Radium, mais ne concernant absolument pas le développement d’un quelconque outil ou d’une méthodologie. Et pas question de faire travailler un débutant sur des choses plus ambitieuses : « le développement d’une méthodologie, c’est quelque chose qui s’appuie sur des années et des années d’expérience, avec des experts […]. L’Inde nous permet surtout de disposer d’une main d’œuvre à bas coût. »
Quels risques pour les clients ?
Certes. Mais quelle que soit la tâche réellement confiée à cette équipe, comment expliquer qu’un seul de ses membres ait été véritablement qualifié pour travailler en environnement Windows ? Pour Eric Kobi, « dans une démarche de R&D, c’est moins la compétence outils que la compétence processus que l’on recherche. On veut des gens avec une tête bien faite que l’on peut faire réfléchir. » Pour Sanjeev Agarwal, « la formation et la certification sont des choses prises très au sérieux chez Sogeti. Mais, vous savez, la formation, c’est un peu académique et rien ne vaut la pratique. » Une pratique assortie d’auto-formation apparemment, dans le cas qui nous intéresse : « nous sommes partenaires Gold Microsoft ; nos collaborateurs ont accès à tous les outils et à toutes les documentations nécessaires. » Et puis, surtout, « il ne s’agissait pas d’un projet client, ni d’un projet critique. » Une broutille pour occuper de jeunes recrues « on the bench » (en intercontrat), serait donc presque tenté de comprendre.
Peut-on donc être totalement rassuré sur la capacité de Sogeti à constituer, en Inde, des équipes parfaitement adaptées aux projets clients ? Selon Eric Kobi, la réponse est clairement affirmative : « pour la France, nous avons nos propres équipes dédiées en Inde. Notre responsable de l’ingénierie Microsoft, à Pau, est en relation synchrone avec son homologue indien. Il connaît les équipes et dispose d’une visibilité pleine et entière sur les profils. » Et d’assurer pouvoir ainsi « combiner les meilleures compétences pour chaque projet donné. »